La totalité des manifestations culturelles du printemps 2020 ont été annulées en raison de la Grande assignation à résidence du Covid-19. Le Printemps bénuchot 2020, dont la première édition eut lieu il y a un an, n’a pas fait exception à la règle. Mais pas pour les mêmes raisons. Créé dans le but de ressusciter un livre en perdition (une première mondiale), le Printemps bénuchot était en effet un festival “à usage unique”. Il se fallut de peu qu’il n’ait tout bonnement pas lieu, à cause d’un virus beaucoup plus discret : le Papagayo-19.
Retour sur une expérience unique et étrange, entre apothéose et catastrophe, qui se tint les 8 et 9 juin 2019 à Paris, le long du canal Saint-Martin : le 1er festival en plein air de littérature, musique, chansons et street-art !
Retour sur une expérience unique et étrange, entre apothéose et catastrophe, qui se tint les 8 et 9 juin 2019 à Paris, le long du canal Saint-Martin : le 1er festival en plein air de littérature, musique, chansons et street-art !
Sur le papier, c’était une idée un peu folle, mais faisable car basée sur un concept marketing béton, puisque bimillénaire : la résurrection.
Le ressuscité ? L’Esprit Bénuchot, roman « maudit » passé du berceau au caveau en avril 2016, non diffusé en librairie, et dont la lente agonie se terminera en novembre de la même année, lorsque, venu récupérer des livres chez l’éditeur, ma face déconfite croisa les poings d’un certain Philippe Lobjois, ex-reporter de guerre aux biceps en acier trempé et à la tête brûlée, auteur d’un fumeux Ne pas subir : comment réagir en cas d’attaque terroriste et ami de mon « éditueur » félon (dont le nom ne saurait écorcher ce clavier), qui m’abattra sur le crâne une doublette coup de boule/coup de chaise, épisode que j’ai prévu de raconter dans mon testament littéraire Les Chaises qu’on abat (voir plus loin).
Nanti de 450 exemplaires du livre (magnifiquement relooké par Audrey Malherbe), de 2.000 ex du supplément La Résurrection imprimé pour l’occasion, du pactole constitué grâce à la générosité de 96 mécènes, de l’énergie qui sied aux désespérés, je décidai donc d’organiser une kermesse urbaine, singulière et plurielle, réunissant littérature, musique, chanson, street-art, et baptisée « Printemps bénuchot » en hommage au défunt.
L’Esprit Bénuchot ayant comme centre de gravité le Pont Tournant, le plus vieux café du canal Saint-Martin, qui venait de rendre l’âme après 40 ans de bons et loyaux services, je jetai mon dévolu sur le mur de street-art de la pointe Poulmarch, dont 15 années d’œuvres sont répertoriées sur le site Bénuchot. L’idée était simple : occuper l’espace pendant 48 heures en invitant artistes, écrivains, musiciens, badauds et médias. Les médias ne vinrent pas, à l’exception de l’ami Hubert Prolongeau, qui narra dans Télérama.fr ce qui serait le premier (et dernier) Printemps bénuchot.
Création Claire Le Gac |
L’espérance de vie moyenne d’une fresque à cet endroit (partie basse) étant de 8 jours, je confiai à mes attachées de fresque Audrey et Hélène Malherbe le soin d’élever la cime de la fresque à 5 mètres de hauteur, de façon à ce que la trace du passage de Bénuchot, que ne manqueraient pas de photographier passants et touristes, restât en place plusieurs semaines, voire plusieurs mois, me permettant ainsi d'aller vendre L'Esprit Bénuchot à la criée sous ce mur de réclame.
Comme on va le voir, ce n’est pas vraiment ainsi que les choses se passeront. Un an avant le coronavirus, un autre virus guettait : le Papagayo-19 !
Le 8 juin 2019 au matin, après six mois d’un travail acharné avec ma complice Claire Le Gac, muni des autorisations nécessaires (préfecture de police, mairie de Paris, syndic de copropriété du mur), je débarque sur les lieux des festivités au volant de ma fidèle Clio 1991 chargée de pots de peinture. Un incident regrettable, imputable à la (navrante) société de location Avis nous ayant empêché de livrer la veille les échafaudages, leur arrivée sera reportée de 12 heures, pendant lesquelles se déroula à notre insu un étrange phénomène de substantiation, transformant la pointe Poulmarch en un mur instagrammable, à la base de tous mes emmerdements.
