lundi 30 mars 2020

Ne comptez pas sur moi pour vendre mon âme au diable ! par Morgane Hnr, saisonnière agricole (Journal d’un confiné #12)

Il y a quelques jours, dans une allocution solennelle aux troublants accents pétainistes qui provoqua un mini-séisme au cimetière de l’île d’Yeu, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume lançait un appel aux coiffeurs, aux serveurs et eux hôtesses à « rejoindre l’armée des ombres » pour pallier à l’absence des saisonniers étrangers et aider aux travaux des champs.

Morgane Hnr, confinée à Château-Thierry, fait partie depuis vingt ans des travailleurs agricoles saisonniers qui vendent leurs bras aux quatre coins de la France. Ulcérée par cet appel, elle a poussé un coup de gueule, largement repris sur Internet et que l’on peut retrouver sur son blog Vielosophi & Cie.

Dans un second texte, plus  « généraliste  », Morgane évoque les horizons ouverts par la pandémie du coronavirus, dans cet « après » où plus rien ne sera comme avant.

Ne comptez pas sur moi pour vendre mon âme au diable !

J’ai commencé à faire les saisons agricoles il y a plus de vingt ans. Des jobs étudiants, et plus tard la vie en camion. À l’époque ça faisait rêver, c’était une vie de rencontres, de surprises, de mélanges des genres, des milieux et des nationalités, même si les travaux agricoles n’étaient pas les plus faciles et surtout pas les mieux payés... Il y a encore une dizaine d’années, les propriétaires des exploitations pouvaient nous accueillir sur un terrain avec une tonne à eau. Pour le reste on se débrouillait... Des toilettes sèches, un feu de camp, et tout le confort de nos fourgons aménagés de manière plus ou moins spartiate et créative... La vie rêvée, les chiens, les forts en gueule, la musique, la spontanéité, la frugalité, le nomadisme…
Et puis « d’en haut », on est venu mettre des bâtons dans les roues de nos fourgons, dans les roues de nos autonomies frugales... En contrôlant tout, à commencer par nos patrons qui n’ont plus eu le droit de nous accueillir dans ces conditions. Il fallait des dortoirs en bonne et due forme, des Algeco et des sanisettes, chimiques bien sûr. Pour coller à l’Europe et à l’agriculture productiviste. Aux « punks à chiens » rêveurs et grandes gueule (mais bosseurs !) on a préféré faire venir des cars de travailleurs dociles venant de Pologne ou d’ailleurs, qui n’avait d’autre idéal que le gain d’argent (si faible soit-il, parce que dans l’agricole on tire bien les prix vers le bas, vous connaissez l’histoire…).
Après nous avoir confisqué le droit à nous poser, nous faire chier parce qu’on revendiquait le droit de ne pas avoir de domicile fixe, nous sortir tout un tas d’interdiction soit disant pour notre sécurité, le coup de grâce il y a quelques années : le fourgon aménagé par nos soins, notre petite œuvre d’art personnelle ne passe plus au contrôle technique !…
Il y a encore quinze ans (pfiooooouuu comme le temps passe !), vous aviez une main d’œuvre saisonnière motivée, joyeuse, autonome et capable de se déplacer facilement au gré des saisons...
Il vous manque 200 000 saisonniers dès maintenant dans les « champs » de monoculture intensive et productiviste ? Ben... C’est peut-être ça le karma ?…
Ne comptez pas sur moi pour vendre mon âme au diable.
Mais je veux bien vendre ma force de travail à l’agriculture bio et locale, pour soutenir l’effort... de paix.

Une brèche est en train de s’ouvrir


Une brèche est en train de s’ouvrir, une sorte de porte inter-mondes qui s’ouvre un court instant, et nous avons l’opportunité de changer de monde, de modifier le cours des choses et l’ordre établi... Retournons la « stratégie du choc » à notre avantage à nous, le petit peuple des humanoïdes... 
Alors ?… Qui veut bosser deux fois plus pour une durée indéterminée afin de remettre debout l’ancien monde ? Qui veut sauver un système économique qui se nourrit et prospère sur la destruction de la planète ?
Les « dirigeants » nous annoncent déjà qu’il faudra « relancer l’économie 
», celle dont ils détiennent les clés et l’idéologie. Nous aurons juste le droit de nous taire et le « bonheur » d’accumuler un nouveau petit tas de merdes consuméristes... Un petit tas de merdes qui nous appartiendra. Certes. Alors que même le sens de nos existences nous échappe, alors que nous ne sommes même pas responsables ni propriétaires de nous-mêmes.
Nul doute qu’après cela il va falloir « retrousser nos manches », mais aussi « agiter nos méninges », et « se sortir les doigts du cul ».
Si on en profitait pour repartir sur de bonnes bases et redéfinir, ensemble, nos essentiels ?…
Et certain/e/s d’entre nous auront grandement besoin de repos, de vacances, d’attention.
Réfléchissons bien, faisons un effort pour imaginer, penser un autre paradigme, allons-y, lâchons nous, l’imagination c’est sans risque et sans limite... Mais c’est un terreau fertile.



À demain, si vous le voulez bien  !

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