mardi 29 octobre 2019

La 3e plainte d’Églantine Laval classée sans suite : le joli cadeau d’anniversaire de la Justice

Mardi 29 octobre 2019. C’est mon anniversaire mais ce n’est pas parce que je prends un an que je suis de mauvais poil. Je suis convoqué à 10h30 au commissariat de Saint-Denis pour une plainte en diffamation. Motif du délit ? Un post de décembre 2018 [lire en bas] dans lequel je relate l’issue, devant la cour de cassation, de l’interminable feuilleton judiciaire qui m’oppose depuis 3 ans à une certaine Églantine Laval, qui m’accusa mensongèrement de l’avoir frappée à coups de poing, alors que je m’étais borné à lui demander, sur un ton évoquant certes davantage Charles Pasqua que Bourvil : “Et vous arrivez à dormir la nuit ?”
L’histoire, tordue à souhait, digne d’un roman de Boileau-Narcejac, est résumée dans ce papier du 8 janvier 2016, à lire dans son intégralité ici.

Le compte-rendu de mon procès en appel (mars 2018), qui me valut une première plainte en diffamation d’Églantine Laval (classée sans suites).

Enfin, le papier du 27 décembre 2018, qui m’a valu les (ultimes) foudres d’Églantine Laval.

À 12h23 ce 29 octobre, 1h53’17” après le début de mon audition, un courriel du gardien de la paix qui m’auditionna m’apprend que le parquet a tranché : l’affaire est classée.

Afin de prouver à la lumineuse Églantine Laval, qui ne manquera pas de lire ces lignes, attachée qu’elle est au suivi des rocambolesques plaintes en justice dont elle m’inonda ces trois années durant, que je ne suis pas un méchant garçon impétueux et rancunier, je lui adresse tous mes vœux de bonheur et de réussite dans la vie. Et l’informe que mon ultime polar, Et vous arrivez à dormir la nuit ?, si le grand âge qui vient de me tomber dessus me laisse la lattitude de l’écrire, lui sera aimablement dédicacé, conjointement à Mme la juge montreuillote Vanessa Lepeu, qui sait ce que je lui dois dans cette affaire regrettable.

jeudi 17 octobre 2019

Castaner Macronus Enucleator 2019

La nouvelle qui suit parut en 2007 sous le titre T’as de la chance qu’il soit pas président ! dans le recueil La France d’après (éditions Privé), dans lequel 17 auteurs livraient un récit uchronique sur ce qui se passerait si Sarkozy serait élu.
RAPPEL. Victime en août 2006 d’un contrôle routier banal, au cours duquel un flic me glissa à l’oreille (et à la matraque) la petite phrase qui donne son titre à la nouvelle, et qui se solda par une garde à vue, une confrontation avec ledit flic à l’IGS, un pamphlet contre Sarkozy, un procès pour outrage, la création du CODEDO (Collectif pour une dépénalisation du délit d’outrage), dont j’entretiens depuis une décennie le site, et, enfin, une Lettre au Garde des Sceaux cosignée avec Romain Dunand, suivie d’une pétition publiée dans Libération, signée par 25.000 personnes, qui ne reçut aucune réponse de la Garde des Sceaux Rachida Dati, ni des suivants, j’imaginai dans cette fiction une situation extrême dans laquelle le narrateur, livré à la barbarie policière, meurt.
J’écrivais alors : « Ces violences pourraient être encore plus fréquentes et traumatisantes, si le sieur N. S. étant élu à l’Elysée, certains éléments incontrôlés de la police laissaient libre cours, comme c’est à craindre, à leur incorrigible ardeur barbare. » Il n’aura échappé à personne que si le quinquennat de Sarkozy fut directement à l’origine de la situation terrible que nous connaissons, la répression des luttes sociales et son corollaire les violences policières, venant après l’assassinat de Rémy Fraisse, furent érigées en système d’État sous le quinquennat du président suivant, le tout-petit François Hollande, qui chassa Sarko pour mieux faire entrer le loup Macron dans la bergerie.
L’insupportable litanie des Gilets jaunes énuclées, démembrés, gazés, estropiés, assassinés sur un balcon ou dans la Loire, et la malfaisante complicité de préfets, de commissaires psychotiques, de magistrats travestissant la vérité pour plaire au prince (une mention spéciale au procureur de la République de Marseille Marc Tarabeux), de juges condamnant à tour de bras, m’a incité à la relire. Douze ans plus tard, ce n’est plus T’as de la chance qu’il soit pas président ! mais Tu n’as rien vu sous Sarkozy ! Voilà pourquoi je la republie sous le titre Castaner Macronus Enucleator 2019.
Cette fiction était dédiée à Jean-Marie Ratchel, sauvagement frappé par des policiers racistes du commissariat de Villepinte (93) en octobre 2003, en présence de sa femme, de ses fils, de ses voisins, alors qu’il était atteint d’un cancer en phase terminale. On y ajoutera les noms de Rémy Fraisse, Adama Traoré, Steve Maïa Canio, Zineb Redouane. Et tant d’autres…



