Où il est question des choses me passant par la tête, y compris celles n’ayant rien à voir avec la littérature, telles que ma PASSION (platonique) pour les POULES, mon amour de la LANGUE BÉNUCHOTE et mon AVERSION (épidermique) pour les POULETS.
mercredi 17 juin 2015
"Cavanna, jusqu'à l'ultime seconde j'écrirai" : le (magnifique) film de Nina et Denis Robert
Le film de Nina et Denis Robert sur Cavanna (dont j’ai eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais de lui ici, après le carnage de Charlie) est vraiment magnifique. Comme l’a écrit un critique, c’est un film qui fait valdinguer du rire aux larmes. Les prestations de Delfeil de Ton (qui cingle l’immondice Philippe Val sans trop s’y attarder), de Siné, de son pote d’enfance Jean-Jean et du grand Willem sont particulièrement réjouissantes. Courez le voir !
mardi 2 juin 2015
Le comité de lecture des éditions Gallimard, ou le miracle de la transsubstantiation quantique
Jésus de Nazareth |
Jésus était réputé pour
changer l’eau en vin [je donne ma version dans Le Nonos de canard, nouvelle publiée en 1994 dans la revue viticole
Drunk]. Pour rendre hommage à cette
stupéfiante capacité, et pour Le remercier de Son sacrifice sur la Croix, la
religion catholique fit de ce symbole l’une des clefs de voûte de sa liturgie,
donnant le nom d’eucharistie au miracle qui consiste à ingérer le « corps du
Christ » chaque dimanche à l’office, sans briser le tabou du cannibalisme,
après l’avoir préalablement métamorphosé en une galette de pain azyme collant
au palais, appelée « hostie ». Lors du concile de Trente, en 1551,
l’Église catholique baptisa cette opération (qu’il ne faut pas confondre avec celle du
Saint-Esprit) “transsubstantiation”, ce qui signifie
littéralement : “transformation d’une substance en une autre”.
2015 ans plus tard, la
prolifération des super-héros dans la littérature et au cinéma, la
numérisation, et tout récemment l’imprimante 3D, ont renvoyé le mystère de la
transsubstantiation au rayon des vieilleries mystiques. Partout où se trouve un
ordinateur (c’est-à-dire quasiment partout) on multiplie, on métamorphose, on
transforme, on métabolise, on duplique, on ventile, on disperse la matière.
Le dogme, néanmoins, reste
vivace. Il lui arrive même de retrouver de la vigueur en des lieux si éloignés des
autels de nos églises que même les voies impénétrables du Seigneur n’y permettent pas l’accès. C’est ainsi que l’on a pu, très récemment, relever une expérience de
transsubstantiation dans un endroit peu connu pour être visité par la bigoterie : j’ai nommé le « temple » de l’édition française, les
éditions Gallimard.
De quoi s’agit-il ?
Dispose-t-on de preuves ?
N’est-ce pas une vile rumeur ? Affabulations ? Que dit la “littérature” à ce sujet ?
Justement, la littérature
est muette. Enfin, était. M’étant
personnellement trouvé (tout à fait par hasard) au cœur de cette troublante expérience,
je me propose de briser le silence, en vous racontant comment les choses se
sont passées.
Traces tangibles de l'esprit Bénuchot |
Fin janvier 2015, après
avoir publié une quinzaine de romans, le plus souvent dans des collections de
“genre” (dont trois chez Folio Policier), je me décide à confier le
manuscrit de mon (17e) roman L’Esprit
Bénuchot au fameux « Comité de lecture », qui est aux éditions
Gallimard ce que la Cène est au catholicisme : l’endroit où se prennent, entre
la poire et le fromage, des décisions importantes qui, sans changer la face du
monde, permettront aux heureux élus d’assouvir leur vanité d’écrivain, sinon
d’accéder à la célébrité, voire à la postérité et à l’opulence financière.
