jeudi 30 novembre 2017

Kierol24, l'association de malfaiteuses littéraires qui fait revivre les éditions Après la Lune

L'eussiez-vous cru ? Les éditions Après la lune, en sommeil (et même en coma profond) depuis 2003, reprennent du service, en s'associant au collectif Kierol24, une association de malfaiteuses littéraires – le concept est nouveau, il faudra vous y faire – de Barcelone, de Paris et d'ailleurs, ayant décidé d'unir leurs forces pour contourner certaines vicissitudes du milieu éditorial aux temps du numérique.
Outre Kits Hilaire, qui ouvre le bal avec un roman inédit Ivan, allégresse et liberté, la réédition de son roman-culte Berlin, dernière et Mon grand-père et moi à Barcelone, on y retrouve Adèle O'Longh (Les montagnes dans les nuages, Hoebeke), Elise Fugler (dont j'ai publié Les Frigos ont horreur du vide et L'Art du mou), Olaya Sants et quelques autres…
Livres disponibles aux formats papier et numérique. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la librairie après la lune.

mercredi 15 novembre 2017

Je me souviens de Max-André Doppia

Max-André Doppia, anesthésiste-réanimateur au CHU de Caen, président d'Avenir hospitalier, très engagé au niveau syndical, notamment sur la souffrance au travail et le burn-out, est décédé le 11 novembre des suites d'un accident vasculaire cérébral, à l'âge de 64 ans. Il fut à l'origine de la campagne Dis doc, t'as ton doc ? De nombreux acteurs du monde hospitalier lui rendent hommage sur What's up, doc ?
Dans les années 1980, Max était, avec son épouse Elisabeth, mon voisin à Caen, rue Écuyère. Nous nous sommes tant marrés. Nous nous sommes tant aimés. Repose en paix, Maxou.



Je me souviens que Max était l'homme le plus délicieux de la rue Écuyère
Je me souviens qu'il habitait juste au-dessous de chez moi, avec Elisabeth
Je me souviens que je les trouvais beaux tous les deux et qu'ils me renvoyaient l'image apaisée de gens heureux, toujours prêts à partager
Je me souviens qu'au début Max m'intimidait un peu parce que je n'avais pas l'habitude de parler à un médecin ailleurs que dans un cabinet
Je me souviens que quand il apprit que j'écrivais de la poésie, Max me donna le sobriquet de "Poète" et qu'il me présentait en ces mots lorsque j'étais de leurs invités
Je me souviens de notre complicité immédiate, permanente, irréductible
Je me souviens que nous partagions les mêmes appétits, les mêmes révoltes, les mêmes engouements
Je me souviens que nous éprouvions la même détestation de l'injustice et de toutes les saloperies, petites ou grandes, du monde qui nous entourait, et dans lequel nous étions bien obligés de vivre
Je me souviens que l'homme qui cristallisait à lui seul, à l'époque, cette détestation, s'appelait Martial Legoupil, notre propriétaire commun, un petit homme stupide et fourbe comme le renard dont il avait pris le nom
Je me souviens que Martial Legoupil voulait expulser Elisabeth et Max pour un motif irrecevable et que Max décida d'entrer en résistance, avec la même énergie qu'il le fit quinze ans plus tard lorsqu'éclata la guerre en ex-Yougoslavie
Je me souviens que Martial Legoupil ne supportait pas je laisse mon Solex jaune dans le hall d'entrée et qu'un jour il le mit à la rue, comblant le hall de planches, de parpaings, de bouteilles de gaz pour m'empêcher de garer mon Solex, et qu'il prétendit agir ainsi à la demande de mes voisins les Doppia
Je me souviens que Max et moi décidâmes de ne pas nous laisser faire, et passâmes un pacte secret, dont Elisabeth, notre consultante-psychologue en bêtise humaine, n'eut que de brefs échos, pour nous débarrasser de Martial Legoupil
Je me souviens qu'un soir Max produisit une liste de produits efficaces et rédhibitoires, aisément accessibles de par sa profession de médecin-anesthésiste, pour nous débarrasser de Martial Legoupil
Je me souviens que d'un commun accord tacite, nous ne passâmes jamais à l'acte
Je me souviens que quand je rentrais tard le soir du cinéma où je travaillais comme ouvreur, un petit plat exquis m'attendait souvent dans ma cuisine, parfois accompagné d'un verre de vin
Je me souviens qu'à mes remerciements confus Max répondait de sa belle voix élégante, savoureuse et roublarde : "C'est un honneur pour nous de nourrir un poète !"
Je me souviens que Marx était un cordon bleu, qu'Elisabeth ne s'en plaignait pas, et que son intérêt pour la cuisine avait quelque chose à voir avec l'éthique
Je me souviens que j'aimais écouter Max me raconter des histoires d'hôpital, d'urgences, de salles de garde, parfois sordides, souvent drôles, comme celle de cette employée du CHU qui faisait la grosse commission à l'hôpital pour économiser le papier toilette
Je me souviens qu'un jour que je lui avouai mon admiration pour la profession qu'il exerçait, il me répondit : "Tu sais, Poète, un bon médecin, c'est d'abord quelqu'un qui a une bonne mémoire !" – Et beaucoup d'empathie ? – Et beaucoup d'empathie, je te le concède. Même si ce n'est pas toujours le cas…
Je me souviens de la rage qu'il éprouva au moment du siège de Sarajevo et de l'énergie incroyable qu'il déploya pour expédier dans cet enfer des arbres, des médicaments, et tant d'autres choses
Je me souviens qu'il avait refusé de recevoir Bernard-Henri Lévy parce que celui-ci exigeait de débarquer en hélicoptère sur l'une des plages du Débarquement
Je me souviens de sa voix sèche, méconnaissable, au bord de l'abîme, lorsqu'il m'apprit le décès de leur petite Névéna emportée par une méningite foudroyante
Je me souviens que je n'avais pas revu Max depuis longtemps mais que de temps en temps un petit mot arrivait par le Net ou par texto, on t'aime, poète !
Je me souviens que le 10 novembre, j'ai posté sur la page Facebook de Max un spot publicitaire de l'association Oxfam faisant un parallèle entre la corruption mondiale et un casse dans un hôpital, avec ce petit mot : "Tu as vu ça, Max ?"
Je me souviens que, surpris de ne pas avoir de réponse, je suis allé voir sur sa page et que c'est de cette façon affreuse que j'ai appris la terrible nouvelle
Je me souviens que Max était l'homme le plus délicieux de la Terre