2007. T’AS DE LA CHANCE QU’IL SOIT PAS PRESIDENT !
2019. TU N’AS RIEN VU SOUS SARKOZY !


Paris, mercredi 29 octobre 2008.
1
Aujourd’hui, j’ai cinquante ans. Je me sens tout jeune. Je ne me suis pas vu vieillir. Je suis un môme. Je fais du vélo sur mon petit bicloune rouge, je slalome entre les voitures pour arriver à l’heure à mon rencard, j’ai rendez-vous avec la vie, il fait beau, le soleil brille, chaque jour la guérilla climatique s’intensifie, les gens profitent du soleil aux terrasses exhubérantes des cafés, je suis content d’être là, vivant, heureux, ailleurs. Tellement ailleurs que je n’ai pas vu ce gros-cul de 4x4 qui m’a repéré dans son rétro et a braqué ses roues pour m’empêcher de le dépasser. Je me contente de lui tirer la langue, avant de repartir le cœur joyeux, formant le vœu qu’à force de mariner sa couenne dans son char d’assaut il finira par pourrir sur pied et se fondre dans le macadam. Je fonce, fonce, je ne me retourne pas, je suis attendu quelque part dans Paris pour fêter mon anniversaire avec des tas d’amis, depuis cinq semaines je me farcis un jeu de l’oie intrépide à travers cette capitale que je ne me résouds pas à quitter, j’ignore où auront lieu les festivités, ma femme va finir par me faire tourner en bourrique. Mais je fonce. Fonce, Alphonse, fonce, le vieux monde est loin derrière toi, aujourd’hui tu vas rafler la mise, aujourd’hui tu vas tout oublier, les ennuis, les dettes, les angoisses, les petits matins chagrin, le grand maelström de la misère qui scarifie le pays, les amis partis trop tôt, les perdus de vue, oublier que ton hexagone hexa-P est aux mains de la clique à Sarkop : Pauvre Petit Pays Paralysé Par la Peur. Oublier que partout ça cogne, ça matraque, ça meurt, ça crie, ça griffe, ça ratatine, ça hurle, ça jette, ça licencie, ça chôme, ça chie la honte, ça pisse la pitié, ça sue la crainte, ça crache la peur, ça éternue la petite mort, ça paupérise, ça s’agglutine au chaud, ça gronde, ça grouille, ça rouille, ça suinte, ça sécrète, ça crève, ça dégueule, ça pue, ça pulse, ça expulse, ça exclut, ça expatrie, ça bannit, ça emprisonne, ça rétentionne, ça, ça, ça… Oublier qu’il n’y a plus que deux saisons : dans le ciel le réchauffement climatique fait la loi, sur terre c’est le grand hiver de la France engourdie, assommée, la France rance et rassie, muselée par les milices du Grand Sarkop Circus, les petits joueurs de district sont montés à la capitale pour aiguiser leurs dents sur les parquets des beaux quartiers et aider au grand dépeçage du coq gaulois, les Morpions-Mariani, les Pyromanes-Morano, les Fillon-Flingueurs, les Borloo-Barnum, les Hortefeux-Croix-de-Feu, les Estrosi-Stadium… Les riches s’empiffrent en rotant, et leurs pets truffés, leurs borborygmes épicés, leurs gloussements de nantis s’élèvent en volutes spiritueuses dans le ciel de Paris pollué jusqu’à la lie, formant des nuages denses qui gravitent tout autour de la grande ceinture et retombent en masse sur les bannis des banlieues en ruine retranchés derrière les cadavres calcinés de leurs espérances, les pauvres crèvent en beauté dans les rues, sous l’œil vigilant des brigades du Samu social fraîchement privatisé, les gardiens des cimetières des idées payés en heures supplémentaires nuit et jour font la fête, des effluves nauséabondes ensemencent le pavé qui n’en finit plus d’exaler la misère… Tu te souviens que quand tu étais ado tu écrivais de la poésie sur des carnets à spirales, et comme un oiseau tu te mets à gazouiller sur ton petit vélo, pouet-pouet, et tout à coup, bloum, tu te gaufres un piéton…
– Madame, ça va ? Vous n’avez pas mal ?
Le piéton est une piétonne, une petite dame toute menue, chignon, caban, cabas, triste comme si elle venait de perdre un mari, un caniche, un canari, et qui se remet sur pied. Et te sourit.
– Vous m’avez l’air bien pressé, jeune homme !
