jeudi 19 mars 2020

Confiné des villes et confiné des champs. (Journal d’un confiné # 2)

« Depuis que je suis confinée, je me sens comme un poisson dans l’eau ! »


De qui sont ces mots ? Marguerite Duras ? Christine Angot ? Katherine Pancol ? Rika Zaraï ?Régine ? La Castafiore ? La veuve Poignet ? Mme de Sévigné ? Marlène Schiappa ?… Vous n’y êtes pas du tout, et ce n’est pas moi qui vous en blâmerai…
Mais avant de répondre à cette lancinante question, plongeons avec Jojo le petit poisson confiné dans son bocal, et qui serait bien avisé de s’en plaindre, pour la bonne raison que s’il mettait les pieds dehors il serait bien embêté.
Ces mots sortent de la bouche bien élevée, bien propre sur elle, d’une blancheur confinant à l’immaculé, d’une « femme de lettres » citée dans un papier du Monde intitulé Littérature confinée, littérature libérée et coiffé du chapeau suivant :
La pandémie de Covid-19 nous impose le confinement. Pour tenir bon, pour se tenir bien, on peut s’en remettre aux écrivains, qui savent traverser les désastres [c’est beau comme du Sollers, vous ne trouvez pas ?], et aux livres, ces manuels de survie.
L’auteur du papier, Jean Birbaum, dont j’espère que mon ironie confinatoire ne le froissera pas au cas, improbable, où il lirait ces lignes, précise, à propos de cette bien mystérieuse femme de lettres dont l’être paraît plus proche de la pansée que de la pensée : « L’obligation de demeurer chez elle, au milieu d’une immense nappe de langage*, [qu’on ne confondra pas avec celle, vulgaire, prosaïque, en toile cirée constellée de chiures de mouches, des femmes et des hommes de peine, souvent exemptés de télétravail pendant le grand raffinement coronavarien, j’y reviendrai un autre jour] lui apparaissait comme la plus douce des perspectives. »

Birnbaum poursuit et passe le stylo à un autre écrivain : « On ne sort plus, quel voyage ! Il y a justement chez moi un couloir que je me promets depuis toujours de longer jusqu’au bout. L’heure est venue de ces expériences », ironise encore notre ancien feuilletoniste, Eric Chevillard dans la première de ses « chroniques du confinement », qu’il tient sur Lemonde.fr. Lequel journal accueille aussi un autre journal du confinement, celui de Leila Slimani, prix Goncourt 2018, recluse dans sa modeste masure normande, qui avoue, pour occuper le tant confiné temps, raconter à sa progéniture : « J’ai dit à mes enfants que c’était un peu comme dans La Belle au bois dormant» Personnellement, j’aurais plutôt pensé à un de ces bons vieux contes horrifiques de Perrault, genre Petit Caillou et le Sablier de Tchernobyl, mais passons, je ne suis pas là pour accabler Leila Slimani, ce dont s’acquitte Johan Faerber dans Diacritik.
Hervé Le Corre, confiné gascon. La douce campagne de Leïla Slimani.
Lectrice adorée, lecteur chéri, découvrant cet épisode n° 2 de mon propre journal coronaviresque, te voilà en droit de te dire : “Hou-le-vilain-jaloux-Reboux, pas content que des écrivains bien plus connus que sa pomme lui fauchent l’herbe sous le pied !” Ce qui n’est absolument pas le cas, étant donné que le présent journal, je l’écris pour un public moins vaste (mais tout aussi important), celui de mes ami/es, réels, virtuels, certains, on ne le dit jamais assez, nous ayant quitté bien avant l’ère maudite du coronazoïque.