Mon intention première était de le soumettre à Milan
Kundera, écrivain pour qui j’ai la plus profonde admiration, dont je partage
l’aversion pour la dématérialisation du livre, et à qui je suis redevable de
cette exergue placée en tête de mon roman : « Le souvenir n’est pas la
négation de l’oubli. Le souvenir est une forme de l’oubli. » Ayant appris que ce dernier
ne siégeait plus au comité de lecture, je soumis L’Esprit Bénuchot à un autre membre du Comité de lecture, Jean-Marie Laclavetine, doublant
l’envoi à Guy Goffette, sur les conseils d’un écrivain publié dans la mythique collection
Blanche.
Les semaines passèrent,
apportant leur lot de refus. Un éditeur trouvera mon Esprit Bénuchot « trop atypique » pour ses prude s
lecteurs ; un autre arguera, après avoir lu un digest de trente pages, que sa maison “ne publie pas de
romans parlant de physique quantique” (sic) ;
un autre (l’infâme Dilettante, pour ne pas le nommer) me reprochera des dialogues “pléthoriques et souvent
creux” ; un dernier regrettant qu’il ne rentrât pas dans le cadre
des ses collections, handicap rédhibitoire. (Comme vous le savez sans
doute, les cadres des maisons d’édition sont généralement étroits, fixés de
surcroît par des géomètres assermentés, soumis à des normes si sévères qu’elles font passer les
ayatollahs bruxelliotes fixant le calibre des topinambours pour d’aimables
marchands de tapis. Fin de la parenthèse.)
Jusqu’à ce jour d’avril, où eut lieu (le mot n’est pas trop fort) le miracle de la
transsubtantiation !
Serge Haroche |
Le matin-même, j’avais serré
la main du prix Nobel de physique 2013 Serge Haroche, l’homme qui réalisa l’un
des rêves d’Einstein en capturant vivant
un photon (et dont j’ai fait la guest-star
de mon roman, en compagnie d’un autre physicien, Etienne Klein), lors de sa
leçon de clôture de la chaire de physique quantique au Collège de France. Persuadé
que cette poignée de main aurait valeur d’adoubement, je rentrai chez
moi, empli d’allégresse. Finis, les états superposés ! Enfin, L’esprit
bénuchot allait quitter l’état “manuscrit mort ; non publié” pour celui de “manuscrit vivant ; publié”. Un
message expédié par les éditions Gallimard faisait le pied de grue sur ma boîte
à lettres électronique.
Je cliquai sur l’icône, au
comble de l’excitation, et lus ceci :
Monsieur,
Nous vous remercions de nous avoir
adressé votre manuscrit L’esprit Bénuchot.
Nous en avons fait une lecture très attentive.
Nous avons apprécié votre écriture,
sentie, nerveuse, enthousiaste – un enthousiasme qui diffuse et donne à votre
texte une tonalité vivante.
D’autre part, quelques personnages
pourraient permettre une identification adolescente, à commencer par Léa, jeune
femme éprise de liberté, rêvant et créant, pleine de vie. Elle porte, avec
Bénuchot, des valeurs fortes auxquelles des ados seraient sensibles :
humanisme, solidarité, liberté.
Cependant, malgré ses qualités, nous
avons choisi de ne pas retenir votre texte. À notre sentiment, la tonalité de
votre projet n’est pas spécifiquement typée « adolescents ». Les considérations
de Bénuchot, homme en grande partie insaisissable au trajet biographique
complexe et bien avancé, donnent souvent lieu à de longs monologues (ou
dialogues) s’apparentant à des leçons de choses : cela, au détriment d’une
intrigue ou d’une trame plus définie et porteuse pour un jeune lectorat.
D’ailleurs, la « caution » jeunesse qu’incarne Léa se trouve largement
assujettie aux agissements, comportements et disparition de Bénuchot, n’étant
de ce fait pas assez actrice.
Nous regrettons donc de ne pouvoir
donner suite à votre projet, et de devoir vous adresser une réponse négative
concernant sa publication.
En vous remerciant de la confiance
que vous accordez aux Éditions Gallimard Jeunesse, nous vous prions de croire,
Monsieur, à l’assurance de nos sentiments les meilleurs.
