C’était l’été 1974. J’étais jeune et beau, plus timide qu’une bonne sœur, et je fourbissais mes armes de serveur Chez P’tit Louis, restaurant Routiers, à Flers (Orne), tandis que les Turcs et les Grecs se battaient pour de bon, après la décision de la dictature des colonels de réunir Chypre et la Grèce, suivie de l’invasion de l’île par la Turquie, connue sous le nom d’Opération Attila. Le soir, les clients de l’hôtel, des immigrés turcs récemment arrivés en France, pour des raisons davantage économiques que politiques, se pressaient devant la télévision. Comme ils ne parlaient pas un mot de français, ils devaient se contenter des images, qui parlaient d’elles-mêmes. Tout comme leurs visages, où se lisait la frustration chauvine d’hommes exilés à plusieurs milliers de kilomètres de la “mère-patrie".
L’année suivante (1975-76), en Terminale au lycée de la même ville, nous nous retrouvions avec les copains dans ce même café tout proche du bahut, où P’tit Louis et son épouse Colette mettaient à notre disposition un électrophone pour écouter nos disques préférés. J’avais apporté le dernier 33 tours de Henri Tachan. P’tit Louis, qui était chasseur et préparait un bœuf bourguignon du tonnerre, appréciait moyennement quand je passais la chanson La Chasse, qui enchantait nos oreilles fraîchement acquises à l’écologie grâce à la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle, après que Pompidou eût cassé sa pipe, au printemps de la même année. Comme il m’aimait bien, qu’il me faisait grâce de mes consommations et qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de parler “chasse” (ou corrida) sans s’écharper avec les gens dont la passion consiste à tuer des animaux, je finis par m’autocensurer. Et me rabattre sur Ange, Catherine Ribeiro, François Béranger, voire Pink Floyd ou King Crimson.
Si je pense aujourd’hui à P’tit Louis, c’est évidemment à cause de la démission fracassante de Nicolas Hulot, le ministre du Développement pas-du-tout-durable et de la Transition écologique-mieux-vaut-très-tard-que-jamais-mais-c’est-déjà-trop-tard du petit potentat de la start-up nation Emmanuel Macron, que de sombres crétins ont eu la curieuse idée de baptiser Jupiter, alors que Pinocchio lui eût tout à fait convenu, et que ses accointances névrotiques avec des types comme Thierry Coste l’obsédé de la gâchette et Alexandre Benalla l’obsédé du coup de poing et de la matraque mériteraient, si le tenancier de ce blog était coutumier de la démesure, qu’il fût surnommé Petit Poucet, voire Petit Pinochet.