samedi 4 novembre 2017

"Con-vocations", lipogramme (à la con)

Je retrouve dans mon disque dur ce lipogramme oublié, écrit – lors dune surveillance dexamen – avec les lettres du mot "CONVOCATION".
Lipogramme, du grec leipogrammatikos, de leipein (enlever) et gramma (lettre). Figure de style consistant à produire un texte d’où sont délibérément exclues certaines lettres de l’alphabet.
Gustave Courbet, L'origine du monde

CON-VOCATIONS

Antonin Canson, avocat à Nation, convia à son toit Tania, avoisinant canon convaincant.
   – Tania… Actionnons nos cons, nos vits…
Son invitation atona Tania.
   – Nos cons ? Nos vits ?
   – Constatons : ton vaccin vit sans soin, sans innovation…
   – Ton “vaccin” ?!?
Antonin Santon, convoitant son con, insista.
   – Nos voisins sont vacants. Saisissons nos occasions ! Noçons ! Coïtons ! Action !
   – I cant ! tintonna Tania.
   – Con nana non sain ?
   – NON ! NO ! NANNI ! NAO ! NIAT !
Convaincant savon sanctionnant ? Non. Vain scantion.
Antonin avança :
   – Ton saint Vatican tait ta vocation, catin !
   – Vatican sans saison, nota Tania. Vainc ta vaticination, Canson !
Antonin, coi, cita Caton.
   – “Va, vis, vois…”
   – Vis ton coït sans Tania, noçant avocat ! Tintin ! Na !
Sa citation tint Antonin sans ton.
Tania contint ainsi son voisin :
   – Coin-coin.

mercredi 7 juin 2017

La plaidoirie de Me Joanne Dakessian défendant "De Gaulle, van Gogh, ma femme et moi" à Marseille

Il y a fort longtemps, dans un songe qui me dresse encore le poil sur l'échine, se penchant au-dessus de mon lit (je n'étais qu'un enfant), Charles de Gaulle m'apparut, me susurrant à l'oreille cette étrange ritournelle : "Ou pachou pachou paya !" Puis il disparut à tout jamais.
Peu après, Vincent van Gogh me visitait à son tour. Tenant à la main son oreille coupée, il la glissa dans l'herbier que j'étais en train de confectionner et s'évapora dans un souffle. Le lendemain matin, à la place de sa pauvre oreille ensanglantée, à la page où j'avais collé un brin de blé, ces mots : Ou pachou pachou paya !
Cette étrange coïncidence me troubla – on l'eût été à moins ! Je faillis devenir fou. Seuls l'amour de parents bienveillants, et celui de mes poules, me permirent d'échapper à la folie…
Longtemps après, en l'an de grâce 2000, ayant tout lu, tout vu sur les deux hommes, ayant fait le voyage à Nunen et à Colombey, ayant enfin réussi à percer le mystère de cette étrange rencontre, j'entrepris d'écrire l'ouvrage qui scellerait la rencontre improbable entre Vincent van Gogh et Charles de Gaulle, à laquelle m'avaient convié ces deux grands hommes des Flandres élevés dans les raideurs de religions mortifères. De Gaulle, van Gogh, ma femme et moi.
Dix-huit ans plus tard, la justice des hommes me demande des comptes.
Après avoir été poursuivi par l'Opus Dei, par un flic con comme la lune, par une écrivaine sans foi ni loi, par une dingue mythomane, puis par une magistrate nantaise estimant que la police a le droit de crever les yeux des manifestants – n'en jetez plus, la cour est pleine ! –, il m'est reproché… d'avoir fait se rencontrer Vincent et Charles !

