mercredi 9 octobre 2019

Je fais mon cinéma sur ”Double Marge”, le magazine de Littératures et d’Arts

Mon premier film s’appelait Moby Dick. Nous étions en 1964, j’avais six ans, je venais d’entrer au CP à l’école primaire de Madré (Mayenne) et comme mes parents n’avaient pas la télévision, le chef d’œuvre de John Huston restera longtemps perché au sommet de mon panthéon. À défaut de “faire mon cinéma” avec de la pellicule et des créatures de chair, je le fis avec des cocottes à plume, comme je l’ai raconté dans C’est à cause des poules, roman d’apprentissage récompensé par le Grand prix de la Mayenne 2000, hélas pilonné par son éditeur félon, Flammarion. On se console comme on peu…

Puis vint le cinéma, le vrai. Nous étions en 1969, dont j’ignorais évidemment qu’elle serait une année érotique. Et pourtant… Mes deux premiers films “en ville” étaient on ne peut plus imprégnés de cet érotisme torride chanté par Gainsbourg. Et de violence, aussi. Baptême du feu au Vox à Pré-en-Pail, avec mes sœurs Gisèle et Éliane. Shalako, western d’Edward Dmytryk, jamais revu depuis. Brigitte Bardot donne à voir ses formes, véritable appel à l’incandescence pré-pubère, et la réplique à un Sean Connery pétaradant dont je réaliserai longtemps après que nous avions exactement le même nez, ce qui ne sera pas sans conséquence sur mes illusions de jeune homme longtemps effarouché par la gente féminine. Merveilleux souvenir d’une époque où chaque bourg français de deux mille habitants possédait son cinéma !

Deuxième essai (grandiose) au Familial de Couterne (Orne) : Il était une fois dans l’ouest, de Sergio Leone, avec qui vous savez, interdit aux moins de 12 ans. J’en ai onze et ma sœur Éliane qui m’accompagne a du mal à me convaincre que je n’ai rien à craindre : nul censeur infiltré dans ce cinéma catholique ne viendra me déloger, personne ne m’empêchera de voir la sublime Claudia Cardinale évoluer dans un bain de mousse érogène. Et la horde des méchants longs manteaux emmenés par un Henry Fonda dont je mets un certain temps à comprendre que c’est un acteur et non pas un vrai sadique recruté à sa sortie de prison, tellement il fiche la trouille.
Longtemps, je crus que cet homme était réellement un méchant.
Années 80. Je monte à Caen pour effectuer mes humanités. École normale d’instituteurs, quatre premières années de fac, autant à éditer une revue de poésie, et surtout à fréquenter le Lux, ex-cinéma paroissial où je deviens ouvreur bénévole, ce qui me permet d’ingurgiter une ribambelle de films, sous les auspices de l’austère prince du cinéma M. Benoist, et m’inspirera le roman Fondu au noir. Titre emprunté à l’unique film de Vernon Zimmermann, Fade to black, où un employé aux bobines dans une major d’Hollywood tue ses ennemis en parodiant des meurtres vus au cinéma. Le pitch ? Richard Drexter, ouvreur de cinéma à Little Rock, Kansas, devenu aveugle à force de s’être usé les paupières sur l’écran, tombe dans les rets d’une créature aussi sublime que vénéneuse. La question me vient à l’esprit alors que les lasers miraculeux des ophtalmologues des Quinze-Vingts viennent de réparer un mien décollement de rétine potentiellement porteur de cécité : cette créature ne serait-elle pas tout simplement… le cinéma, qui vous happe et vous hante jusqu’à l’ultime fondu au noir ?

Quelques années plus tard, j’achève ma carrière d’ouvreur au Paris, avenue du 6 juin, racheté par M. Brébant, propriétaire du Napoléon, sur les Champs-Élysées, qui venait de débaucher Thérèse, ouvreuse à l’ABC, le cinéma porno de l’avenue de Vaucelles, récemment clos – et où je n’ai jamais mis les pieds – et son époux projectionniste. Max Pécas côtoyait Purple rain et Evil dead, nous riions beaucoup, les spectatrices étaient belles, je portais pour la première et dernière fois de ma vie une cravate, et je n’oublierai jamais ce singulier spectateur obèse un peu attardé qui craignait deux choses : qu’on lui vole son vélo cadenassé devant le hall et que La Belle et le Clochard ne soit un film qui “parle du bas” [sous-titré], alors qu’il venait le revoir chaque après-midi…
1985. Un concours des PTT m’arrache à la douce province normande. Glorieuse montée à Paris, après une étape aux Chèques Postaux de Rouen, place des Emmurées – toujours, cette chambre noire qui rôde ! Le cinéma n’adaptant aucun de mes romans (même pas Fondu au noir, misère !), je me contenterai d’être un spectateur assidu, de plus en plus exigeant – il ne faudrait voir que des chefs d’œuvre ! –, abandonnant en rase campagne un cinéaste dès qu’il commet un film médiocre. Ce sera le cas de ce pauvre Woody Allen et son insupportable Trouble with Harry (1997).
1998. Quelques maîtres ès-quolibets du Masque et la Plume, emmenés par l’exécrable Serge Kaganski des Inrockuptibles, taxent ce pauvre Philippe Collin, critique à Elle, de dandy, qui eut le mauvais goût de ne pas s’incliner avec dévotion devant The Big Lebowski. Je prends la plume pour défendre le malheureux et tirer à boulets rouges sur ce film pachydermique (pardon pour John Goodman !) qui m’avait insupporté et faillit me fâcher avec quelques bons amis, où les frères Coen, non sans s’être livrés à quelques misérables exercices de recyclage de leur propre matériau cinématophère, telle la séquence de la chute du génial Grand saut (The Hudsucker proxy). Jérôme Garcin lit à l’antenne ma lettre énervée où j’avouais avoir eu, pour la deuxième fois de ma vie (après L’Unique, phénoménal navet de 1985 avec la cantatrice Julia Miegenes), envie de casser la gueule… à un écran ! (Je n’exagère aucunement.) Je n’étais pas peu fier de ce qui fut ma première critique de cinéma, et, pensai-je, la dernière. J’avais tort…

2019. Kits Hilaire monte avec quelques complices Double Marge, magazine de Littératures et d’Arts, et me propose de me confier une rubrique cinéma. Je relève le gant. À défaut d’écrire de la fiction, écrivons sur la fiction et amusons-nous. Ainsi va la vie.
Mes premières critiques, intraitables, aussi bien dans la bonne que la mauvaise foi, sont à lire à la rubrique cinéma de Double Marge
Au programme : Roubaix, une lumière, d’Arnaud Despléchins ; Perdrix, d’Erwan Le Duc ; Give me liberty, de Kirill Mikhanovsky  ; Viendra le feu, d’Oliver Laxe. 

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