Elle te tend la main, tu l’aides à se relever. Elle a ce petit sourire délicieux qui te fait penser que dans sa jeunesse elle a dû plus qu’à son tour faire tourner les têtes.
– Je… c’est… je suis désolé… Ça va ?
Mais tu n’as pas le temps d’en dire plus car à ce moment-là arrive une troupe de joyeux piétons, bravant la grande et fondamentale loi interdisant les rassemblements prolongés non autorisés, enfin votée par le Parlement sur l’impulsion du terrible Bernard Kouchner baptisé par Le Canard enchaîné Koukouchpanière en hommage à tous ces petits godillots révérents privés d’impossibles rêves ayatollesques – avant d’être affublé du sobriquet plus seyant de Kouchkärchner. Loi qui sera bientôt organique dès que le très énervé et vénéré président Sarkozy aura trouvé le temps, entre deux voyages en Chine, en Iran, en Inde, en Ouzbékistan, de réunir le Congrès aux ordres à Versailles, histoire de sceller toutes ces aimables lois d’exception dans le socle de la Constitution.
Pas le temps de reprendre ton souffle. Un tonfa long comme le bâton de Justin Bridou s’abat sur le guidon de ton vélo. « Papiers, s’il vous plaît ! » Et merde ! Les flics. Un, deux, trois, je vais au bois. Quatre, cinq, six, j’mange ma saucisse. Sept, huit, neuf, je croise un keuf… Dix, onze, douze, j’marche dans la bouse… Il en sortait de partout. A croire que la clique t’attendait pour te souhaiter ton anniversaire. Tu attrapes ton téléphone portable. « Monsieur, s’il vous plaît. On vous a demandé vos papiers. » Tu marques ta stupéfaction. « Attendez, je… » Le flic est petit râblé, impétueux, impatient, le courant ne passe pas. « Vous venez de brûler un feu rouge, de renverser un piéton et vous téléphonez au guidon de votre bicyclette… Permis de conduire, s’il vous plaît ! » Tu cales la pédale de ton vélo sur le rebord du caniveau. « Monsieur, le stationnement des véhicules est rigoureusement interdit à cet endroit… » Cette fois, c’est une Antillaise pète-sec qui s’est collée à la tâche. Tu te frottes les yeux pour y croire. Tu reprends le guidon de ton vélo. « Et en plus, vous n’avez pas de catadiope ! Quatre infractions, c’est beaucoup pour un seul homme ! » Rester calme. Depuis ce jour de l’été 2006 où tu as passé trois heures au commissariat mains et chevilles menottées après avoir dit un gros mot à un fonctionnaire bouché qui voulait te forcer à verser la dîme au GROPPP (Grand Racket Organisé de la Préfecture de Police de Paris), tu t’es juré : a) d’éviter la police ; b) d’éviter la police ; c) d’éviter la police ; d) au cas où la rencontre avec l’autorité honnie viendrait à se réaliser, de rester zen, quoi qu’il arrive. Alors tu prends ta respiration. Calmement. Et tu expliques. Calmement.
Mais va expliquer aux keufs que tu ne prends jamaistes papiers avec toi, a fortiori ton permis de conduire, puisque que tu te déplaces à bicyclette, qu’il n’est nullement obligatoire d’avoir ses papiers sur soi, du moins tant que le très énervé et vénéré président Sarkozy n’aura pas trouvé le temps de réunir le Congrès aux ordres à Versailles, histoire de sceller toutes ces malheureuses lois d’exception qui font pousser des cris d’orfraie au vieux lion Badinter, etc, etc, qu’aujourd’hui tu as cinquante balais, que tu vas fêter ça avec des tas d’amis, que tu as plein d’amis, Blancs, Jaunes, Rouges, Noirs, tous les humains sont tous les mêmes quand ils se disent je t’aime, que tu dois appeler ta compagne pour qu’elle t’apporte tes papiers, que la dame que tu as renversée n’a subi aucune dommage, d’ailleurs elle t’a souri, elle n’est même pas restée, vous lui avez fait peur avec vos conneries, tu aimerais bien qu’on te fiche la paix, on ne va quand même pas en faire toute une histoire…
Et c’est comme ça que tout a commencé.
Comme la première fois, le 24 juillet 2006. 
Sauf que cette fois tu n’as pas été poussé à l’outrage et à la rébellion par un petit flic vénéneux. Cette fois, un regard a suffi.

