samedi 21 mars 2020

Le narcissisme indécent de l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson (Journal d’un confiné au temps du coronavirus, # 3)

Après le cruel exil normand de Leïla Slimani, dont je faisais hier état, après cette pauvre Marie Darrieussecq, obligée de planquer sa voiture immatriculée 75 au garage et d’utiliser sa vielle 203 à clignotant extérieur pour éviter que des hordes de gueux ne se lançassent à ses basques dans le but de la reconfiner, il semblerait que les écrivains ayant pignon sur rue (et compte en banque sur cour) paient un lourd tribut au confinement coronavarien.

Sans attendre l’inévitable Partouze onanistique de Houellebecq que ne va pas manquer de nous infliger Les Inrocks, et pour contrebalancer ce festival d’indécence infatuée, j’ai décidé d’ouvrir ce journal à des amis écrivains (ou pas). L’ami Gérard Alle essuyera les plâtres, qui vient de pousser un coup de gueule sur Facebook.
Mais avant, deux mots sur un autre écrivain à la mode de quand, qui me court sur le haricot depuis un certain temps, et dont La Panthère des neigesprix Renaudot, s’il vous plaît, a séduit un demi-million de confinés : Sylvain Tesson.
Fils du grand réac Philippe Tesson qui le prénomma Sylvain (homme des bois) en hommage à L’Amant de Lady Chatterley, Sylvain Tesson est un écrivain-voyageur. C’est-à-dire qu’à la différence des écrivains-casaniers, capables d’écrire tout en restant chez eux (c’est mon cas), il ne peut écrire qu’en voyageant, ou tel Ulysse, en rentrant au pays, après avoir voyagé, si possible en faisant payer son billet d’avion par son éditeur. C’est bien simple : les neurones de l’écrivain-voyageur (généralement conçu à la hussarde, sur un canapé, une table, ou au grenier) ne supportent pas le confinement. Même en ouvrant grand la fenêtre. (Des hommes de science se sont penchés sur le sujet, voyez Wikipedia, pas le temps de vous expliquer.) Est-ce une tare ? Un avantage ? Les deux, mon adjudant ? La question nous emmènerait trop loin et, par les temps qui courent, le voyage se fait à dada sur mon bidet, à demeure : con-fi-néComme aimait à la dire l’abbé Gérard Poitevin, à qui revint l’honneur de me baptiser, le 31 octobre 1958 : confinus confiteor confitures.


Ainsi s’exclame Sylvain Tesson sur France Inter, dans un entretien avec la philosophe Léa Salamé, où il nous assène quelques vérités puissantes, qui auraient, dit-on, impressionné Jean-Michel Blanquer, l’homme à face d’endive mal décongelée qui fait peur aux enfants (lequel fera l’objet d’un prochain journal confiné).
C’est tellement beau qu’on dirait du Jean Viard, ce grand sociologue spécialiste du “temps libre”, grand enfonceur de portes ouvertes à France Inter et qui offre la particularité d’avoir été l’un des rares candidats Macron infoutu de laminer son adversaire aux législatives de 2012 !
Vous, je ne sais pas, mais moi, quand je lis ce genre de truc, j’ai le cerveau qui se déconfine !
Non, mec, en ce moment, la double peine, c’est pas de ce côté qu’il faut la chercher. La double peine, c’est celle de gens qui n’ont pas la possibilité de “transformer leurs vies sous pression”, celle des prolos qui vont bosser, dans le bâtiment, les centres de tri postal, chez les négriers d’Amazon, de Deliveroo, d’Uber Eats, celle des caissières de supermarché, celle des taulards, celle des infirmières, des aides-soignantes, des médecins qui essaient de sauver des vies en faisant avec l’incurie du personnel politique qui s’est ingénié depuis vingt ans à bousiller le système hospitalier français.
Aujourd’hui, ajoute finement Tesson, paraphrasant le grand Jean Viard, “la ligne d’égalité entre les gens va se dessiner par rapport au temps”.  Ah ouais, et pas l’argent, un peu ?