Si j’évoque aujourd’hui ce sujet, avec une redondance qui pourrait laisser accroire que je n’ai pas grand-chose à dire, c’est uniquement parce que je découvre au réveil (je suis veilleur de nuit), sur sa page Facebook, le coup de gueule d’un autre écrivain, pour qui j’ai un immense respect,
Cet écrivain, beaucoup moins vain que d’autres, je me permets de le souligner benoîtement, s’appelle Hervé Le Corre. Il vit dans des confins gascons, loin des essences germanopratines, a une quinzaine de romans noirs au compteur (les derniers aux éditions Rivages) et, bien que nous ne nous fûmes rencontrés que deux ou trois fois, je le considère comme un âmi [avec un accent circonflexe sur le “a”, il ne s’agit nullement d’une coquille, mais des hardis prémisses d’un débat, qui sera mené un peu plus tard ici-même, pourvu que le coronavirus et le diabète type 2 n’anticipent pas ma rencontre avec la faucheuse].

Mais laissons aller Hervé Le Corre à son courroux (que je partage).

Dans les banlieues, les cités HLM, les quartiers de relégation, on reste confiné dans des apparts pourris, on entend péter le voisin d'à côté, gueuler les gamins du dessous (je sais de quoi je parle, camarades), et quand on va sur le balcon, on voit les aires pelées, les bagnoles en épaves, la supérette fermée parce que des connards l’ont incendiée lors des dernières émeutes. C’est drôle, pas un média, pas un putain de commentateur n'en parle. On se préoccupe des Parisiens (et autres) qui vont se planquer dans leurs résidences secondaires, le cul au chaud et le compte en banque garni, on va chercher des connards d'écrivains qui nous parlent de leur plaisir de la solitude, pour eux ça va, ils ont le temps de travailler, puisque les coquetèles et autres sauteries sont annulés. ce matin, sur France Inter, la gentille Leila Slimani, depuis sa campagne, va nous raconter comment elle s'occupe. Faut dire qu’elle a un bouquin à vendre, et que si les librairies rouvrent (Bruno Lemaire pas hostile, le gouvernement devrait étudier la question), il y a un coup à jouer. Bref, ça va chier. Après l’effondrement partiel, le chaos social.

LIRE AUSSI : Dans le mur, par Hervé Le Corre (Rue 89 Bordeaux)

6 commentaires:

  1. Lu et approuvé.
    Ravie d’être votre amie et de partager vos idées.
    Merci de dénoncer l’indécence de certains écrivains et de rendre hommage à ceux qui n’ont pas pris le melon.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour,
    Merci pour votre article qui m'a bien donné le sourire, et le passage d'Hervé Le Corre que j'adore. Sauriez-vous me dire d'ailleurs où vous avez trouvé le passage que vous avez cité de lui ? Il est génial.

    RépondreSupprimer
  3. Le passade d'Hervé Le Corre provient de sa page Facebook. Merci à vous.

    RépondreSupprimer
  4. Cher Jean-Jacques, hier soir j'ai appris la mort d'un ami (le coeur) que j'imagine abandonné dans son casier congelé tandis que ses deux enfants, seuls dans leur terrible solitude, se demandent à cet instant comment ils vont pouvoir venir retrouver leur père, et toi dans la nuit avec tes mots qui dénoncent la vanité et la bêtise sans coeur et même pas coronarienne, tu me fais rire MERCI ! Je vais faire ta pub parce que tu fais du bien à l'humanité. A plus tard besos.

    RépondreSupprimer
  5. Merci beaucoup, cher, chère inconnu[e]. Je suis très touché par ton petit mot. Toutes mes condoléance et mon amitié pour la perte de ton ami. Oui, le rire, c'est déjà ça (comme disait Souchon). Ce n'est pas grand-chose et c'est beaucoup.
    Je t'embrasse.
    JJ (jeanjacques.reboux@sfr.fr)

    RépondreSupprimer
  6. Tu me connais mais je ne sais pas comment on fait pour ne pas être inconnue même si l'idée de l'être ne me déplait pas et en plus je crois que vue mes messages du jour, tu m'as reconnue...

    RépondreSupprimer