Le comité de lecture Gallimard
Jeunesse
Monsieur Bénuchot au volant de son taxi |
Je relus la note de lecture,
soulagé que mes dialogues ne sonnassent plus creux et qu’on accordât enfin du
crédit à mon histoire ; stupéfait qu’elle émanât du comité de lecture
Gallimard Jeunesse. C’est que, loin d’être
un brulôt érotique à lire d’une seule main, L’Esprit
Bénuchot n’est pas à mettre entre toutes les mains, et il ne me serait
jamais venu à l’idée de l’envoyer à une collection « pour la jeunesse ».
Je fis donc part de mon
désarroi à Jean-Marie Laclavetine, que je ne connais que par ses romans, son peu
de goût pour le climat germanopratin et ses articles dans Siné Hebdo. Celui-ci me répondit illico : 1°) que mon
manuscrit, simultanément soumis à deux lecteurs du comité de lecture, ne
pouvait être lu que par un seul lecteur ; 2°) qu’il avait été lu par l’autre lecteur ; 3°) que l’avis
négatif de son confrère lui interdisait de le lire ; 4°) que, quoi
qu’indigne de figurer dans la mythique collection blanche de la NRF, il avait
été jugé suffisamment bien ficelé pour être soumis au département Jeunesse des
éditions Gallimard ; 5°) que la réponse n’aurait jamais dû m’être adressée
directement ; 6°) qu’il était sincèrement désolé pour le pataquès.
Fort dépité, mais bien obligé d’accepter cette loi d’airain, j’étais à deux
doigts de sombrer dans un spleen baudelairien (y échappant de justesse en
avalant une lichette de calvados) lorsqu’une voix jaillit dans mon
cortex :
Monsieur Gaston |
« Tu n’as pas été
admis dans la Blanche, mais tu as connu les joies de la
transsubtantiation ! Cela n’est pas donné à tous les écrivains de langue
française ! Même Jean-Marie-Gustave-Antoine-Albert Le Clézio et
Patrick Modiano, tout auréolés qu’ils fussent, n’ont pas connu cet égard ! Estime-toi
heureux ! »
La voix grave, un
tantinet éraillée, évoquait vaguement Antonin Artaud dans ses exercices microphoniques, et j’avais encore toute ma tête.
« La quoi ? »
fis-je, reprenant une rasade de calva.
« La
transsubstantiation ! Tu pensais que ta plume était trempée dans les
affres de la littérature sénescente, alors qu’elle ruisselle à jamais des
bouillonnements de la juvénile jeunesse ! Tu visais les vieux : te voilà chez les jeunes ! De quoi te plains-tu ? »
Mon esprit vacillait. Je
bus une troisième rasade. Priai la voix de répéter. Ce qu’elle fit sans
barguigner. Un quatrième verre trouva le chemin de mon gosier. Le doute n’était
pas permis : c’était lui ! Gaston. C’était Gaston ! Gaston
Gallimard ! Il me rendait visite ! Le matin : la main de Serge
Haroche – presque 55 ans jour pour jour après que le Général de
Gaulle m’eût fait une patouille, dans les bras de ma mère, à La Chapelle-Moche (Orne). L’après-midi : la voix de Gaston Gallimard.
Putain, mes aïeux, quelle
claque !
Trèves de plaisanterie.
Depuis que je suis
transsubstantiationné, mon petit cœur est fragile, la moindre émotion me
bouleverse, et je n’ai pas trop le cœur à rigoler. Et cette mésaventure, si
elle peut paraître banale, et assez peu traumatique, au regard des atrocités du
monde, me paraît symptomatique de la « légèreté » avec laquelle les
éditeurs (l’illustre maison de la rue Sébastien-Bottin[1] ni plus ni moins que les
autres) traite les écrivains frappant à leur porte, surtout à notre époque où
rôde la « mort numérique » – quand
je disais que je partageais les hantises de Milan Kundera, ce n’était pas pour
faire le fanfaron… Refiler les manuscrits non éligibles à la Blanche mais néanmoins
« dignes d’être lus » à la collection Jeunesse n’a strictement aucun sens. Quelque chose m’échappe. Suis-je
déjà trop vieux ? Trop con ? Trop sensible ? Tout cela à la
fois, peut-être… Qui a décidé cela ? D’autres maisons d’édition
pratiquent-elles ce “recyclage” absurde, désobligeant pour les
auteurs, d’une inélégance navrante ? Les auteurs sont-ils à ce point idiots
qu’ils se trompent de cible ?
