mardi 8 janvier 2019

Jacques Lovichi (1937-2018), dernières fractures du silence

C’est une chose étrange que la disparition de gens qu’on n’a jamais rencontrés mais qui ont pris une importance particulière dans votre vie. Une boule se creuse au fond de la gorge, ce n’est pas le deuil d’un proche, pas non plus celui d’un chanteur qui vous a accompagné depuis votre enfance, mais l’émotion vous étreint de la même façon. J’apprends avec beaucoup de tristesse le décès du poète “corso-provençal” (ainsi qu’il se qualifiait) Jacques Lovichi, auteur notamment de L’Égorgement des eauxFractures du silence (prix Antonin Artaud) et Préhistoires, dans lequel il écrit ces mots qui auraient fait le miel d’un Léo Ferré :
                       Comme vous êtes en retard  /  ce soir  /  dans les corridors glacés de la mémoire
                       se faufilent les intersignes  /  s’entrecroisent les destinées
                      S’il n’est plus temps laissez leur croire
                      que rien ne presse  /  on est si près  /  si près et puis…  / rien
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Dans Cessation progressive d’activité, publié dans la revue Autre Sud [à lire dans la revue Phoenix, dont il fut l’un des créateurs], il avouait avoir pris son “congé de créativité poétique”. “Il y a toujours un livre de trop. Ne l’écrivons jamais. Du moins, ne le publions pas. Qui sait s’arrêter reste grand.”
Jacques Lovichi, qui participa à l’aventure de la revue marseillaise Sud et fut l’ami de Guillevic, auteur d’une biographie du poète Germain Nouveau, et dont je découvris les poèmes dans les années 80, lorsque j’éditais la revue La Foire à bras, était aussi critique au quotidien La Marseillaise, et c’est à ce titre que nous fîmes connaissance, grâce à sa consœur et amie commune Sylvie Cohen.
  Nos rencontres : de brèves et chaleureuses épistoleries, consécutives à ses critiques dithyrambiques de mes écrits, dont l’obstination foutraque l’enchantait. À chaque fois, ou presque, que je publiais un roman, ce diable d’homme sortait la tête de la “licorne captive” où il résidait, pour en faire l’éloge, et plus c’était foutraque, plus il aimait. (Il fut bien l’un des seuls…)
Je me faisais une joie de l’informer de la résurrection de L’Esprit Bénuchot, dont il dit grand bien dans La Marseillaise du 26 juin 2016, concluant par cette petite phrase renvoyant à l’interrogation  citée plus haut : “Seule question existentielle, et qui inquiète ses lecteurs : après s’être tenu si près des limites – les franchissant parfois –, comment Reboux pourrait-il aller plus loin ; que parviendra-t-il encore à écrire ? Seul le silence, alors ?”
À quoi je serais tenté de répondre, puisque la nouvelle ne parviendra pas à son destinataire : ”À quoi bon aller plus loin, puisque mon lecteur fétiche n’est plus là pour me lire ?”

mercredi 2 janvier 2019

2019, année des foules haineuses avides de sang neuf

Sacrifions à l’usage de la classique carte de vœux (hélas, souvent pieux niveau pépettes, la vie restant, pour la plupart d’entre nous qui gagnons des clopinettes et tirons par la queue ce pauvre diable qui ne nous a pourtant rien fait, un bon gros sac à emmerdes à côté duquel le tonneau des Danaïdes ressemble à une flaque de lait lappée par un chat famélique) pour émettre pour l’an 2019 le vœu de toute évidence et de première nécessité que voici :
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Que les femmes éviscéreuses de poulets illettrées de Bretagne, les Gaulois réfractaires, les cyniques gascons, les sans-chemises, sans-culotte, sans-pantacul, sans-cervelle et sans-logis, les fainéants qui traversent la rue pour aller au bistrot et s’arriment au zinc avec le poil de la main qui leur sert de canne pour ne pas être tentés de faire un crochet par Pôle Emploi, les flatulents obèses qui veulent tout faire péter (mot prononcé par Macron au réveillon, je le tiens de mon cousin Jean-Pierre Rebouxcuistot à la chiourme des légionnaires au Tchad ; au dernier moment, l’expression « flatulents obèses qui veulent tout faire péter », qui allait valoir au président mal loti de s’aliéner les armées de piliers de fast-food buveurs de coca-cola, non encore entrés en jacquerie, n’a pas été retenue pour son allocution [comme le chante Thiéfaine, quand la banlieue descend sur la ville, ça peut faire très mal…], les gens errant dans les gares qui ne sont rien et confondent (on ne le dit pas assez) le buffet et la huche, la droite et la gauche, bâbord et tribord, la glotte et l’épiglotte, l’épithète et l’épigastre, le cuit et le cru, Rollmops et Rolex, les alcooliques consanguins du Ch’nord, les qui têtent les moules à sec au bouchot, les qui se lavent les cheveux au houblon pour ne pas engraisser la famille Dop, les qui ont appris (et oublié) l’or-tôt-graphe dans les nouilles-alphabet, les qui ont une ardoise longue comme le Pas-de-Calais chez Mamie Coop, les qui se grattent le fondement avant de dire un bon mot, les qui réveillonnent dans les poubelles de Courtepaille, les gilets jaunes, casseurs de radars, liquidateurs de péage, brûleurs de pneus, résilieurs de préfectures, caillasseurs de gendarmes, pétanqueurs de CRS, les qui font griller la merguez au rond-point de la ZA des Acacias ayant occasionné 10.000 euros de pots-de-vin, les qui ne dépassent pas le 80 à l’heure pour assécher les caisses de l’État, les qui ne l’auront pas volé si la clique à Le Pen arrive au pouvoir, les Guyanais anti-orpailleurs infoutus de traverser l’Atlantique pour se poser sur la carte de not’beau pays, les qui n’ont jamais vu une cravate de leur vie, portent des chandails troués et gardent le même tee-shirt une semaine de rang sur les ronds-points, les brûleurs d'effigie du petit foutriquet amiénite, les cyniques, les sceptiques, les irradiés, les plaintifs, les irresponsables, les pov'cons (il serait fâcheux d’oublier que la voie du mépris macrogneux pour le bas-peuple fut tracée par Nicolas de Nagy-Boçsa-d’Entre-les-Boues, à qui j’ai consacré un an de ma vie à décrire les turpitudes de “petit garçon pas fini”), les sans-dents qui boivent le Flamby à la paille, et toutes celles et ceux qui s'en prennent plein la gueule pour pas un rond dans les manifs, se faisant tirer comme des lapins, crever les yeux, arracher les mains, casser les os et les pieds, insulter, menacer, mettre en joue, j’en passe et des pires…, pour émettre le vœu, dis-je, que toute cette petite canaille de foules haineuses, goules glaireuses et boules nerveuses, dégagent le paltoquet au cerveau rothschildien de son petit palais…
Après, ça ira (forcément) déjà un peu mieux !
Et pour le reste, l’intime, le familial, l’amical, le particulier, aimez-vous, réchauffez-vous, portez-vous bien, cueillez la vie du mieux que vous le pouvez !