Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré |
Fête de l’Humanité 1997 |
Dessin de Luz pour le CODEDO (2008) |
Charlie-Hebdo et moi, comme beaucoup de gens de ma génération, c’est une longue histoire. Pour ma part, j’ai cessé de lire ce journal quand Val vira Siné sous le prétexte fallacieux d’antisémitisme, pour faire plaisir à son petit maître Sarkozy, qui lui filera, en récompense, la direction de France Inter. (Réaction épidermique. Peux p’us Charlie, viva Siné Hebdo!)
Toujours est-il que le nombre incommensurable de conneries lues sur ce journal après la tragédie m’a fait presque autant mal (et râler) que la tristesse et la colère inspirées par ces assassinats. Les accusations délirantes d’islamophobie à l’encontre de Charlie. Les jérémiades sur l’enfance massacrée des frères Kouachi (je t’en foutrais, de l’enfance massacrée, moi : j’ai connu bien des mômes autrement bousillés que ces deux connards, ils ne sont pas devenus pour autant aussi salauds – là, je sens que je vais me faire des ennemis : tant pis). Jusqu’à Marie-Monique Robin (qu’on a connue plus inspirée) déclarant "les tueries du 7 janvier ne sont pas des faits de guerre mais d’atroces faits divers". Mais comment peut-on proférer une telle connerie ! Mais oui, ces connards, quand ils ont tiré sur les gens de Charlie, étaient bel et bien en guerre ! Passons sur les accusations indigentes que nous valut, de la part de donneurs de leçon patentés, notre participation à la marche du 11 janvier, en raison de la présence de quelques dictateurs à qui nous n’avions rien demandé et qui ne marchaient pas avec nous (mais uniquement pour être sur la photo). On aura tout eu. Sans oublier la prétendue "union nationale" décidée par des politicards avides de se mettre en avant (la récup’ est une seconde nature chez ces enfoirés). Bref. Il aura fallu qu’un autre taré remette ça à Copenhague (2 morts) pour que je me décide à terminer ce texte, avant d’aller saluer l’ami Tignous au Père Lachaise. Ce petit texte, laissé en jachères car trop d’émotion, car trop de sidération, car ç’aurait été tellement plus facile de le dire avec un bon dessin. Mais comme je ne sais pas dessiner, écrivons…
Charlie l’âge d’or
La première fois que j’ai lu Charlie, ça devait être en seconde, en 1972, lors des (grandioses) manifestations contre la loi Debré (ce crétin qui voulait supprimer les sursis pour les appelés du contingent). On se le passait, au dortoir, avec La Gueule Ouverte, Le Point (un canard gauchiste que tout le monde a oublié, même pas référencé sur Google, et qui fut, je crois, coulé par un procès de l’autre Point), Politique Hebdo. Ma rubrique préférée : le génial dialogue du café du commerce de Wolinski. (Quel grand art, quand on y pense !) De la bande de l’époque, beaucoup sont morts. Fournier, Reiser, Gébé, ça fait longtemps. Topor, Choron (je préfère ne pas dire ce que je pense de ce garçon, côtoyé six heures durant lors d’un épique salon du livre à Limoges), le grand Michel Boujut (lui aussi malproprement viré par Val, on ne le sait pas assez) il y a quatre ans. Et puis, bien sûr, le merveilleux Cavanna décédé en janvier 2014, rencontré lors de la fête du livre antifasciste du Lucernaire, peu après qu’il eût encensé mon Massacre des innocents (dédicacer aux côtés de Cavanna, le bonheur!), Cavanna recroisé le jour des obsèques de Topor (par hasard), défait, Cavanna à qui Denis Robert vient de consacrer un film, Cavanna, jusqu’à l’ultime seconde, j’écrirai.
Voilà. Il ne reste plus que Willem (rescapé car il détestait les conférences de rédaction), Luz (rescapé car son anniversaire tombait le 7 janvier), Riss, Fischetti (rescapé car il enterrait sa tante en provicine), Biard (rescapé car il était en vacances), Coco, Lançon et quelques autres. Les survivants.
Reportage de Tignous dans Charlie Hebdo, nov. 2007 |
Le gars Tignous
Trois décennies plus tard, devenu éditeur, outrageur de poulets et militant de la dépénalisation du délit d’outrage, j’ai eu maintes fois l’occasion de croiser la route des dessinateurs de Charlie Hebdo, dans les fêtes du livre, les prétoires, ou ailleurs. Et en particulier Tignous.
Trois décennies plus tard, devenu éditeur, outrageur de poulets et militant de la dépénalisation du délit d’outrage, j’ai eu maintes fois l’occasion de croiser la route des dessinateurs de Charlie Hebdo, dans les fêtes du livre, les prétoires, ou ailleurs. Et en particulier Tignous.
L'œil de Willem |
Tignous faisait partie, avec Willem, rencontré lors du festival Polar de Besançon, qui répercuta nos ennuis (et notre souscription) dans Charlie, Pierre Assouline et d’autres, des journalistes qui suivaient ce procès opposant la puissante secte catho aux éditions Après la Lune, qu’elles étaient (ayant courageusement renoncé à s’attaquer au puissant éditeur du Da Vinci code) désireuses de couler. Miraculeusement sauvées par ce procès tombé du ciel, les éditions disparaîtront en 2013, des suites d’une longue maladie financière incurable, non sans avoir été traînées en justice, quelques années après, pour de sordides raisons financières, par l’auteure du roman incriminé par l’Opus Dei (tout arrive).
Je me souviens de mon immense fierté à être croqué par le grand Tignous au rire aussi ravageur que le trait. (Regardez le dessin ci-contre, tout est dit.) Tignous? Mais c’était un peu comme si Frédéric Pottecher avait été présent sur les bancs de la presse ! (Je lui ai dit cela, ce jour-là.)
