Si tout a été dit, ou presque, concernant la gestion calamiteuse des masques par les autorités de Santé, [lire la passionnante enquête en 5 volets de Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Le Monde], le grand public n’a pas été amené à s’intéresser au travail formidable réalisé par l’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires), cette agence de Santé dont la dissolution en 2016 (puis sa dilution au sein du monstre Santé Publique France) anticipa la pénurie des masques qui fait de la France une gigantesque manufacture où particuliers et couturières (priées d’être bénévoles) s’échinent à fabriquer des masques, nouvelle grande cause nationale. En 1914, la Française était expédiée en usine pour fabriquer des obus pendant que l’époux allait se faire trouer la peau pour les industriels. Cent-six ans plus tard, la Française se fait couturière pour endiguer la catastrophe. Ce qui a parfois de fâcheuses conséquences, comme on pourra le lire ici : Le corbeau au cerveau confiné et la couturière empêchée de fabriquer des masques.
Bien que n’ayant pas la moindre expertise en matière de Santé (ma seule expérience concerne des opérations dans trois fleurons de l’AP-HP, Lariboisière, Saint-Louis, Quinze-Vingts, pour ne pas les nommer), je reviens aujourd’hui sur le sujet car j’ai travaillé, par le passé, pour l’EPRUS, et l’excellent souvenir que j’en garde, d’un point de vue humain (ce ne fut pas toujours le cas des administrations à qui j’ai vendu ma force de travail) et l’impression d’efficacité que m’a laissée cette agence m’incitent à remettre en perspective deux ou trois choses.
En 2014-2015, j’exerçais l’étrange profession de scribe-rédacteur, envoyé par la boîte de com’ dans différents « lieux de pouvoir », où se décident les choses, à plus ou moins haut niveau. Conseil municipal (ah, le maire-fantôme et député-feignasse d’Étampes Franck Marlin !), comité d’entreprise, CHSCT (un truc inutile, supprimé par Macron en 2017), conseil d’administration (ah, les ors du somptueux palais de la Caisse de retraites des Mines !), conseil départemental (ah, Retailleau comparant les zadistes de Notre-Dame-des-Landes aux Brigades rouges !), colloques, séminaires, etc. Le travail était ingrat (le scribe arc-bouté sur son portable, transparent corps-machine), exténuant (des heures collé au dictaphone, à déchiffrer les débats parfois rendus inaudibles par le froissement d’une feuille de papier), précaire (auto-entreprenariat) et payé au lance-pierre.
Principal intérêt de ce boulot : j’assistais à des débats dans des domaines pointus, totalement inconnus pour moi et le commun des mortels. Le plus ébouriffant restant la grand-messe de la Santé qu’est la remise annuelle des comptes de la Sécurité sociale, où converge tout ce que la France compte de caciques de la Santé (CPAM, CAF, INSEE, Urssaf, cour des comptes, Sénat, etc.), sous la houlette impériale de Mme Marisol Touraine (qui, contrairement à Mme Buzyn, rendons-lui cette justice, connaissait ses dossiers sur le bout des doigts), dont l’arrivée théâtrale, dans son ample et virevoltante robe à fleurs rose et bleue, et l’interminable tour de table des 48 participants, debout au garde-à-vous à l’exception de deux mauvais esprits de la CGT, restera l’un des spectacles les plus féériques auxquels je fus à même d’assister.
Les débats étaient parfois houleux (une réunion de la Direccte, où les inspecteurs de travail furent à deux doigts d’en découdre avec une dircab dépassée par les événements, balbutiant des énormités, façon Muriel Pénicaud, à tel point que fut décrétée une pause d’une heure pour calmer les esprits). Ils étaient parfois techniques et fastidieux (les pinailleries du Haut conseil du dialogue social, en présence du très déplaisant Jean-Denis Combrexelle (*) et de ce haut-fonctionnaire gai comme un pinson mazouté refusant de me donner copie de son power-point classé secret-défense, de peur qu’il ne tombât entre les mains du Canard (le cuistre prononça le mot), alors que j’allais, mot pour mot, retaper tout ce qu'il venait de lire sur son putain de power-point à deux balles.