Ah ouais ? Et tu penses à qui, mec ? Aux z’écrivains, ces êtres supérieurs, doués d’un cerveau schizophréno-tricéphalopède qui leur permet d’être en permanence branché à la fois sur le monde extérieur et sur leur espace intérieur de confinement, un pied en Sibérie, un autre à Paris ?
Tesson, qui ne craint ni le ridicule, ni la flagornerie, ajoute que le président Macron a incité les gens à lire [et donc pas seulement à se prendre des LDB dans la gueule sans rechigner].
Je me suis précipité sur deux petits romans qui parlent de la retraite, Le joueur d’échecs de Stefan Zweig, et Le Journal d’un homme de trop de Tourgueniev, c’est la possibilité de s’échapper en lisant ou en écrivant.

Interpellé par les auditeurs qui rappellent que les journées confinées sont surchargées, télétravail, scolarisation à domicile, contacts avec les plus fragiles, quête impossible du PQ, sorties discrètes pour appeler sa maîtresse, etc., et que les confinés n’ont pas forcément le temps de relire Balzac, ni Faulkner. [Et encore moins Sylvain Tesson…]

De là à dire que le Covid 19 va poser en priorité ses sales pattes virulentes sur les citoyens morts de trouille, il n’y a qu’un pas, que Tesson n’est pas loin de franchir. Ce qui nous ramène au titre – imparable – du chapeau de France Inter.

La première victoire du virus, c’est la peur !

Dessin Clairefond. Le Figaro
Non, mec, la première victoire du virus, ce n’est pas la peur. Tu devrais un peu décalotter ta pensée et passer moins de temps en Sibérie, Sylvain. La première victoire du virus, c’est la mort. La mort des gens, accélérée par vingt ans d’incurie gouvernementale, d’une gestion DRH de l’hôpital, etc. La mort d’un monde invivable, dont il faut espérer que ceux qui l’ont poussé dans le précipice paieront un jour leurs forfaitures. (Buzyn et tous ses prédécesseurs à la Santé, Philippe, Macron, etc.) La peur, on fait avec. La mort, non.
Ce qui me sidère, avec ce genre d’individu, c’est cette détestable prétention pseudo-philosophique, presque indécente, du propos. Tesson est devenu la nouvelle coqueluche – c’est toujours moins dangereux qu’un virus – d’un establisment parisien qui n’a pas encore compris que le monde où nous vivons est aussi le leur. Et qu’il est foutu. Comme en témoigne cette récente interview au Figaro, sobrement titrée Que ferons-nous de cette épreuve ? où le grand voyageur, rentré en catastrophe en France pour être près de sa famille, déclare, avec des accents chamano-proustiens : Si le coronavirus épargne l’intégrité de notre organisme, il révélera la solidité de notre âme.
Eh, mec, l’âme des gens, c’est pas qu’on s’en fiche, mais c’est pas tout à fait le moment… L’urgence n’est pas là. Et si quelque chose doit sauver ce triste monde, ce ne sera certainement pas la poésie, ni la philosophie, ni la littérature (ou alors, la littérature… scientifique).

À demain, si vous le voulez bien  ! (avec Gérard Alle)

3 commentaires:

Unknown a dit…

J'avoue, moi qui ait toujours rêvé d'en être une (écrivain voyageuse... Désolée...) Des personnages comme lui, enfin, surtout, leur parcours, m'ont toujours un peu fascinée... Jusqu'à ce que je tombe sur cette interview de France Inter, et là j'ai compris... et l' article du nouvel obs en remet donc une bonne couche........
Je suis bien d'accord avec tes propos, sauf vers la fin, je crois que la poésie, et l'imagination, au contraire, peuvent nous protèger de la démotivation et de la résignation... Et donc de la mort.

L'ami Cahuète a dit…

Sylvain Tesson. L'histoire balaiera son nom.

Laure fardoulis a dit…

Tres bon article sur les bêtises que ceux adulés d une certaine critique, donc sollicités, peuvent impunément proférer sans être épinglés. Là, c est fait. Merci.
C est fou ce que ce genre de crise sanitaire peut engendrer de faiseurs de leçons quant à la façon d envisager des stratégies pour survivre moralement, avec le luxe déjà
D envisager cette crise uniquement du côté moral et intellectuel...se révèlent
La fatuité et l eloignement des réalités.