vendredi 29 mai 2020

Pulsions. Camélia Jordana, Christophe Castaner, Philippe Besson : la vie, la mort et le néant (Journal déconfiné #67)

Samedi 23 mai, sur le plateau de On n’est pas couché, émission de télé que l’on croyait morte, comme son animateur Laurent Ruquier, un pugilat oppose, sous les yeux ébaubis de l’écrivain Tonino Benacquista qui n’y prend pas part – ô comme j’aurais aimé être à ta place, Tonino, pour mettre mon grain de sel ! –, Philippe Besson et Camélia Jordana. La chanteuse et actrice s’insurge contre les propos de l’écrivain, qui minimise les violences policières. Selon la technique du psittacidé égosilleur reptant, Besson blablablate dans le micro, répétant les mêmes fadaises. « Il y a cinq ans, tout le monde était dans la rue pour défendre les flics, bla-bla-bla, voyons, mademoiselle, il ne faut pas exagérer ! » Surprise d’abord, puis atterrée, Camélia se laisse pas démonter. « Vous n’avez pas bien compris, je ne parle pas de la police qui cogne les manifestants, mais de celle qui contrôle les gens dans les banlieues. Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie. »
Vous avez tous vu cette scène, mais je vous la remets.
Syndicat des commissaires de police, guilde des trolls fachos, sermons des Hanouna décérébrés, tout ce que la Toile compte de racistes rances et de défenseurs des forces de l’ordre – ce sont souvent les mêmes – tombe sur le râble de Camélia Jordana. Le point d’orgue étant atteint par Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, de la Matraque et de la Punition nationale, à qui le syndicat facho Alliance demandera de saisir le procureur, afin que des poursuites pénales soient engagées contre la chanteuse.

De son côté, Camélia est défendue par beaucoup de gens. Le  répercuté par plus de 100.000 personnes, est lancé, appelant celles et ceux qui la défendent à manifester leur soutien sous forme d’une vidéo. Parmi eux, la chanteuse Angèle, et Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, mort étouffé par des gendarmes à Persan, en juillet 2016.

En réponse au ministre, notre chanteuse, qui a la voix bien posée et la tête bien faite, répond ceci :
Castaner, qui n’est jamais aussi fort que lorsqu’il aboie de loin, protégé par la sinistre Trinité du bouclier, de la grenade et de la matraque, refuse le débat. Et se fait alors magnanime :
  « Je suis très attaché au débat public. Donc je n’entends pas poursuivre ces propos. Par contre la liberté du débat public ne permet pas de dire tout et n’importe quoi. »
Le député Eric Ciotti, qui vient de déposer à l’Assemblée un projet de loi demandant l’interdiction des photos de policiers dans les médias, laisse éclater son courroux.

LIRE : Le trombinoscope des 29 députés demandant l’interdiction de publier des photos des policiers dans les médias


L’objet de ce papier, en plus d’apporter un soutien inconditionnel à Camélia Jordana, est de mettre le doigt sur celui qui a rendu possible cet épisode. Autrement dit, l’autre petit aboyeur de l’histoire, celui par qui tout est arrivé – ce qui, me semble-t-il, n’a été fait par aucun media : Philippe Besson.

Mais qui est Philippe Besson ?