Je ne suis d'ailleurs pas le seul écrivain à être poursuivi par la justice, puisque nous serons dix dans le box des accusés, lors d'un procès qui promet d'être riche, organisé par l'association Cours Julien, le 10 juin, sous la houlette du redoutable procureur Gilles Del Pappas !
Chaque auteur est défendu par un avocat. Deux prix seront remis. Un prix des lecteurs et un prix de l'éloquence récompensant l'avocat ayant le plus de bagout.

Màj. Le prix du polar marseillais a été attribué à Johanna Gustawson. Mon avocate, la pétillante Joanne Dakessian, a obtenu le 3e prix du concours d'éloquence. Plaidoirie ci-dessous.
De Gaulle, van Gogh, ma femme et moi (290 p, 10 €), disponible sur le site de 

mercredi 5 avril 2017

L'esprit bénuchot souffle sur l'émission "Transbords" (Radio Libertaire)

Vendredi 14 avril, de 22h30 à minuit, je suis invité sur Radio Libertaire à l'émission Transbords, qui donne la parole à toutes celles et ceux qui contribuent, de par leur démarche, à élargir et ouvrir les frontières, voire à les faire disparaître si nécessaire. Que ces frontières soient géographiques, philosophiques, physiques, politiques, économiques, individuelles, collectives, éphémères, durables, souples ou poreuses…

Parmi les derniers invités d’Aude, l’incroyable et merveilleux Adolfo Kaminsky, auteur d’Une vie de faussaireque l’on peut écouter ici.

Je serai également présent les 22-23 avril au salon du Livre libertaire, sur le stand de la librairie  après la lune.

dimanche 22 janvier 2017

Ils ont aimé L'esprit Bénuchot

Jacques Lovichi, La Marseillaise.
Article "Mon humanité dans le rétroviseur".

Paul Maugendre, Les lectures de l'Oncle Paul.
"Les chapitres se suivent mais se déclinent comme autant de nouvelles à savourer dans ce qui forme une quête, une enquête, dans laquelle l'amour et la haine se juxtaposent, explorant toute la palette des sentiments, et que le lecteur ne peut lâcher."

Linda Maziz, Le Journal de Saint-Denis. Portrait de l'auteur.

Nadège Mulé, librairie Sur les chemins du livre, Saint-Amand-Montrond.
"Une envie de livre drôle, décalé, intelligent, pour vous sentir plus riche intérieurement après les vacances. Un ouvrage d'une poésie qui n'en a pas l'air et vous fait vibrer au moindre sourire croisé. Un véritable baume au cœur dans cette période pour le moins troublée… Merci, M'sieur Reboux!"

Dominique Garnier, librairie L'Invit'à lire, Paris.
"Un ouvrage foisonnant, qui aborde Paris et ses rencontres (avec une belle mise en avant de notre cher 10e arrondissement), la physique quantique, le chat de Schrödinger, des situations baroques, des personnages mystérieux et attachants. Il est assez rare de se laisser immerger, et parfois égarer, dans un récit avec autant de bonheur."

Jean Argenty, lecteur : "La différence, c'est l'infini". Contribution à lire ici.

Jocelyne Hubert, site Fondu au noir.
"Un roman-feuilleton dans la lignée d'Eugène Sue, Paul Féval et Michel Zevacco, la crème, en somme, de la littérature populaire, qui sait combiner rebondissements narratifs et critique sociale, inventer des personnages hors-normes, plus vrais que les héros de la grande Histoire." Lire ici.

Dominique Val-Zienta, lecteur (Caen).
Je voulais vous dire à quel point j'ai aimé votre roman. Je me suis régalé, amusé, instruit, du début à la fin. Bref, ça m'a fait penser à Umberto Eco, ce mélange d'érudion, de culture, de bonne littérature, et en même temps d'humour et d'autodérision, c'est tout lui. Encore merci pour ce livre."