Couverture de Tignous |
J'avais fait la connaissance de Tignous l’année précédente (2006, donc), grâce à l’ami Maurice Rajsfus. Nous cherchions un dessinateur pour la couverture de son Portrait physique et mental du policier ordinaire. Maurice, qui avait pensé à Faujour, à Charb, à Cabu, opta finalement pour Tignous, qui nous offrit ce dessin, "en souvenir d’un vieux cadeau que lui avait fait Maurice quinze ans plus tôt" (sa collection complète de Charlie Hebdo). Accompagnant ce magnifique dessin, ce commentaire tignousien : "Le cerveau sarkolâtre, c'est pour toi, cadeau. Si tu veux un peu plus de mouches, fais signe!" (Allusion à mon obsession sarkophobe, que je réussis à guérir au prix fort : l’écriture, la publication, puis le fiasco d’une politique-fiction boudée à l’époque par tous les médias, y compris – au grand désespoir de l’ami Tignous, qui y croquait et partageait mon point de vue sur la santé mentale de Sarkozy – de Marianne.)
Depuis, chaque rencontre avec ce garçon, qui n’était pas vraiment un ami – la seule fois où j’ai bu un coup avec lui, c’était à la buvette du palais de justice –, mais dont j’ai vécu la mort comme celle d’un frère, était un véritable enchantement. Putain ! Tignous ! Quel rayon de soleil ! Comment j’étais content de voir ta tronche goguenarde et éclairée ! Comment tu vas nous manquer… Tignous, c’est tout ce qu’on peut aimer chez un être humain. L’humour, la drôlerie, l’intelligence, la générosité, cette façon tendre et teigneuse, selon que vous étiez sa cible ou son ami, de gratter l’âme humaine. La vie, quoi. Tout ce que n’aiment pas ceux qui par ta/votre mort est arrivée.
Tignous, j’ai lu que tes derniers mots, avant que les deux salopards au QI de crustacé congelé ne jettent leurs rafales de Kalachnikov sur vos corps (sans parvenir à tuer vos esprits), avaient été pour ces gamins de banlieue "dont on ne s’est peut-être pas assez occupés" (je cite de mémoire). Je ne sais pas ce que l’avenir va nous réserver (je crains le pire), mais je crois, hélas, que cela n’aurait strictement rien changé. Les frères Kouachi ne sont pas de pauvres hères qui ont dérapé, ni des déshérités qui sont devenus ce qu’ils sont devenus car on ne leur a pas laissé leur chance, ce sont juste des SALAUDS, des LÂCHES, victimes, non pas d’avoir été abandonnés par la société française (ce qui ne dédouane évidemment pas la responsabilité de la société post-coloniale française à l’égard des descendants des ex-colonisés, ce n’est pas ce que je veux dire…), mais d’avoir gobé tout cru, sans réfléchir, les conneries abyssales de prédicateurs religieux, de prévaricateurs fascistes. (Tout comme, de la même façon, les jeunes mecs de Lunel partis faire le djihad en Syrie ne sont pas tous issus de milieux défavorisés – il faudrait peut-être le rappeler.)
Tignous, avant de te dire au revoir, voici juste une petite photo, prise lors de la marche du 11 janvier. Les deux femmes voilées, à ma droite, sont deux religieuses protestantes de l’hôpital des Diaconesses, dans le 12e arrondissement. Quand je leur ai dis que je te connaissais, l’une d’elles s’est écriée : "Tignous, mais je l’adore!"
Je n’ai pas pensé à lui demander si elle lisait Charlie, Marianne ou un autre des canards dans lesquels tu dessinais.
L’hommage à Tignous à la mairie de Montreuil est visible ICI.
Hommage à Tignous, Montreuil, 12 janvier 2015 |
Tignous, j’ai lu que tes derniers mots, avant que les deux salopards au QI de crustacé congelé ne jettent leurs rafales de Kalachnikov sur vos corps (sans parvenir à tuer vos esprits), avaient été pour ces gamins de banlieue "dont on ne s’est peut-être pas assez occupés" (je cite de mémoire). Je ne sais pas ce que l’avenir va nous réserver (je crains le pire), mais je crois, hélas, que cela n’aurait strictement rien changé. Les frères Kouachi ne sont pas de pauvres hères qui ont dérapé, ni des déshérités qui sont devenus ce qu’ils sont devenus car on ne leur a pas laissé leur chance, ce sont juste des SALAUDS, des LÂCHES, victimes, non pas d’avoir été abandonnés par la société française (ce qui ne dédouane évidemment pas la responsabilité de la société post-coloniale française à l’égard des descendants des ex-colonisés, ce n’est pas ce que je veux dire…), mais d’avoir gobé tout cru, sans réfléchir, les conneries abyssales de prédicateurs religieux, de prévaricateurs fascistes. (Tout comme, de la même façon, les jeunes mecs de Lunel partis faire le djihad en Syrie ne sont pas tous issus de milieux défavorisés – il faudrait peut-être le rappeler.)
Tignous, avant de te dire au revoir, voici juste une petite photo, prise lors de la marche du 11 janvier. Les deux femmes voilées, à ma droite, sont deux religieuses protestantes de l’hôpital des Diaconesses, dans le 12e arrondissement. Quand je leur ai dis que je te connaissais, l’une d’elles s’est écriée : "Tignous, mais je l’adore!"
Je n’ai pas pensé à lui demander si elle lisait Charlie, Marianne ou un autre des canards dans lesquels tu dessinais.
L’hommage à Tignous à la mairie de Montreuil est visible ICI.