6 mai 2020, 16h30. Paris, 11e, contre-allée du boulevard Richard-Lenoir, non loin du Bataclan. Je rentre en musardant d’une consultation aux Quinze-Vingts. Ma rétine est définitivement réparée, je vais enfin pouvoir retourner aux manifs, youpi ! Quelle belle journée, décidément ! Le matin même, en prenant le métro après ma nuit de boulot (je suis veilleur de nuit), l’un d’eux, à qui je venais de tendre l’attestation de mon employeur (sésame magique, véritable sauf-conduit confinemental) m’a gratifié d’un sourire et d’un « Merci, monsieur. Bonne journée, prenez soin de vous ! » [Authentique.]
Comme les bistrots sont fermés, je m’offre une balade sur le canal Saint-Martin, où je n’ai pas remis les pieds depuis le Printemps Bénuchot (un petit festival que j’ai organisé là-bas en juin 2019). Le soleil darde ses rayons. (Je sens que je vais me remettre à la poésie.) Les enfants jouent sous l’œil enamouré, quoique déconfit, de leurs parents. S’il n’y avait pas autant de gens masqués (76,47%, sans compter les mômes), on pourrait se croire en plein été.
Près d’un fourré, un attroupement. Assis sur un banc, trois retraités, paisibles. Devant eux, trois gaillards en tee-shirt, biceps aux aguets, et une frêle jeune femme. Maraude du Samu social ? Je m’approche. La vieille dame semble mal en point, d’une voix faiblarde, elle proteste. « Mais enfin, monsieur, je n’ai qu’un crayon à papier ! » Le maraudeur ne s’en laisse pas conter. (Crayon, Comté, je suis bon pour la muse.) « Madame, vous savez très bien qu’il ne faut pas remplir votre attestation avec un crayon à papier ! Et puis vous êtes statique… » Des flics en civil. Brassards. Sans masque. Porter un masque leur arracherait sans doute la gueule…
Au bout de deux minutes, les flics repartent. Je vais voir la dame. « Ils vous ont mis une amende ? » « Oui, monsieur. Mais je n’ai pas d’argent. » « Il ne faut pas payer, Madame ! Des milliers de gens ne vont pas payer… Ne payez surtout pas ! » Ses voisins de banc, qui ont rempli leur attestation au stylo, n’ont pas eu cette malchance. Nous causons. Comme tout Français qui se respecte, cette histoire de contravention absurde et dégueulasse les abasourdit, les meurtrit, les rend malades. [Macron, au cas où la justice ne t’empêcherait pas de te représenter en 2022, t’es foutu ! Les gens qui t’ont élu, s’ils ne sont pas déjà morts dans leur mouroir, ne voteront plus jamais pour toi…]
Je dis à la dame : « J’irais bien les voir pour leur demander de vous retirer votre amende, mais j’ai peur de ne pas rester calme, j’ai quelques antécédents avec la police. Un truc congénital, je tiens ça de mon père qui n’aimait les vaches que paissant dans les prés. » Bon, la dernière phrase, je ne l’ai pas vraiment dite comme ça… Elle me dit : « C’est gentil, ne vous en faites pas. »
Discrètement, je prends quelques photos de la bande des quatre contrôlant exclusivement des gens qui se promènent avec leurs enfants, picorant avec une insupportable nonchalance de la rente étatique à 135 €. Ce qui rend la chose encore plus… comment dire ? Pathétique ? Insupportable ? Inhumaine ? Je m’avance encore. Je fais ce magnifique (quoi pas très net) cliché, maîtrisant une envie folle de rentrer dans le lard de ces quatre enfoirés en criant : « Chiens de Lallement ! »
Et puis je repense à mon flic du matin, au métro… Plaisance ! (Petite faiblesse passagère.) Et j’abandonne le quatuor à leur pauvre petit métier de merde…
– Qui c’est ce connard qui nous prend en photo ! – On l’interpelle ? – Laisse tomber, il doit être en règle. |
La morale de cette histoire, si on peut encore prononcer ce mot dans la ®ConfinFrance fascitoïde où nous vivons ?
Les gens qui continuent à bosser et à prendre le métro doivent prendre soin d'eux.
Les vieux qui se reposent sur des bancs, on prend soin de leur compte en banque.
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