Marie-Odile Monchicourt, journaliste scientifique, LabOrigins.
"Entre Léa et Bénuchot, je ne sais lequel est le plus quantique ! Super d'avoir réussi à nous entraîner dans ce monde dans lequel j'aime me perdre tout autant que vous. C'est une prouesse ! Merci de m'avoir permis d'avoir passé de si jolis moments en votre compagnie."

vendredi 13 janvier 2017

Itinéraire d'un écrivain gâté : les mots, les maux, les morts, les remords

DE LA LITTÉRATURE À LA VIOLENCE…
Le 9 novembre 2016, alors que je passais récupérer des livres chez mon [futur-ex]-éditeur, je me suis violemment fait agresser (coup de boule + chaise sur la tronche) par un individu surexcité qui n'avait rien à voir avec l'affaire qui m'amenait ; l'éditeur en question n'ayant pas levé le petit doigt pour empêcher l'agression. Cette goutte d'eau faisant déborder un vase déjà bien empli m'a décidé à arrêter d'écrire de la fiction, activité certes plaisante, mais pouvant se révéler extrêmement destructrice lorsqu'elle concourt à vous faire crever la dalle.
En attendant un pamphlet, qui sera assez saignant, je le crains, "Les chaises qu'on abat", avec une préface posthume d'André Malraux, voici une petite bio amusante (du moins, je l'espère).


1958. À peine sorti du ventre de ma mère, une poule m'offre une plume. Au lieu de m'en débarrasser comme aurait fait n'importe quel bébé, j'en fais mon doudou. La poule sera mon animal-totem ; la plume mon médium préféré.

1963. J'écris mes premiers mots avec des nouilles alphabet. J'apprends le gallinais en lisant des gaufrettes amusantes aux poules de la basse-cour désireuses de s'instruire tout en grattant la terre.
1964. Débuts délicats à l'école primaire. Je reste deux jours de rang sans m'asseoir. Au matin du troisième jour, voyant que la maîtresse ne se décide pas à me gronder, je m'assieds. Ça ne m'aide pas beaucoup à comprendre mais c'est moins fatigant et je n'ai plus de fourmis dans les pieds.

1967. Je découvre que le point culminant de l'Ouest (417 m), situé à 15 km de chez mes parents, s'appelle le mont des Avaloirs. Après avoir vérifié la signification de ce mot étrange dans le Petit Larousse et appris que François, le républicain espagnol réfugié à Madré, héros de mon enfance, s'appelait Fransisco Roman, ma décision est prise : un jour, moi aussi je vivrai de mes plumes, je serai écrivain !

1968. Je rentre en sixième, j'ai sauté le CM1, je n'ai pas encore dix ans. J'ai un peu peur de M. Perdereau, le prof de français, avec sa grosse barbe qui n'arrête pas de me dire que les mots sont aussi faits pour être prononcés et que je ne devrais pas être aussi timide.

1970. J'entre en quatrième et ne suis pas autorisé à faire du latin (pour des raisons obscures).

1972. J'entre en seconde. Mon prof de français, M. Grandin, un ancien prêtre défroqué surnommé Narcisse (qui aurait été mon prof de latin si on m'avait autorisé à l'apprendre), me pousse à écrire, écrire, écrire. J'adore son petit chapeau, son petit cartable qui virevolte autour de sa taille comme un corde à sauter, ses airs d'être ailleurs tout en donnant l'impression d'être là.
1978. J'entre à l'école normale d'instituteurs de Caen. C'est une erreur : bien qu'adorant les mots et les marmots, je suis incapable d'enseigner comment écrire aux petits enfants, et encore moins à compter ou à faire du sport. Je quitte l'EducNat au bout de 14 mois.

1980. J'achète une presse à épreuves et j'apprends la typographie pour créer la revue de poésie La Foire à bras, qui publiera 14 numéros. François de Cornière, poète et animateur des Rencontres pour lire, à qui je n'avais rien demandé, me pousse à écrire des nouvelles noires.
1984. Suite à une petite annonce dans Télérama, j'écris mon premier roman, Pain perdu chez les vilains, trop foutraque pour obtenir le prix FR3-Télérama du polar. Jean-François Vilar, président du jury, aura été mon premier vrai lecteur.

1985. Brillamment reçu au concours de contrôleur des PTT, j'abandonne une prometteuse carrière d'ouvreuse de cinéma pour entrer à la Poste. Nommé au Centre de Chèques Postaux de Rouen, place des Emmurées, je fais la connaissance de Jeannette, qui m'inspirera quelques années plus tard la Simone Dubois folle à lier de Poste mortem.

1989. Je suis reçu aux éditions Fleuve Noir, rue Garancière, par la voluptueuse Vassoula Galangau, qui me dit tout le bien qu'elle pense de Fondu au noir. Manque de bol, le Fleuve Noir bazarde la collection à l'élégante couverture blanche où je devais être publié. Aux dernières nouvelles, Vassoula Galangau, traductrice de Danielle Steel, est toujours vivante.