Comme on va le voir, ce n’est pas vraiment ainsi que les choses se passeront. Un an avant le coronavirus, un autre virus guettait : le Papagayo-19 !
Le 8 juin 2019 au matin, après six mois d’un travail acharné avec ma complice Claire Le Gac, muni des autorisations nécessaires (préfecture de police, mairie de Paris, syndic de copropriété du mur), je débarque sur les lieux des festivités au volant de ma fidèle Clio 1991 chargée de pots de peinture. Un incident regrettable, imputable à la (navrante) société de location Avis nous ayant empêché de livrer la veille les échafaudages, leur arrivée sera reportée de 12 heures, pendant lesquelles se déroula à notre insu un étrange phénomène de substantiation, transformant la pointe Poulmarch en un mur instagrammable, à la base de tous mes emmerdements.
Je gare ma voiture, décharge les pots de peinture, et c’est alors qu’intervient le grain de sable (pas du tout quantique) qui fera de ce Printemps bénuchot un gymkhana urbain façon After hours, quelque peu surréaliste, sous la forme d’un vigile qui, me voyant déposer mes pots de peinture, m’interpelle :
– Euh, vous comptez peindre ?
– Bien vu, jeune homme !
– Ah, mais vous ne pouvez pas ! Le mur est déjà occupé, je suis payé pour le surveiller.
L’occupation ressemblait à ça (sans les poseuses) :
– Vous avez une autorisation ? fis-je, sourcilleux.
– Pas besoin d’autorisation, c'est un mur d’expression libre.
– Oui, mais quand on peint une fresque, il faut une autorisation du syndic de copropriété, surtout s’il s’agit de publicité, comme c’est le cas.
Le mec rigole, me prenant manifestement pour le blaireau de l’année.
– C’est pas moi qui organise ce truc, je suis juste payé pour surveiller, j’ai pas dormi de la nuit. Je suis très mal payé, en plus.
Plutôt que d’attendre les copains partis chercher les échafaudages à Montreuil, j’explique au gars la différence entre un artiste qui peint une œuvre et une entreprise qui organise un événement publicitaire, comme c’est le cas de PAPAGAYO. Autant pisser dans un violon. Le mec est bouché. Il finit par sortir le mot qui tue : l’abominable PAS DE SOUCI (lancé de façon inappropriée par des millions de citoyens au cerveau lyophilisé). Qu’il finira, devant mon exaspération, par répéter une quinzaine de fois, en rafale, provoquant chez moi un réflexe pavlovien, façon Jean Gabin dans Le Jour se lève.
– Mais tu vas la fermer, espèce de crétin !
La main qui part en chiquenaude. Coup de pied à la tempe du vigile. Je me retrouve à terre, valdinguent les lunettes. Lobjois m’aurait-il envoyé un fils spirituel ! Le mec s’acharne. J’esquive, me relève, récupère mon verre déboité. Le type appelle les flics, il veut porter plainte. Je textote des SOS à deux ou trois amis, me voyant déjà commencer le festival au commissariat. À la patrouille arrivée fissa sur les lieux, j’explique que je me suis pris le bec avec ce vigile surveillant une manifestation non autorisée et produis l’autorisation de la PP. Prenant note, une fliquette relève mon identité, et la patrouille repart. [Je recevrai six mois plus tard une prune digitale majorée (380 €) dressée par l’un de ces bâtards – ACAB, ACAB, ACAB ! – pour stationnement dangereux sur piste cyclable – que je ne paierai pas, grâce à mes relations à la PP, faut pas déconner.]
Making-off, côté canal (avec le concours des artistes DK Wini Lelahel, Patrick Pinon, Audrey Malherbe, Hélène Malherbe, Slice Slimene Khebour)
Making-off, côté canal (avec le concours des artistes DK Wini Lelahel, Patrick Pinon, Audrey Malherbe, Hélène Malherbe, Slice Slimene Khebour)
Le « staff » de Papagayo.com est lui aussi arrivé, autour de son égérie Carine Arasa, sous la surveillance de la terrible créature jaune et d’un type inquiétant semblant être son époux et éprouver une grande nostalgie de l’Algérie française (j’apprendrai plus tard que ces lascars sont des amis des repris de justice Balkany, ce qui situe un peu le niveau intellectuel).