2
« Vous, je sais pas, les gars, mais moi, le guignol, il commence à me taper sur le système ! Tes papiers, connard ! »
Je n’avais hélas aucun moyen de satisfaire à cette exigence. Les coups se sont mis à pleuvoir tout de suite.Coups de matraque. Coups de pied. Coups de boule. D’abord la tête. Les barbares visent directement le siège de ce qui leur fait défaut : l’intelligence. C’est celui qui m’avait demandé mes papiers qui a commencé. Les autres ont suivi. Ça a très vite dégénéré. Les coups pleuvaient en cadence. Sur tout le corps. J’ai essayé d’éviter les coups. J’ai perdu mes lunettes. Je me suis mis à quatre pattes, j’ai vu un pied les écraser sous ses Rangers. J’ai retiré ma main juste à temps. Quand je me suis remis debout j’ai été accueilli par une bordée de rires. Le flic de base n’aime pas les nègres, les Arabes, les cailleras à capuche. Le porteur de lunettes arrive juste après la trilogie. Autour de moi le flou. Sans ses lunettes le myope est comme la gazelle livrée aux lions. Des formes qui s’agitent. Des vagues de bleu marine, accompagnées de bruits sourds, comme un ralenti de cinéma. Un des flics m’a tendu quelque chose. « Tiens, l’intello, tes lunettes ! T’en auras besoin pour regarder le porno de Canal ! » Je me suis pris un objet dans la figure. Mon vélo. Que l’un des excités en uniforme s’était amusé à dézinguer sous mes yeux. Je suis tombé par terre, j’ai roulé sous le bicloune, le papillon de la roue m’a déchiré la joue mais c’était peu de choses comparé à la violence des coups que j’avais reçus. Je me suis relevé. J’ai essayé de l’enfourcher mais les roues étaient voilées. J’ai réussi malgré tout à faire quelques mètres avant de m’étaler. Ma tête a heurté l’arête du caniveau, mais je me suis encore relevé et remis en selle.
Arrêtez-vous, monsieur !
Ils remettaient ça. Ils riaient. Ils se maraient comme des baleines Des malades… J’ai décidé de ne pas me retourner, persuadé que c’était fini, que peut-être rien n’avait commencé, que tout ce que je venais de vivre n’était qu’un cauchemar. J’avais renoncé à comprendre ce qui m’arrivait, j’étais sonné. Des coups de sifflet ont rententi, j’avais la tête comme une calebasse, je crevais de soif, des gens me frôlaient sur le trottoir, passants irréels, livrés à ma surdité, ma cécité, ma pépie, mon atrophie mentale, mes larmes de désespoir. J’ai attrapé la veste d’un passant, il sentait mauvais. « S’il vous plaît, aidez-moi, ils vont me tuer, ils vont me tuer… » Le type m’a repoussé, effrayé. Non, ce devait être moi qui sentais mauvais. Il m’a dévisagé, il a murmuré : « Dieu du ciel, mais qu’est-ce qu’ils vous ont fait ? » Il a porté la main à sa poche pour trouver un mouchoir en papier et a commencé à éponger le sang qui pissait de mon arcade sourcillière.
La voix d’un flic a retenti.
– Monsieur, s’il vous plaît, ne vous mêlez pas de ça, circulez !
– Mais enfin, monsieur l’agent, vous avez vu dans quel état vous avez mis cet homme !
– Tu vas te tirer, espèce de connard !
Sur le coup, j’ai cru que ça s’adressait à moi, j’ai laissé tomber le vélo et j’ai commencé à courir, enfin, courir, accélérer, mettre un pied devant l’autre, comme un chaton qui s’aventure hors du panier et se prend les patounes dans la pelote, je ne sais pas pourquoi j’ai pris ça pour moi.
– Mais arrêtez-le, bordel de merde ! Vous n’allez quand même pas laisser partir cette petite ordure !! Capitaine !