Souvent les débats étaient fort intéressants et instructifs, à tel point que je me fis cette réflexion : « Quel dommage que ces cochons de Français ne soient pas informés de la façon dont, en amont, s’écrit le processus permettant l’élaboration (ou le détricotage) de lois qui leur rendront la vie impossible, sinon invivable ! » [À l’époque, l’appellation “gilet jaune” n’était qu’un concept administratif, fécondé dans une de ces réunions par l’un de ces ronds-de-cuir tristes comme la mort, qui serait tombé de sa chaise si on lui avait dit que dix ans plus tard sa géniale trouvaille donnerait son nom à la révolte de millions de gens.]
Pandémie du Covid-19 oblige, ces expériences font remonter à la surface de ma mémoire des conversations entendues dans ces instances où le hasard me fit travailler, de la bouche de professionnels de la santé, irréprochables, étayant le principe désormais bien compris par chaque Français que ceux qui ont provoqué – sciemment – cette faillite de l’hôpital sont bien les politiques, hauts-fonctionnaires et autres équarrisseurs sans foi ni loi, dont le plus connu, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon (conseiller à la sécurité sanitaire de Marisol Touraine quand celle-ci réduisit les stocks de 1 milliard de masques légitimement constitués par Roselyne Bachelot lors de l’épidémie de H1N1 en 2009) égrenne chaque soir les chiffres, les plateaux (mot jugé plus lisse que le coupant “pic”), les hospitalisés, les morts. Voir à ce sujet le cinglant coup de gueule du très médiatique Dr Jérôme Marty.
Première expérience. En juin 2015, deux jours de séminaire sur le thème La qualité à l’hôpital, au ministère de la Santé. Étaient présents des urgentistes, des chirurgiens, des sociologues, des statisticiens, des épidémiologistes, des gestionnaires hospitaliers, etc. Quatorze heures de débats passionnants, pas évidents à suivre pour le novice que j’étais car émaillés du jargon-maison [benchmark, doctrine, cohorte, randomisation, double-aveugle, doctrine, RETEX (retour d’expérience)] et, bien sûr, la fameuse « littérature” scientifique, qui qualifie l’ensemble des connaissances publiées en revue (la revue étant au chercheur ce que la maison d’édition est à l’écrivain). Dans un esprit raffiné, on y pratiquait un sens aiguisé de la formule, tel ce « Il y a des trous dans la raquette » revenant telle une ritournelle dès qu’une anomalie était évoquée (par exemple le fait, stupéfiant, que des cadavres de malades aient séjourné plusieurs jours dans un hôpital avant qu'on ne découvre les corps, ce qui arriva à deux reprises au moins). Il y avait tellement de trous dans la raquette qu’en fermant les yeux j’aurais pu me croire à Roland-Garos. La conclusion de ce passionnant séminaire (dont je n’ai hélas pas gardé copie) tenait en trois phrases.
Quel fut l’impact (et l’utilité) de ce genre de séminaire ? Étaient-ils organisés pour se donner bonne conscience ? En a-t-on par la suite organisé d’autres sur ce thème ? Je l’ignore. J’en doute un peu. Si ce fut le cas, de toute évidence, ils ne servirent à rien. La qualité à l’hôpital étant la dernière préoccupation de ceux qui en ont fait une gigantesque entreprise, avec les effets désastreux que l’on sait. (Pour avoir les noms : consulter la liste des ministres de la Santé de ces vingt dernières années et, bien sûr, des directeurs généraux de la Santé, directeurs de cabinet, enfin, bref, tous ces gens qui gagnent 9.000 euros par mois pour détruire notre système de santé et, beaucoup plus grave, causer la mort de dizaines de soignants.)
Deuxième expérience. L’EPRUS, dont j’ai, à cinq reprises, retranscrit les débats, créé en mars 2007 par une loi au titre prémonitoire : « Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur » et dissoute en 2016 (loi du 26 janvier 2016 relative à la « modernisation du système de santé »). Modernisation du système de santé dont plus personne ne peut ignorer à quel point elle n’a en rien préparé à des menaces de grande ampleur mais a, bien au contraire, contribué à semer la pagaille, la catastrophe, la mort de gens, dont certains, beaucoup trop, n’auraient pas dû mourir.
