La scène ci-après racontée n’est pas extraite de mon roman L’esprit Bénuchot, mais relate une situation (assez horrible humainement) vécue le vendredi 27 mai 2016 à 19h30, sur la ligne 13, quelque par entre Mairie de Saint-Ouen et Place de Clichy. Elle illustre néanmoins assez fidèlement la démarche du bonhomme, qui consiste à aller vers les gens, surtout quand on ne lui demande rien, et à remettre certaines choses en place…
Vendredi 27 mai 2016, 19h30. Ligne 13.
Vendredi 27 mai 2016, 19h30. Ligne 13.
Wagon bondé. Un homme monte dans la rame. "Pardonnez-moi de vous déranger, je
suis à la rue, je fais la mendicité, etc, etc" Occupé à envoyer un texto,
je ne fais pas attention à lui. Tout à coup, des éclats de rire derrière moi.
Je lève le nez de mon téléphone. Le mendiant est soumis à la question par un
voyageur.
– Et que vas-tu faire de cet argent si je te
donne de la thune ? Tu vas t’acheter de la drogue, c’est ça ?
Je range mon portable, je me retourne. Le mendiant
est tout près de moi. Grand, maigre, le teint cireux, anorak, pas plus de
vingt-cinq ans. Il n’a pas l’air en très grande forme. Il bafouille.
– Non, je, euh… À manger. Des fruits. Un
sandwich.
– Tu vas t’acheter de la drogue, arrête tes
conneries !
– Mais non, je…
– Mais si, tu vas t’acheter de la drogue !
Le jeune homme balbutie. Les rires
redoublent. Ça commence à ressembler à un sketche pour public de Cyril Hanouna.
Je me retourne. Le public : des hommes. Tous Noirs et baraqués. Au début, j’ai
pensé que les rieurs étaient les potes du type, mais non.
– Mais oui, tu vas t’acheter de la came, mon
gars…
Le salaud. Un
jeune mec. Arabe. Trente ans. Me fait penser au supporter du PSG que j’ai vu l’autre
soir gueuler : "L’OM, on t’encule !" en donnant un coup de pied dans
un panneau. Le mec y va à la mitrailleuse.
– Je filerai pas d’argent à un
mec qui va s’acheter de la drogue, désolé.
Les rires sont
contagieux. Ça commence à bien faire. D’autant que le SDF, au lieu de s’éloigner,
reste scotché à son agresseur. Je me lève comme une toupie, je regarde l’enfoiré
dans les yeux.
– Tu veux pas fermer ta grande
gueule, dis ! Personne ne te force à lui donner de l’argent. Et ce qu’il en
fera ne te regarde pas !
Le gugusse est
surpris par mon ton véhément. S’en suit un dialogue de sourds dans la rame à l’arrêt.
Les voyageurs ne mouftent pas. C’est toujours cela qui m’étonne le plus dans ce
genre de situation. Le silence total. Certains arrivés en cours de route se
demandent pourquoi je vitupère. J’en remets une couche. Le jeune SDF est
tellement effrayé qu’il renonce à continuer à faire la manche. Il s’apprête à
descendre. Je le retiens par la manche (ah, ah!).
– Ah, ah, tu
vas lui donner du fric ! Et pourquoi tu lui a pas donné avant, ah, ah ! Et il
va s’acheter de la drogue, tu vas être content…
Je sors mon portefeuille.
Je n’ai qu’un billet de 10 €. Je le tends au jeune mec, qui me regarde avec des
yeux ébahis, l’air de dire, non, c’est beaucoup trop.
Je lève mon
billet vers le salaud.
– Tu vois,
mec, grâce à ta connerie, il aura encore plus d’argent pour s’acheter de la
drogue. 10 €. Prélevés sur mon RSA.
– C’est ça. Il
va remplir son frigo avec de la drogue !
– Et toi, tu
devrais remplir ton cerveau avec des neurones. Si tu sais ce que c’est.
Les Noirs rigolent mais le rire a changé de
camp. Le gugusse continue à déblatérer. (Il est un chouïa simplet, mais cela ne change pas grand-chose au problème.) Avant de descendre sur le quai, le
jeune gars me fait coucou de la main, avec un sourire triste. Le métro repart. Un autre jour, je serais descendu avec lui pour faire un brin de causette, mais bon, je ne suis pas dans un jour tout à fait bénuchot. Avant
de quitter la rame à la station suivante, je lance au type, qui continue à
déblatérer :
– Je te
souhaite de te retrouver un jour à la rue comme lui. Bouffon !
Bouffon, c’est comme crétin. Ça soulage celui qui le dit, et ça calme celui qui l’est.
Bouffon, c’est comme crétin. Ça soulage celui qui le dit, et ça calme celui qui l’est.