C’est à ce moment-là que j’ai reçu le premier choc électrique. Je suis effondré, tétanisé par une intense douleur qui me déchirait la poitrine en deux. Suivi d’un deuxième choc, alors que j’essayais de me lever.
Et puis ils sont revenus. Les barbares sont revenus. Je me suis recroquevillé. Petite chose endolorie qui attend le coup de grâce pour être enfin délivré de la douleur. Les coups pleuvaient. Sur tout le corps. J’ai essayé de résister encore et encore. Des coups, des coups, des coups. J’ai craché une ou deux dents. J’avais atrocement mal à la mâchoire. Ma tête explosait. Les fauves rugissaient. J’étais mort, ou presque, ou ça n’allait pas tarder. A bout de force, j’ai fini par perdre connaissance. Je suis vaguement revenu à moi quand les barbares m’ont attrapé par les aisselles et les pieds pour me balancer dans un fourgon, menottage aux chevilles, double menottage aux poignets, clac, clac, à croire qu’il m’était poussé deux bras dans la curée, et je suis aussitôt retombé dans l’oubli.
Source : Nantes Révoltée (17/10/2019)
3
Le type gisait sur le carrelage. Pif en sang. Mâchoire déboîtée. Avec tous les coups de latte qu’on lui avait balancé, il était pas beau à voir. Parlons pas des lunettes, que Texier a pris un malin plaisir à aplatir. Dieu sait si je ne suis pas un tendre mais Tex c’est the maboule. T’avais qu’à porter des lentilles, Toto. Il aime pas les lentilles, le monsieur ? Tex, parfois, il est… imprévisible. Le jour de la mort de Pinochet, je l’ai surpris aux chiottes en train de pisser sa haine. « Quand même, Augusto, c’était un grand, bordel ! » il ruminait. Il était tellement excité qu’on aurait pu croire qu’il se branlait. « C’est sûr qu’il les avait un peu plus pêchues que toi ! » j’ai ajouté en balançant un œil sur son organe. Tex a refermé sa braguette et sa grande bouche en même temps. Un à zéro, Toto. Remarque, dans son état, le cycliste, il est pas près de se pointer chez Afflelou. Qu’est-ce qu’on va faire de ça ? Avec les copains on s’était un peu lâchés. Les intellos qui se la pètent, je supporte pas. Les intellos-cyclo, je cogne. Toujours se méfier de ces mecs-là. L’ORDRE, BORDEL ! Que ça de vrai ! L’ordre égale la paix. Leurs petits discours à la con, ils peuvent se les carrer quelque part… Profond. Profond, j’ai dit, ho ! T’as entendu, bordel ! Petit coup de tatane dans le ventre du cycliste. T’endors pas, bonhomme. Rappeler au citoyen qu’avant toute chose il est ici sur notreterritoire. Etat de droit ? Qu’est-ce t’as dit, là ?… Tu peux répéter, j’ai pas bien entendu… C’est pour ça qu’un jour j’ai décidé de porter l’uniforme. Pour avoir la paix. Mon père n’était pas chaud. Mon père était un sale petit baragouineur communiste, ma mère supportait ses conneries, jusqu’au jour où elle s’est tirée avec un type qui s’est occupé de sa chatte au lieu de la faire chier avec L’Huma-Dimanche, c’est aussi pour ça que je suis entré dans la police. Pour me venger de leur petite vie de larbin. Avec l’uniforme, tu as la paix. Le salaire est minable mais il y a des compensations. Le premier petit enculé qui te fait chier, tu le fais ramper à tes pieds ! On est les rois, mon pote ! Ici, la loi, c’est moi. Pas toi. Moi porter uniforme. Toi porter petites lunettes cassées. Capisco ? J’crois qu’il a pas capisco. Moi rouler en voiture-pimpon, toi en vélo et à cause de tes conneries maintenant ta roue est voilée et comme Sarkop a supprimé la CMU va falloir que tu fasses de sacrées heures sup’ pour t’acheter un dentier.
Et c’est pour ça que tu es là. Entre mes mains.
Pas de réaction.
Nantes, 2019. Crédits photo Bsaz.