1990. Pain perdu chez les vilains est accepté par la mythique collection Sueurs Froides. Je frise la syncope. Manque de bol, les éditions Denoël, dirigées par un industriel venu du sucre, sucrent la collection et licencient le merveilleux Michel Bernard, qui décédera en 2004. Son remplaçant Jacques Chambon, patron de Présence du Futur, ne voudra pas de mon roman. Ce qui ne l'empêchera pas d'être emporté en 2003 par une crise cardiaque.
Michel Bernard (à g.) en 1966 avec Christian Bourgois
1992. Je crée les éditions Canaille, et je réussis (sans les menacer) à persuader 120 collègues de la Carte bleue de la Poste que j'ai du talent et qu'il est de leur intérêt d'acheter Fondu au noir. Mon père, décédé deux ans plus tôt, ne lira jamais mes livres.

1993. Michel Houellebecq, qui m'est présenté dans un cocktail par mon ami Michel Chevron (les deux se sont rencontrés au festival du 1er roman de Chambéry, l'un est devenu connu, l'autre non, il n'y a pas de justice…) refuse de me serrer la main, alors qu'elle ne porte aucune trace de cambouis, que mon regard est animé des meilleures intentions et que je sais être un compagnon d'ivresse tout à fait agréable. Cette étrange attitude du grand dépressif au regard de poisson mort me hantera longtemps, jusqu'à ce que je découvre l'incroyable vérité lors d'une seconde rencontre, dans un autre cocktail, 21 ans plus tard.

1996. J'entre dans le ventre des éditions Baleine (qui m'en expurgent deux ans plus tard, suite à une indigestion de poulpes). Le massacre des innocents, publié par Hélène Bihéry, obtient le Trophée 813. C'est la gloire ! À Charenton-le-Pont, où je réside, les employés de mairie lisent sous le manteau mon Poulpe La Cerise sur le gâteux, dans lequel le maire Alain Griotteray en prend pour son grade.
1998. Poste mortem obtient le prix du Salon du polar de Montigny-les-Cormeilles. Persuadé que mes talents de raconteur d'histoires finiront bien par me rendre riche et convoité par les plus jolies femmes de Saint-Germain-des-Prés, je démissionne des PTT le jour même de mon licenciement des éditions Baleine.

1999. Cédant aux pressions croisées de mon subconscient et de Dominique-Antoine Grisoni (qui mourra quatre ans plus tard à l'âge de 58 ans, foudroyé par un cancer du cerveau), je révèle urbi et orbi ma passion pour les poules dans un récit autobiographique qui me vaudra de recevoir le Grand prix de la Mayenne, censuré par Le Courrier de la Mayenne (mon évocation de "la fente de la vierge" déplaisant à la très catholique épouse du directeur du journal, cousine par alliance de Christine Boutin) et de revoir trente ans plus tard ma maîtresse d'école, la merveilleuse Paulette Guichard, toujours aussi belle. Il sera pilonné quelques années plus tard par mon éditeur, Flammarion, sans que j'en sois prévenu comme le veut la loi.
2000. En compagnie de mercenaires de la plume encore plus fous que moi, je lance le premier roman-feuilleton du 3e millénaire, Moulard, qui sera fusillé à l'Aube dans une douve d'un château du Lubéron, après six épisodes. Le responsable de la corvée de bois, un sociologue mondialement connu dans sa loge maçonnique et à France Inter, court toujours.

2001. Je mystifie Jean-Bernard Pouy en lui faisant gober que mon Poulpe Parkinson le glas a été écrit par un dénommé Gabriel Lecouvreur.


2002. Lors d'un cocktail des éditions du Masque, Andréa H. Japp me propose d'écrire un roman sur le thème de l'analphabétisme. Sujet en or pour un écrivain ! Manque de bol, la collection s'arrête. Le livre, publié hors-collection, est sabordé par l'éditeur. Bon côté de la chose : Andréa, que je n'ai jamais revue depuis, reste en vie. Tout comme Lætitia Casta, contrairement à ce qu'insinuait le premier titre du livre, Pourquoi j'ai tué Lætitia Casta.

2003. Les éditions du Masque renoncent à publier De Gaulle, van Gogh, ma femme et moi, pour lequel j'avais reçu un avaloir. Le directeur, Didier Imbot, s'expatrie à New York, ce qui lui permet de rester vivant, contrairement à son frère Thierry, impliqué dans une affaire de ventes de frégates à Taïwan et défenestré par des barbouzes.

2004. Apprenant que Patrick Raynal quitte la direction de la Série Noire, j'envoie mon CV à Antoine Gallimard, qui me répond que je suis bien trop maigre pour la fonction.