Milan Kundera |
Merde, Gaston ! Je
sais bien que tu n’es plus de ce monde, mais tout de même, j’avais envie de te
le dire… Les écrivains ne sont pas des chiens. Ils ne tendent pas la patte pour
faire l’aumône (certains, peut-être ; pas moi). Les écrivains sont des
gens qui mourront, comme tout le monde. Sans doute est-ce d’ailleurs, pour
beaucoup, cette obsession de la finitude qui les pousse à se livrer à cette étrange activité qu’est l’écriture, et
qui rappelle, comme c’est drôle, l’étrangeté
quantique dont fait état Serge Haroche dans ses cours au Collège de France,
et qui se trouve être (quelle coïncidence !) l’un des sujets de L’Esprit Bénuchot. Est-ce une raison
pour les achever avant l’heure, en leur infligeant cette absurde double peine ?
Qu’en dites-vous, mon bon Gaston ? (Évidemment, à l’heure où j’écris ces
lignes, la voix de Gaston est retournée aux limbes, je ne puis
donc espérer aucune réponse.)
Simone de Beauvoir écrit
dans La Force des choses : « C’est
un plaisir et un repos de se remplir les yeux avec des mots qui existent déjà,
au lieu d'arracher des phrases au vide. » Je crois qu’il est temps pour
moi d’aller me remplir les yeux (en tout cas pour une durée probatoire et, je
l’espère, provisoire) avec des mots qui existent déjà. Et de mettre L’Esprit Bénuchot au placard-purgatoire en essayant
de le chasser de mon cerveau, d’où il aurait peut-être mieux fait de ne jamais
chercher à s’échapper.
Tiens, je vais envoyer mon
manuscrit, broché, imprimé en Didot corps 12 (à moins que je m’offre un
Garamond), avec une belle couverture en quadrichromie, comme si la main d’un
éditeur l’avait fait livre, à Milan Kundera.
Peut-être qu’il
aimera ?
Ou pas.
[Ajout 15/01/2019. Publié en avril 2016 par un paltoquet qui ne trouva rien de mieux à faire que de le fusiller en faisant payer les balles à l’auteur, le roman renaîtra les 8-9 juin 2019 à l’enseigne des éditions Après la Lune, ressuscitées pour l’occasion, lors du Printemps bénuchot, qui se tiendra le long du canal Saint-Martin.]
[Ajout 15/01/2019. Publié en avril 2016 par un paltoquet qui ne trouva rien de mieux à faire que de le fusiller en faisant payer les balles à l’auteur, le roman renaîtra les 8-9 juin 2019 à l’enseigne des éditions Après la Lune, ressuscitées pour l’occasion, lors du Printemps bénuchot, qui se tiendra le long du canal Saint-Martin.]
1. Rebaptisée rue Gaston-Gallimard, oui, je sais… Mais si j’écris
« l’illustre maison de la rue Gaston-Gallimard », on me rétorquera à
bon droit que Gallimard n’est pas le nom
de la rue, mais celui de la maison, et cela risquerait de nous emmener
loin, trop loin, dans un débat toujours compliqué sur les fameux « états
superposés » qui régissent la physique quantique (obsession de L’Esprit Bénuchot) : « Une
maison peut-elle être à la fois une maison et une rue ? » Une rue
d’édition ? Gaston Gallimard avait fondé une maison, pas une rue
d’édition, et je ne suis pas certain que l’irruption du chat de Schrödinger
dans cette affaire adoucirait les angles. Donc (et vous pourrez remonter
là-haut dès que vous en aurez terminé avec cette note de bas de page) :
rue Sébastien-Bottin me semble plus « convenable » que rue
Gaston-Gallimard.
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