Bien que n’ayant pas la moindre expertise en matière de Santé (ma seule expérience concerne des opérations dans trois fleurons de l’AP-HP, Lariboisière, Saint-Louis, Quinze-Vingts, pour ne pas les nommer), je reviens aujourd’hui sur le sujet car j’ai travaillé, par le passé, pour l’EPRUS, et l’excellent souvenir que j’en garde, d’un point de vue humain (ce ne fut pas toujours le cas des administrations à qui j’ai vendu ma force de travail) et l’impression d’efficacité que m’a laissée cette agence m’incitent à remettre en perspective deux ou trois choses.
En 2014-2015, j’exerçais l’étrange profession de scribe-rédacteur, envoyé par la boîte de com’ dans différents « lieux de pouvoir », où se décident les choses, à plus ou moins haut niveau. Conseil municipal (ah, le maire-fantôme et député-feignasse d’Étampes Franck Marlin !), comité d’entreprise, CHSCT (un truc inutile, supprimé par Macron en 2017), conseil d’administration (ah, les ors du somptueux palais de la Caisse de retraites des Mines !), conseil départemental (ah, Retailleau comparant les zadistes de Notre-Dame-des-Landes aux Brigades rouges !), colloques, séminaires, etc. Le travail était ingrat (le scribe arc-bouté sur son portable, transparent corps-machine), exténuant (des heures collé au dictaphone, à déchiffrer les débats parfois rendus inaudibles par le froissement d’une feuille de papier), précaire (auto-entreprenariat) et payé au lance-pierre.
Principal intérêt de ce boulot : j’assistais à des débats dans des domaines pointus, totalement inconnus pour moi et le commun des mortels. Le plus ébouriffant restant la grand-messe de la Santé qu’est la remise annuelle des comptes de la Sécurité sociale, où converge tout ce que la France compte de caciques de la Santé (CPAM, CAF, INSEE, Urssaf, cour des comptes, Sénat, etc.), sous la houlette impériale de Mme Marisol Touraine (qui, contrairement à Mme Buzyn, rendons-lui cette justice, connaissait ses dossiers sur le bout des doigts), dont l’arrivée théâtrale, dans son ample et virevoltante robe à fleurs rose et bleue, et l’interminable tour de table des 48 participants, debout au garde-à-vous à l’exception de deux mauvais esprits de la CGT, restera l’un des spectacles les plus féériques auxquels je fus à même d’assister.
Les débats étaient parfois houleux (une réunion de la Direccte, où les inspecteurs de travail furent à deux doigts d’en découdre avec une dircab dépassée par les événements, balbutiant des énormités, façon Muriel Pénicaud, à tel point que fut décrétée une pause d’une heure pour calmer les esprits). Ils étaient parfois techniques et fastidieux (les pinailleries du Haut conseil du dialogue social, en présence du très déplaisant Jean-Denis Combrexelle (*) et de ce haut-fonctionnaire gai comme un pinson mazouté refusant de me donner copie de son power-point classé secret-défense, de peur qu’il ne tombât entre les mains du Canard (le cuistre prononça le mot), alors que j’allais, mot pour mot, retaper tout ce qu'il venait de lire sur son putain de power-point à deux balles.
Souvent les débats étaient fort intéressants et instructifs, à tel point que je me fis cette réflexion : « Quel dommage que ces cochons de Français ne soient pas informés de la façon dont, en amont, s’écrit le processus permettant l’élaboration (ou le détricotage) de lois qui leur rendront la vie impossible, sinon invivable ! » [À l’époque, l’appellation “gilet jaune” n’était qu’un concept administratif, fécondé dans une de ces réunions par l’un de ces ronds-de-cuir tristes comme la mort, qui serait tombé de sa chaise si on lui avait dit que dix ans plus tard sa géniale trouvaille donnerait son nom à la révolte de millions de gens.]