2005. Je tente de décrocher la lune en fondant les éditions Après la Lune. Et ça démarre très fort ! Mon statut de gérant de SARL me permet d'échapper à une incroyable rafle réalisée en décembre 2005 à l'ANPE du IXe arrondissement. 56 chômeurs convoqués à un entretien individuel se retrouvent réunis et embarqués dans un stage démarrant le lendemain matin. Abasourdi par le procédé, tel l'Abbé Pierre en février 1954, je lance un appel intitulé Chômeurs, qu'attendez-vous pour disparaître ? qui rencontre un grand écho médiatique (Canal +, Libération, France Inter) et donnera lieu, deux ans plus tard, à la publication d'un formidable recueil sociologique dont quasiment aucun media ne se fera l'écho, ce qui n'empêchera pas l'ouvrage de connaître un certain succès grâce à une excellent bouche à oreille des agents de l'ANPE et des associations de chômeurs. 

2006. Pour venger un de ses collègues que j'avais traité de "canard" lors d'un contrôle routier, un flic m'assène un coup de matraque en murmurant à mon oreille que j'ai de la chance que son Sarko chéri ne soit pas président. Ce qu'il niera piteusement devant la ravissante commissaire de police de l'IGS qui nous confrontera, après que j'aie porté plainte contre ce crétin des Alpes au nom prédestiné de Ségrétinat. J'interpelle ce ministre des "Libertés policières" teigneux qui deviendra l'année d'après le président le plus con depuis nos ancêtres les Gaulois, dans un pamphlet qui restera le livre dont je suis le plus fier (et qui est épuisé, ah, ah !).

2007. Souffrant de violentes crises de sarkozia volubilis et pris en charge par des psychiatres aguerris dont je ne puis bien évidemment révéler le nom, je prends une année sabbatique afin de méditer sur ce qui arrive à mon pays et me réfugie dans l'écriture de Je suis partout (les derniers jours de Nicolas Sarkozy) racontant la plongée dans la folie de Nicolas Minus. 
C'est durant cette retraite monastique qu'a lieu le miracle : cinquante ans après ma promesse faite à la Grise qui venait de m'autoriser à la regarder pondre un œuf, mes poules montent enfin sur les planches ! Au bonheur des poules, adapté par Alexandre Letondeur dans une très belle mise en scène de Sophie Brillouet, est une petite merveille !
2008. Condamné à une amende de 150 € avec sursis pour outrage, j'écris avec Romain Dunand, militant libertaire poursuivi par Sarkozy, une lettre à la Garde des Sceaux lui suggérant de dépénaliser le délit d'outrage. Le livre, très argumenté, est accompagné d'une pétition réunissant 20.000 signatures. Rachida Dati reste muette (mais rabroue le sous-fifre qui ose la déranger avec notre bouquin pendant sa dégustation de macarons Ladurée).
Avec Hervé Eon @ Le Maine Libre
C'est alors que je prends la tête d'une bande d'énergumènes résolus à en finir avec ce délit inique qui permet à des flics violents de porter plainte contre leurs victimes et de se faire dédommager. Parmi eux, la magnifique Maria Vuillet, poursuivie par un sous-préfet si bas de plafond que l'état-civil lui attribuera le patronyme de Lacave, et l'immense Hervé Eon, grâce à qui le délit d'offense au chef de l'État sera définitivement chassé du Code pénal cinq ans plus tard.
Le 23 octobre, c'est la gloire, j'ai droit à mon portrait en dernière page de Libération, sous le titre L'outrageur outragé.

2009. Une secte d'intégristes catholiques fondée par un curé espagnol adepte de la flagellation me traîne devant les tribunaux pour diffamation (Après la Lune, 1 - Opus Dei, 0). Ce procès très médiatisé m'offrira le bonheur de rencontrer l'ami Tignous, qui le croque pour Charlie Hebdo, et de rembourser les abyssales dettes qui mettaient en péril la maison d'édition, en vendant l'ouvrage incriminé à 18.000 exemplaires.
Enfilant les habits de détective, je décide de retrouver l'inconnu le plus célèbre de France en passant un appel sur Rue89 : l'homme à qui fut adressé le navrant "Casse-toi pov’con !" En vain. Celui-ci, dont j'apprendrai longtemps après qu'il s'appelle Albert et vit quelque part entre Tolbiac et la porte d'Ivry, aspire à la paix. Dépité, je le rebaptise Fernand Buron et monte un canular qui mystifiera l'AFP, où je suis depuis tricard, ce qui n'a aucune importance étant donné que je n'ai nullement l'intention de me lancer dans une carrière de politicien. Fernand et sa commune de Saint-Martin-des-Besaces (Calvados) auront même les honneurs du JT de France 3 Normandie.