J’explique à Miss Arasa que si elle avait demandé une autorisation au syndic, selon le code de bonne conduite en usage, on lui aurait répondu que le mur n’était pas libre ce jour-là. Elle me répond qu’elle travaille sur ce projet depuis un an et se met… à pleurer.
Comme je ne suis pas un monstre, je la réconforte. Sous le regard noir du vigile qui, ayant entretemps rameuté cinq ou six potes à capuche dans le but manifeste de m’intimider, ne comprend plus rien à ce cirque, et finit par s’éclipser, dégoûté, non sans avoir été morigéné par une amie qui lui expliquera : “Mais tu te rends compte que tu aurais pu tuer un homme, petit imbécile ?”
Pendant deux jours nous devrons supporter le ballet incessant de jeunes gens de la bonne société venus se faire photographier bras en croix entre deux ailes d’une mocheté sans nom, le tout retransmis sur le site de Papagayo, grâce aux subtilités de cette profession 2.0 nouvelle, qui révolutionne, dit-on, le B.A.ba de la pub à l’ère numérique : les terribles et incontournables influenceuses, dont voici le Top 6 et le Top 95, concernant la mode (milieu où elles sévissent le plus).
Le staff Papagayo, cornaqué par la terrible créature jaune (dont il m’arrive encore, un an après, de la retrouver dans mes cauchemars, crachant le feu, tel un dragon de Castaner), nous interdit de peindre le centre du mur, un comble, alors qu’ils sont là sans aucune autorisation. (Je sais, je radote.)
Je suis tellement abattu que je ne suis plus en mesure d’assurer la table ronde que j’avais prévu d’animer avec mes invités Michel Chevron, Alexandre Dumal et Patrick Mosconi, dont le thème, « Le Diable est dans les détails », s’accorde parfaitement avec cette situation ubuesque. (Je vous revaudrai ça, les amis, promis !)
Idem pour la libération du chat de Schrödinger, qui n’aura pas lieu, au grand dam de quelques connaisseurs venus y assister, alertés par l’article de Télérama. (Ce n’est que partie remise : je sais où nichent ses ravisseurs !)
Ironie du sort : pendant l’averse (redoutée par tout organisateur de kermesse) du samedi après-midi, le staff de Papagayo trouvera l’asile sous l’auvent bénuchot. Nous en remercieront-ils ? Non, évidemment.
Le concert de Nikol (Christian Roux et Nicolas Gorraguès) se déroule sous un temps mitigé. Normalement, l’ami Christian devait se produire avec son groupe Karnage Opera, mais des contraintes budgétaires nous ont empêché de programmer cinq artistes.
Je termine la journée du samedi essoré, à peine revigoré par le sublime cocktail concocté par Félicie. Mais les gens sont venus, et ils ont apprécié.
Caroline Gérard, Patrick Mosconi, Pierre Butic, Sylvie Cohen, Brigitte Guilhot |
Ironie du sort : pendant l’averse (redoutée par tout organisateur de kermesse) du samedi après-midi, le staff de Papagayo trouvera l’asile sous l’auvent bénuchot. Nous en remercieront-ils ? Non, évidemment.