Pandémie du Covid-19 oblige, ces expériences font remonter à la surface de ma mémoire des conversations entendues dans ces instances où le hasard me fit travailler, de la bouche de professionnels de la santé, irréprochables, étayant le principe désormais bien compris par chaque Français que ceux qui ont provoqué – sciemment – cette faillite de l’hôpital sont bien les politiques, hauts-fonctionnaires et autres équarrisseurs sans foi ni loi, dont le plus connu, le directeur général de la Santé Jérôme Salomon (conseiller à la sécurité sanitaire de Marisol Touraine quand celle-ci réduisit les stocks de 1 milliard de masques légitimement constitués par Roselyne Bachelot lors de l’épidémie de H1N1 en 2009) égrenne chaque soir les chiffres, les plateaux (mot jugé plus lisse que le coupant “pic”), les hospitalisés, les morts. Voir à ce sujet le cinglant coup de gueule du très médiatique Dr Jérôme Marty.
Première expérience. En juin 2015, deux jours de séminaire sur le thème La qualité à l’hôpital, au ministère de la Santé. Étaient présents des urgentistes, des chirurgiens, des sociologues, des statisticiens, des épidémiologistes, des gestionnaires hospitaliers, etc. Quatorze heures de débats passionnants, pas évidents à suivre pour le novice que j’étais car émaillés du jargon-maison [benchmark, doctrine, cohorte, randomisation, double-aveugle, doctrine, RETEX (retour d’expérience)] et, bien sûr, la fameuse « littérature” scientifique, qui qualifie l’ensemble des connaissances publiées en revue (la revue étant au chercheur ce que la maison d’édition est à l’écrivain). Dans un esprit raffiné, on y pratiquait un sens aiguisé de la formule, tel ce « Il y a des trous dans la raquette » revenant telle une ritournelle dès qu’une anomalie était évoquée (par exemple le fait, stupéfiant, que des cadavres de malades aient séjourné plusieurs jours dans un hôpital avant qu'on ne découvre les corps, ce qui arriva à deux reprises au moins). Il y avait tellement de trous dans la raquette qu’en fermant les yeux j’aurais pu me croire à Roland-Garos. La conclusion de ce passionnant séminaire (dont je n’ai hélas pas gardé copie) tenait en trois phrases.
1. La qualité n’est plus ce qu’elle était.
2. L’hôpital est en grand danger.
3. Gérer l’hôpital comme une entreprise nous mènera à la catastrophe.
Quel fut l’impact (et l’utilité) de ce genre de séminaire ? Étaient-ils organisés pour se donner bonne conscience ? En a-t-on par la suite organisé d’autres sur ce thème ? Je l’ignore. J’en doute un peu. Si ce fut le cas, de toute évidence, ils ne servirent à rien. La qualité à l’hôpital étant la dernière préoccupation de ceux qui en ont fait une gigantesque entreprise, avec les effets désastreux que l’on sait. (Pour avoir les noms : consulter la liste des ministres de la Santé de ces vingt dernières années et, bien sûr, des directeurs généraux de la Santé, directeurs de cabinet, enfin, bref, tous ces gens qui gagnent 9.000 euros par mois pour détruire notre système de santé et, beaucoup plus grave, causer la mort de dizaines de soignants.)
Bas les masques : des soignants en colère.
Deuxième expérience. L’EPRUS, dont j’ai, à cinq reprises, retranscrit les débats, créé en mars 2007 par une loi au titre prémonitoire : « Loi relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur » et dissoute en 2016 (loi du 26 janvier 2016 relative à la « modernisation du système de santé »). Modernisation du système de santé dont plus personne ne peut ignorer à quel point elle n’a en rien préparé à des menaces de grande ampleur mais a, bien au contraire, contribué à semer la pagaille, la catastrophe, la mort de gens, dont certains, beaucoup trop, n’auraient pas dû mourir.
LIRE : Faute de protection, des soignants souffrent, contaminent et succombent
Enquête MediaPart (reprise sur le présent “journal”).