2010. Je fête l'anniversaire de Sarkozy en garde à vue, après avoir tenté de prendre d'assaut l'Elysée en me faisant passer pour Fernand Buron, dans le but inavoué de faire la promotion de mon livre sur la santé mentale de Sarko. Manque de bol, le procureur de la République de Paris se paie le culot de classer l'affaire au motif que "les faits ne sont pas avérés" alors que j'ai brandi ma pancarte Casse-toi pov'con ! devant 150 CRS médusés.
L'année suivante, je remets ça, non loin de l’Élysée, lors de l'apéro casse-toi pov'con, offert par le journal Zelium, avec la complicité d'une cinquantaine de pov'cons et de Daniel Schröpfer dans le rôle de Fernand !
2011. Une ex-flic devenue écrivain me traîne en justice pour un arriéré de 453 € de droits d'auteur (alors que je ne me verse plus de salaire depuis belle lurette), me réclamant 35.000 € de dommages-intérêts. Un ami écrivain devenu riche et célèbre lui expédie le chèque, accompagné d'un haka d'honneur, mais la dame, avec qui j'avais affronté l'Opus Dei, maintient sa plainte.

2013. Un ex-militaire algérien devenu écrivain sous son nom de jeune fille, dont j'avais publié les premiers romans qui allaient le rendre célèbre loin de son bled, et avec qui j'avais commis l'erreur funeste de m'associer, me traite d'escroc. Au lieu de le défenestrer du 7e étage de son penthouse de grand-chef de la willaya des profiteurs du régime algérien comme aurait fait n'importe quel acteur de Série B, je prends sur moi et lui règle son compte avec des mots. Ce qui ne me vaut pas que des ennemis en Algérie.

2014. Après avoir publié 69 titres, mon entreprise dépose le bilan. Soulagement. Ayant du temps libre, j'en profite pour lancer le concept oulipien de "causerie à thème aléatoire" qui me rapportera la somme astronomique de 400 €, et pour faire mes débuts de chroniqueur judiciaire en suivant pour L'Humanité le procès pour outrage de Henri Guaino. Pendant ce temps, l'inénarrable Yasmina Khadra, se prenant pour Mister Hulk, gonfle les pectoraux.

Les éditions Parigramme, chez qui devait paraître L'esprit Bénuchot, annulent la parution du roman.

Dessin : Rodolphe Urbs
2015. Annus horribilis, que je finirai essoré comme un chandail entre les mains rudes de la mère Denis, réussissant, grâce à un auto-coaching très persuasif (ce qui n'est pas dans ma nature de scorpion ascendant sanglier), à ne pas sombrer dans la paranoïa.

  – Un dentiste m'arrache mon bridge de la bouche au prétexte que je n'ai plus le droit à la CMU. Cette plongée dans la France descendante des sans-dents finira "bien", puisque le cabinet dentaire, moins par empathie que par crainte de poursuites judiciaires, me fait grâce des 1.200 € qu'il m'incombait de payer. Traumatisé par cette expérience, je brûle un cierge à la petite souris et renonce à postuler au concours annuel des sosies de Jean Lecanuet.
© La lettre à Lulu

– Une magistrate nantaise considérant que la police a le droit de crever les yeux des manifestants lors des manifestations contre l'aéroport Notre-Dame-des-Landes (notamment), mais n'aimant pas que ce soit répété ailleurs qu'au café du coin, me poursuit pour injures publiques, mais comme dame Brigitte Lamy s'y est prise comme un manche pour déposer sa plainte, je suis dispensé de procès pour cause de prescription.

– Pour faire bouillir la marmite de l'écrit vain, je deviens scribe et rencontre des technocrates gais comme des croque-morts, des éminences grises de la République, dont l'un des promoteurs de la loi El Kohmri, le roué et fort déplaisant Jean-Denis Combrexelle, apôtre de la casse du Code du travail et de la fluidification du dialogue social. Cette expérience physiquement et moralement très dure me brise le dos et l'intellect, en même temps qu'elle me fournit la matière du roman de critique sociale que je rêve d'écrire depuis de longues années, et que je n'écrirai jamais (sauf si un éditeur assermenté me propose un contrat).

Ne croisez jamais son chemin !
– Une mythomane expérimentée répondant à l'improbable nom d'Églantine Laval m'accuse de lui avoir donné des coups de poing sur la voie publique et sur le visage, alors que je me suis borné à lui poser la question : "Et vous arrivez à dormir la nuit ?" Ce qui me vaut d'être poursuivi par le Parquet de Montreuil pour violences volontaires, malgré un verdict sans appel du flic qui nous confronta, concernant la mythomanie de la dingue. Rendu distrait par cette année de folie, je me trompe de date de procès et suis condamné à une amende de 830 € (que je ne paierai pas car c'est pas marqué couillon).