Avez-vous déjà vu homme aussi élégamment chapeauté ? À gauche, Pierre Brasseur. |
Christian Roux, Nicolas Gorraguès (duo Nikol + Karnage Opera) |
La reine Christine surveillant la jauge du cocktail |
Patrick Pinon, très remonté contre Papagayo-19, contraint à l’exil |
Making-off, côté rue
Hélène Malherbe et DK Winni Lelahel |
Dans un univers “non-papagayo”, les 2/3 supérieurs et la bouse centrale auraient été recouverts. |
Le team Papagayo est toujours là. Afin d’éviter la guerre, nous accédons à leur demande de ne pas recouvrir de peinture les ailes entre lesquelles viennent poser des escouades de fans réjouis par cette extraordinaire expérience sensuelle. Étrange coexistence entre deux mondes qui n’ont strictement rien à se dire (un peu comme si vous mettiez face à face un Gilet jaune et un CRS de Castaner). Et qui serait comique si je n’avais passé autant de temps à préparer cette fête. L’Être et le Néant. Incompréhension absolue. Impression de ne pas parler la même langue. À 15 heures, Pandémic Papagayo plie bagage. Bien évidemment, ces gens (qu’ils gèlent en enfer jusqu’à la 4e génération) n’auront pas un mot de remerciement, ni d’excuse pour nous. Parangons d’un libéralisme décomplexé dans le sens le plus macronien du terme, assez friqués pour s’offrir (au noir et au rabais, faut pas déconner !) les services d’un vigile, assez culottés pour privatiser l’espace public sans se soucier des règles élémentaires d’urbanité urbanistique, ces individus pensent avec le smartphone 6G qui leur sert à la fois de portefeuille, de gonades et de cerveau.
La table ronde avec Laurence Biberfeld, Kits Hilaire et François Muratet, sur le thème « Quand l’Histoire fait des histoires », impeccablement animée par Nicolas Jaillet, est d’une haute tenue.
Quand l’Histoire fait des histoires : Kits Hilaire, Laurence Biberfeld, Nicolas Jaillet, François Muratet |
Puis Nicolas Jaillet, dont c’est le premier concert en plein air, chante et gratte la guitare, accompagné par une muse enamourée jaillie de la foule. (Cet homme est pourvu d’un magnétisme étonnant.)
Nicolas Jaillet, accompagné par sa douce, sous les yeux d’un fan aux doigts croches. |
Avec Rémi, Philippe, Violette et Isabelle / Avec Little Benji devenu grand. |
Chantal, libraire du Printemps bénuchot |
L’Esprit Bénuchot restera donc un roman écrit… pour des prunes. Quatre ans de travail jetés à l’ours. (Pardon d’avance à celles et ceux qui ont adoré ce bouquin, qui reparaîtra – peut-être – sous le titre Le Jour se lève et c’est déjà la nuit, aux alentours de la 4e Grande assignation à résidence, c’est-à-dire à une date assez aléatoire.)
Fini la grande farce de la fiction. Comme l’écrit Louise Chennevière dans une tribune publiée sur lundi.matin pendant la Grande assignation, reprise et commentée sur mon Journal déconfiné : La littérature est morte, vive la littérature ! Écrire n’est pas un métier comme les autres. Écrire n’est pas un métier.
C’est pourquoi, après avoir publié 19 romans, quelques essais et une moultitude de papiers énervés sur divers sujets me hérissant le poil, et m’être bien fait cracher à la gueule par des éditeurs parfois très mal élevés (Flammarion et ses méthodes de voyou, Le Masque, l’éditueur de Bénuchot, pour n’en citer que trois), je me suis recyclé dans une activité, totalement éloignée de la littérature mais beaucoup plus lucrative, de veilleur de nuit, pendant laquelle je me consacre à l’écriture de mes mémoires, immodestement intitulées Les Chaises qu’on abat, en hommage à André Malraux, qui m’a promis une postface posthume. Cet ouvrage reprendra quelques-unes des 68 rubriques de mon Journal d’un confiné déconfiné, écrit pendant la Grande assignation à résidence ®Covid-19, ainsi que d’autres, souvent méchants. Il paraîtra aux alentours du 3e Confinement (dont la date n’est pas fixée). Ou pas.
Reboux terrassé par le virus Papagayo-19 (début XXIe siècle) sous les yeux de la terrible créature jaune |
Pour acheter L’Esprit Bénuchot à la librairie Après la Lune
Les 44 rubriques du site L’Esprit Bénuchot.
J’avais prévu de “démarcher” un maximum de librairies, notamment en leur proposant le principe (inédit et révolutionnaire) de vente à la criée devant la librairie. Découragé par ce très éprouvant Printemps bénuchot, j’ai (provisoirement ?) renoncé. La liste des (13) librairies disposant de L’Esprit Bénuchot est ici. Il est également possible de le commander dans n’importe quelle librairie.
Télécharger gratuitement La Résurrection (48 pages)Les 44 rubriques du site L’Esprit Bénuchot.