Les missions de l’Eprus (17 agents en 2007, 30 en 2015), financé à part égales par l’État et la CPAM, disposant d’un budget considérable, étaient au nombre de deux.
1. L’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves, y compris les vaccins et les fameux masques chirurgicaux et FFP2. Ces fameux « stocks stratégiques » conservés – et parfois détruits – à l’entrepôt de Vitry-le-François
2. La réserve sanitaire, qui fait appel à des retraités (médecins, infirmiers, pharmaciens, biologistes, épidémiologistes) pour participer à la gestion de crises, (catastrophes naturelles, chikungunya, dengue, Ebola, renfort hospitalier, etc). Son efficacité, sa compétence n’ont jamais fait l’objet de la moindre critique.
Pendant des années, les missions de l’Eprus se déroulent sans le moindre problème. Le savoir-faire de la réserve sanitaire donne toute satisfaction. Idem pour la gestion des stocks et la logistique, clef de voûte de l’Eprus (les militaires savent y faire).
En 2009, lorsque Roselyne Bachelot est accusée d’achats inconsidérés de vaccins lors la crise H1N1, la cour des comptes est saisie. Dans son rapport (octobre 2010) sur la gestion de l’Eprus (simple exécutant du ministère de la Santé), la cour fustige la politique de la ministre, évoquant le fait que l’Eprus, dont la qualité des prestations n’est pas remise en cause, gagnerait à être plus autonome, par rapport au ministère de la Santé. À la suite de ce rapport, le budget de l’Eprus fut drastiquement réduit, passant de 281 millions en 2007 – avant la crise H1N1 – à 25,8 millions en 2015 ! Et voilà comment l’Eprus et ses précieux stocks furent sacrifiés sur l’autel des économies.
Un rapport du Sénat réalisé peu avant la disparition de l’EPRUS (juin 2015) dira exactement l’inverse : pour le sénateur Francis Delattre, la petite taille de l’Eprus est un handicap. Néanmoins, le rapporteur affichera quelques réserves : « Il est vrai que le regroupement fait peser un risque sur la réactivité de l’EPRUS, mais ses interventions vont de pair avec la veille sanitaire, dont il est l’outil opérationnel. »
Interrogé par Le Monde dans le 4e volet de son enquête [La mécanique du délitement], l’ex-rapporteur-sénateur Delattre n’est pas tendre avec certains caciques de la Direction générale de la Santé (DGS), qu’il va jusqu’à traiter de « connards » et de « gugusses ». « S’il y a quelque chose qu’ils savaient faire, à l’EPRUS, c’est bien la logistique. On en a manqué, ces derniers temps, non ? Mais quatre ou cinq gugusses l’ont supprimé. »
Il en va de même pour Patrick Rajoelina, secrétaire général de l’Eprus jusqu’en 2014 (qu’il avait déjà quitté lorsque j’y fus rédacteur), qui « jubile cyniquement » aujourd’hui. « Nous étions un établissement public autonome, avec des financements quasi pérennes, un stock de masques, de vaccins, et des gens qui étaient dédiés à toute pandémie pouvant survenir. Nous étions un commando sanitaire. » 70% des stocks dormaient sous protection militaire, rappelle Le Monde, et puis, presque clandestinement, l’acte de décès de l’Eprus a été prononcé.
Lors de mon dernier passage à l’EPRUS en décembre 2015 (séance grave et éprouvante, ouverte par une intervention de Pierre Carli, patron du SAMU parisien, deux semaines après les horreurs du Bataclan), le chirurgien militaire présidant la séance (un homme hyper-compétent, très sympathique, qui roulait en Vespa et m’initia aux rudiments de l’humour militaire, et dont, très bizarrement, ma mémoire défaillante a englouti le nom) fit une déclaration solennelle (je cite de mémoire) : « Je ne vous cacherai pas que j’éprouve quelques craintes à l’idée que l’Eprus rejoigne le giron du mastodonte Santé Publique France, où nos troupes seront quelque peu disséminées. »
« Puissiez-vous avoir tort, lui répondit en substance le DG de l’Eprus à l’époque, Marc Meunier. En tout cas, je ne puis que me réjouir de constater que les tâches qui nous furent assignées ont été menées avec beaucoup de professionnalisme. Je vous remercie. »
La suite, on la connaît. Quelques mois plus tard, le mastodonte avalait la petite souris. Et c’est là que commencèrent les ennuis…
LIRE : Masques : comment la France a tué l’EPRUS (Fédération nationale des hospitaliers) Entretien avec Claude Le Pen, économiste de la Santé, récemment décédé.