Écrivain, auteur de 19 romans (comme votre serviteur, ô la belle coïncidence !), il semblerait que Philippe Besson ait constitué une œuvre – que nous n’avons pas lue –, dont Wikipedia nous assure qu’il emprunte son style à Marguerite Duras. Venu à la littérature après une douloureuse rupture amoureuse qui le poussera à écrire En l’absence des hommes, ce garçon fragile et bien propre sur lui n’a pas la réputation d’être un foudre de guerre. Cinq ans durant bras droit de Laurence Parisot à l’IFOP, dont il fut le DRH, le jeune homme n’est pas du genre à tremper sa plume dans l’encrier corrosif de la révolte, de l’insoumission et de l’indignation. Ce serait même plutôt l’inverse qui l’attire : l’ordre, la soumission, la reptation et les bons sentiments qui vont avec. Bref, Philippe Besson est un partisan de l’ordre établi. Et s’il ne s’attaque pas de front aux Gilets jaunes, dont il comprend les revendications, reconnaissons-lui ce mérite, il trouve, en revanche, que leurs violences  sont insupportables. Vraiment insupportables. La violence du pouvoir qui les a conduits à cette extrémité n’est manifestement pas un sujet de préoccupation pour lui.
C’est que Besson, intime de Brigitte Macron, est aussi l’ami de son époux – ne lui dénions pas ce droit ; même si nous ne l’aimons pas, Macron a le droit d’avoir des amis. À ce titre, il l’a suivi pendant la campagne des présidentielles pour en tirer le livre Un personnage de roman, écrit, comme le rapporte La Charente Libre« avec bienveillance mais sans complaisance ». Si peu de complaisance que l’obsède cette insolente interrogation : « Un homme qui suscite tant d’espoirs n’est-il pas condamné à décevoir ? » Je vous laisse une petite minute pour vous remettre de vos émotions en écoutant la dernière chanson de Camélia Jordana, Facile, qui, en plus de dire les choses avec rigueur et aplomb, possède une fort jolie voix.

En échange de ce joli cadeau, le président Macron, qui sait remercier ses amis et ses obligés, lui offre (30 août 2018) un poste de consul général de France à Los Angeles. Le job est cool, bien payé (plus de 10.000 € par mois), californien, Jaguar de fonction [authentique]. Philippe Chienchien Besson n’est pas fonctionnaire (condition sinequanone pour être nommé consul) ? Qu’importe ! En macronie, on n’est jamais pris au dépourvu : le conseil des ministres du 3 août a présenté un décret modifiant les règles concernant les modalités d’attribution des diplomates, qui ne relèvera plus du Quai d’Orsay, mais… du gouvernementAccusé de népotisme, Macron répondra qu’il s’agit là d’une « politique d’élargissement des viviers de nomination, comme partout dans la fonction publique ». Manque de chance, ça ne passe pas. En mars 2019, le Conseil d’État, saisi par la CFDT des Affaires étrangères – pour une fois que la CFDT sert à quelque chose ! –, annule le décret sous le motif que la procédure de nomination « a méconnu les principes d’égalité ».
Besson, abattu à l’idée de ne pouvoir faire rayonner son pays en Jaguar.
Voilà, en gros, qui est Philippe Besson. Un courtisan. Un type sans foi ni loi, vendu au fric et au pouvoir, qui aurait tant aimé rouler dans sa Jaguar de fonction de consul dans les rues de Los Angeles, à défaut d’avoir su se contenter de sa carrière d’écrivain. Un petit mec de rien du tout. Un suppôt de macron. Des pulsions de néant. Besson, c’est la défaite de la pensée. Le néant. Pas sûr qu’il vaille beaucoup plus, d’un point de vue de l’éthique, de la morale, que Christophe Castaner l’envoyé spécial de la mort, son double Lallement, et toutes leurs âmes damnées, préfets, procureurs, commissaires, chiens de garde mortifères qui tiennent à bout de bras le régime de l’association de malfaiteurs Macron, Philippe, Pénicaud, Belloubet, Véran, Buzyn. La mort en uniforme. Celle qui cogne, matraque, viole, tue, crève les yeux, brise les mains, arrose de lacrymogène, etc. Pas celle qui nous protège[rait]. Bref, la police fasciste défendue par Ciotti et ses 28 comparses. Celle qui a tué Makomé M’Bowolé, Amine Bentounsi, Adama Traoré, Rémi Fraisse, Steve Caniço, Aboubakar Fofana, Zineb Redouane, Steve Maïa Caniço, Cédric Chouviat, et tant d’autres. Celle qui fait peur, et qui fait dire à des millions de Français : «Je ne me sens pas en sécurité face à un flic. »
Camélia Jordana, il y a quelques jours, je vous connaissais à peine. Maintenant, je sais que vous êtes la vie. Et l’avenir du pays où nous vivons, comme vient de le prouver le rassemblement « Justice pour Adama Traoré » (interdit par le préfet Lallement), le 2 juin, devant le palais de justice de Paris, où elle a entonné devant 30.000 personnes un chant des Blacks Panthers.
Camélia Jordana, devant le palais de justice de Paris, 2 juin 2020


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