dimanche 20 décembre 2020

Rien ne va plus, texte paru dans le magazine FLUID (Seattle, Paris, New York)

Ce texte paraîtra dans le n° 3 de FLUID CULTURE (Paris, New York & Seattle), qui publia dans son n° 1 (2019) un reportage sur le plus vieux café du canal Saint-Martin, le Pont Tournant (qui ferma ses portes en 2018) et mon roman L’Esprit Bénuchot, qui le suivit de peu, après un baroud d’honneur en juin 2019 lors du festival de street-art, de chansons et de littérature Le Printemps bénuchot.

Il s’ajoute aux 77 autres publiés pendant l’assignation à résidence hiver-printemps 2020, que vous pouvez lire sur ce même blog.


  Rien ne va plus. Les avions ne décollent plus. Les aiguilleurs du ciel jouent au morpion pour ne pas perdre la main. Les hôtesses de l’air deviennent neurasthéniques. Seuls volent les hélicoptères de la police. Les eaux de Venise deviennent vertes mais il n’y a plus personne pour les regarder. Les dauphins narguent les matelots à quai en poussant leurs cris d’écorchés. Les corneilles, les pigeons et les pies n’ont plus rien à boulotter et envisagent de quitter la ville. Des trilles d’oiseaux magnifiques couvrent le bruit des autobus. On voit circuler dans les villes du monde entier des jaguars, des chimpanzés, des daims, un hippopotame, des hyènes. À Paris, des familles entières de canards vont à l’opéra, qui est gratuit mais hélas fermé. Les gardiens du Louvre arthritiques comptent leurs points-retraite en buvant des rasades de rhum arrangé sur What’s app. La Joconde se marre comme une baleine. Le Penseur de Rodin s’endort pendant le service. La tour Eiffel a froid aux pieds. Les bateaux mouche rouillent. Les sportifs rêvent que leurs muscles fondent.

  Certains se mettent à écrire de la poésie, se demandant si le moment n’est pas venu d’écrire le roman de leur vie, mais ils n’y parviennent pas. D’autres n’arrivent plus à lire. Dans les maisons de retraite, les vieux ne peuvent plus sucrer les fraises et s’éteignent à l’heure du souper, doucement, sans faire de bruit.

  Les gens ne respectent vraiment plus rien. L’autorité n’est plus respectée. À la campagne, on voit des gendarmes exténués dresser des contraventions aux vieilles dames qui enfreignent la loi et vont toquer à la vitre de leur époux avec une ardoise ou arroser leurs salades à l’autre bout du village. En Normandie, sept membres d’une famille éplorée écopent d’une contravention de 135 euros pour avoir assisté à l’enterrement de leur vieille mère alors que c’était interdit. À Paris, une femme sans laissez-passer refusant de payer la contravention se fait molester par des policiers qui la menottent et l’embarquent au commissariat.


  Les dealeurs, les cambrioleurs, les mendiants, les curés, les pasteurs, les imams, les rabbins, les ramoneurs, les raboteurs de parquet, les musiciens, les comédiens, les régisseurs, les loueurs de voiture, les VRP multicartes, les émeutiers, les laveurs de vitre, les dentistes, les cafetiers, les kinésithérapeutes, les fleuristes, les libraires, les bibliothécaires, les vendeurs de Marlboro, James Bond, sont au chômage technique. Les infirmières, les urgentistes, les médecins, les aide-soignantes pleurent en comptant les morts. Et leurs morts… Les croque-morts ne savent plus où donner de la tête.

  Et puis arrive l’été. Le bel été. Chacun est autorisé à sortir comme il lui plaît, à faire ce qu’il veut. La vie reprend son cours. C’est la fin du confinement.

  Et puis arrive l’automne et ses feuilles mortes qui emportent les mauvais souvenirs. Et de nouveau, l’horloge du temps s’est arrêtée. À Paris, à New York, à Seattle et partout dans le monde, il est Covid-19.

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