(aparté #1) (start-up nation attitude)
En 2016, alors que l’EPRUS vient d’être supprimée et que la réserve sanitaire a rejoint le giron de Santé Publique France, l’esprit « start-up nation » s’invite au bal de la santé publique. Trois jeunes hommes fringants créent MedGo, une plateforme appliquant – excusez du peu – l’intelligence conversationnelle aux SMS. À l’image de la fougueuse équipe, qui évoque davantage un team de supporters macronistes en campagne qu’un cénacle hospitalier, on notera l’indispensable révolution sémantique accompagnant le nouveau paradigme : « solution leader de gestion des remplacements des personnels hospitaliers ». C’est ainsi qu’en novembre 2017, MedGo lève 1 million d’euros de fonds, notamment auprès, tiens, tiens, du fond Kima Ventures de Xavier Niel (bien connu pour ses sympathies avec le milieu médical).
1. L’acquisition, la fabrication, l’importation, le stockage, la distribution et l’exportation des produits et services nécessaires à la protection de la population face aux mesures sanitaires graves, y compris les vaccins et les fameux masques chirurgicaux et FFP2. Ces fameux « stocks stratégiques » conservés – et parfois détruits – à l’entrepôt de Vitry-le-François
2. La réserve sanitaire, qui fait appel à des retraités (médecins, infirmiers, pharmaciens, biologistes, épidémiologistes) pour participer à la gestion de crises, (catastrophes naturelles, chikungunya, dengue, Ebola, renfort hospitalier, etc). Son efficacité, sa compétence n’ont jamais fait l’objet de la moindre critique.
Pendant des années, les missions de l’Eprus se déroulent sans le moindre problème. Le savoir-faire de la réserve sanitaire donne toute satisfaction. Idem pour la gestion des stocks et la logistique, clef de voûte de l’Eprus (les militaires savent y faire).
Avec l’EPRUS, prenons l’urgence de vitesse (clip, 2012)
En 2009, lorsque Roselyne Bachelot est accusée d’achats inconsidérés de vaccins lors la crise H1N1, la cour des comptes est saisie. Dans son rapport (octobre 2010) sur la gestion de l’Eprus (simple exécutant du ministère de la Santé), la cour fustige la politique de la ministre, évoquant le fait que l’Eprus, dont la qualité des prestations n’est pas remise en cause, gagnerait à être plus autonome, par rapport au ministère de la Santé. À la suite de ce rapport, le budget de l’Eprus fut drastiquement réduit, passant de 281 millions en 2007 – avant la crise H1N1 – à 25,8 millions en 2015 ! Et voilà comment l’Eprus et ses précieux stocks furent sacrifiés sur l’autel des économies.