– Last but not least (comme on dit en frangliche). L'esprit Bénuchot, que je rêvais de faire lire à Milan Kundera, est refusé par la collection blanche de Gallimard, et c'est une lettre de Gallimard Jeunesse qui me l'apprend… Mais c'est un mal pour un bien car cette désillusion me permet d'assister au miracle de la transsubstantiation et de communiquer avec l'esprit du grand Gaston Gallimard, ce que peu d'écrivains, pas même Céline, Antonin Artaud ou Jean-Bernard Pouy, n'ont pu réaliser !

2016. Après l'annus horribilis, voici l'année du grand cauchemar. Après m'avoir fait miroiter monts et merveilles, un charlatan se faisant passer pour un éditeur sous le nom bien mal venu de Lemieux m'arrache mon roman L'esprit Bénuchot du ventre en tournant douze fois le couteau dans la plaie. Le livre n'est quasiment pas diffusé en librairie, ce qui ne dérange pas outre-mesure cet éditeur au petit pied, un poil narcissique, toujours content de lui, même quand il y a le feu à la maison, et menteur comme un arracheur de dents.

Le sieur Lemieux dans ses œuvres d'humour noir
Le sieur Lemieux s'apercevant qu'il a dépassé les bornes
Philippe Lobjois, un dur, un vrai !
Non content d'avoir jeté aux chiens ce roman constituant quatre années d'un travail acharné, et de recherches sur la physique quantique, le paltoquet m'accusera d'inventer des "constructions rhétoriques sur un soi-disant préjudice subi" et laissera son toutou-flingueur, un ex-reporter de guerre recyclé dans le conseil psychologique en temps de djihad, dont le nom désuet de Philippe Lobjois camoufle un fauve rugissant doté de roubignoles en acier trempé, hélas atteint d'une maladie dégénérative (les neurones migrent inexplicablement sur les biceps), clôturer huit mois d'un dialogue de sourds épuisant par un coup de boule, avec triple salto de chaise sur le crâne (une figure admirable, digne du cirque de Pékin) que j'esquive car j'ai retenu les leçons de mon vieux maître de kung-fu T'siu-Tao Gins'eng Pok.

2017. Les choses étant ce caleçon, comme disait mon grand-père, il est temps pour moi, à l'âge de 58 balais, de ravaler mes illusions de jeune homme rêvant d'être enfin reconnu autrement que comme un petit farfelu sachant trousser des histoires sortant des sentiers battus mais ne cassant pas trois pattes à un canard littéraire. 
"Suicide quantique", André Lefort
Et voilà pourquoi, youpi-youp, j'ai décidé de ne plus m'emmerder à écrire des fictions qui seront lues par trois pelés et un tondu et ne servent qu'à alimenter la poire d'angoisse qui me dévore le bide depuis que mon Bénuchot, dont personne ne m'a encore dit qu'il s'agissait d'une bouse littéraire, a été jeté avec l'eau du bain par un éditeur dont les errements resteront, et de très loin, ma pire expérience éditoriale en ce bas monde.
  Mais avant de prendre la poudre d'escampette, j'ai décidé de me lancer dans la rédaction d'un ultime essai, Les chaises qu'on abat, précédé d'une préface posthume d'André Malraux, en hommage à mon grand-oncle pasticheur Paul Reboux, dont je rêve depuis si longtemps de mettre mes pas dans les siens.
Ce sera un livre très méchant. Parce qu'il n'y a pas mieux que la méchanceté pour se débarrasser de tous les cynistres enfoirés qui vous pourrissent la vie à coups de matraque, coups de boule, coups de chaise, coups de pied au cul, petits mots blessants, railleries, veuleries, rappels à la loi, rappels à l'ordre, etc. Ce sera un livre littéraire et politique. Parce que je ne conçois pas – peut-être parce que j'ai beaucoup eu à faire à la "justice" et à sa sœur jumelle la flicaille – que l'on puisse faire une césure entre les deux.
Néanmoins, comme je suis nostalgique du petit commerce, j'ai décidé, avant de me retirer, d'ouvrir une modeste librairie après la lune, où, comme à la Samaritaine, on trouve tout (enfin, presque), y compris les livres de mes vrais (et nombreux) amis écrivains.
Et, bien sûr, L'esprit Bénuchot, qui s'est prématurément envolé au-delà de l'horizon de la terra incognita, mais reviendra bientôt en librairie. Et ailleurs. En attendant, on peut toujours commencer le voyage ici.
Passage quantique : briques + ciment + Nemo + Audrey Malherbe