Un rapport du Sénat réalisé peu avant la disparition de l’EPRUS (juin 2015) dira exactement l’inverse : pour le sénateur Francis Delattre, la petite taille de l’Eprus est un handicap. Néanmoins, le rapporteur affichera quelques réserves : « Il est vrai que le regroupement fait peser un risque sur la réactivité de l’EPRUS, mais ses interventions vont de pair avec la veille sanitaire, dont il est l’outil opérationnel. »
Extraits du rapport du Sénat (juin 2015) |
Lors de mon dernier passage à l’EPRUS en décembre 2015 (séance grave et éprouvante, ouverte par une intervention de Pierre Carli, patron du SAMU parisien, deux semaines après les horreurs du Bataclan), le chirurgien militaire présidant la séance (un homme hyper-compétent, très sympathique, qui roulait en Vespa et m’initia aux rudiments de l’humour militaire, et dont, très bizarrement, ma mémoire défaillante a englouti le nom) fit une déclaration solennelle (je cite de mémoire) : « Je ne vous cacherai pas que j’éprouve quelques craintes à l’idée que l’Eprus rejoigne le giron du mastodonte Santé Publique France, où nos troupes seront quelque peu disséminées. »
« Puissiez-vous avoir tort, lui répondit en substance le DG de l’Eprus à l’époque, Marc Meunier. En tout cas, je ne puis que me réjouir de constater que les tâches qui nous furent assignées ont été menées avec beaucoup de professionnalisme. Je vous remercie. »
La suite, on la connaît. Quelques mois plus tard, le mastodonte avalait la petite souris. Et c’est là que commencèrent les ennuis…
LIRE : Masques : comment la France a tué l’EPRUS (Fédération nationale des hospitaliers) Entretien avec Claude Le Pen, économiste de la Santé, récemment décédé.
(aparté #1) (start-up nation attitude)
Team macronien ? Non. Team MedGo. |
(aparté #2)(old-school attitude)
Jean-Denis Combrexelle remettant les codes de la destruction du code de Travail à Manuel Valls, sous le regard enamouré de Myriam El Khomeri |
Au cour de ses 14 années passées à la tête de la DGT, Combrexelle, ennemi intime du remuant Gérard Filoche, a toujours pris la défense des patrons contre les inspecteurs du Travail, ne défendant jamais ce corps de métier, y compris lorsque deux inspecteurs du travail furent assassinés par un agriculteur en 2004. Il est actuellement président de la Section du contentieux au conseil d’État. Lequel conseil d’Etat vient (14 avril), tiens donc, de refuser le dépistage massif et les masques obligatoires en Ehpad, au motif que « l'État fait déjà beaucoup et n'aurait pas les moyens de faire plus. » [sic]
Si vous avez loupé les épisodes précédents :
Et vous arrivez à dormir la nuit, Agnès Buzyn ? (#52) / Quatre flics contents d’avoir mis une amende de 135€ à une veille dame qui remplit son attestation au crayon à papier (#51) / Sous la plage, les pavés. Le 11 mai, tous à la plage pour dire merde à Macron (#50) / Et maintenant ? De la résilience à la résistance, par Alain Bertho, anthropologue (#49) / Paris 11e, la balade d’un confiné, expo-photo de Alain Caron (#48) / La dame qui cherchait des fleurs à l’ombre de l’usine d’incinération des ordures (#47) / On ne veut plus de leur monde, par Val du Faure (#46) / L’Ange exterminateur. 58 ans avant le Covid-19, le film de confinement de Luis Buñuel (#45) / Je venais de nourrir les renards du Père Lachaise quand les flics me sont tombés dessus, par Jules Bénuchot (#44) / Les linceuls n’ont pas de poches, par Philippe Leleux, libraire (#43) / Faute de protections, des soignants souffrent, contaminent et succombent, par Mediapart (#42) / Le corbeau au cerveau confiné et la couturière empêchée de fabriquer les masques (#41) / Mon cœur, mon cœur, calme-toi, ça va aller, on s’en sortira, par Anne Tardieu (#40) / Plus terrible que le coronavirus : le macronavirus (Covid-22 à double souche outrage et rébellion (#39) / Grands prédateurs. Charles Ruggieri et Sophie Boissard, fondateur et PDG des Ehpad Korian (#38) / “T’as voulu voir le salon”, le tube de l’été confiné (#37) / Macron, tes « jours heureux », tu peux te les mettre quelque part ! (#36) / Voyage (anxiogène) dans le métro avec Le Parisien sous le bras et un autre à portée de postillon (#35) / La prophétie du canard madré (# 34) / Le 11 mai, ça ne passe pas, M. Blanquer, par Laurine Roux, enseignante (#33) / Si les hôpitaux ont tant souffert, ce n’est pas la faute d’un pangolin, mais celle du gouvernement, par Iven, infirmier aux urgences (#32) / Exclusif. Le classement « ConfinFrance » des préfets préférés de Castaner (#31)
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