Le bloqueur ne l’avait pas tout à fait calmé, alors on a été obligé de lui passer les bracelets. Jaffrelot et moi on a dégaîné les bracelets en même temps, on n’allait pas se faire des politesses… On lui a rabattu les bras dans le dos, et voilà… Aux fers, le toto. Bien serré. Le petit fumier, il va comprendre sa douleur. Cordon de sécurité aux chevilles. Deux fois 50.000 volts dans la couenne. Le TASER, ça vous met du plomb dans la tête. Tranquille. Si ça tenait qu’à moi, c’est pas au TASER que je les bloquerais, moi ! Oh, mais c’est qu’il bouge encore… Alors, quoi, on conteste ? On aime pas l’ordre ? On dénigre la police ? Pas content ? Pop-pop : deux balles… Les cimetières sont remplis de petits fumiers qui la ramenaient parce qu’ils étaient pas contents, ils sont bien avancés, maintenant… Tous ces petits connards de blacks planqués sous leur capuche. Et hop, arrestation ! Bon, celui-là, c’est pas un nègre, ni un burnous. Pas le genre youplala non plus. N’empêche. Encore un petit tarlouze de gauchiste qui brûle sa sale petite race pour le grand soir des avortons de mes couilles du communisme ! Ça vous fait bander à ce point ? m’a un jour demandé l’OPJ. Oui, chef, j’avoue… J’aime cette impresssion de puissance, et c’est pour ça que je suis entré dans la police, Toto-PJ… Bon, ça, je l’ai pas dit au chief… N’empêche… Depuis que Sarkop a été élu, on se lâche un peu. Eh-ho, on a assez attendu ! Déjà qu’avant, avec Jordi, Pifouk, René et les cadors du 47 on se gênait pas trop, mais depuis que Sarkop est le roi, on se fait pas chier !… Sans parler du ministre de la Sécurité nationale et de l’Immigration, qui nous a fait comprendre que le Code de déontologie on pouvait se le rouler sous l’aisselle… Comme ça au moins les choses sont claires. C’était pas trop tôt. Riche idée qu’il a eue de nommer Kouchner à Beauvau, le Nico, il a pris tout le monde de court, là… Un toubib chez les keufs, fallait y penser ! Quelle trouvaille ! Quel génie, ce Nico ! « Messieurs, sortez couverts ! » il a dit le french doctor. Comment qu’il a ravalé son devoir d’ingérence, Kouchkärchner ! Eh, les mecs, j’ai été boulé de l’OMS, je veux ma part de gâteau, prenez-moi dans votre équipe, je ferai le beau, papatte à gauche, me laissez pas tomber ! Oh, l’enculé… Bon, l’essentiel, c’est qu’il obéisse aux ordres. Et les droitsdelhommistes de mes deux, t’as vu comment il les a cintrés chez Drucker ?! Le temps de l’idéalisme béat est révolu, j’ai envie de dire que les temps sont dévolus aux idées claires, les seules susceptibles de sortir la France du marasme… Chapeau bas, Koukouchepanière.Et le tour est joué…GUN. Gouvernement d’Unité Nationale. Gun ! Gun ! Gun !Aux armes, policiers ! Formez vos bataillons ! Trop fort. Finalement, mon père avait raison : n’importe qui peut devenir un bon petit fasciste… Le tout, c’est d’être là au bon moment. Avec Sevran à la Francophonie et Bigard à la Culture, il a fait fort, Sarkop. Je l’aime. Et pourtant, je suis sûr qu’il a une toute petite bite, ah, ah, ah !
– Qu’est-ce que t’as à te gondoler ! a lancé Jeff.
– Non, rien. C’est privé.
– Quel con, ce mec… Bon, on fait quoi, là ! Ramos, qu’est-ce qu’on fout ?
– À chacun d’assumer sa merde, a répliqué Ramos. Vous me faites le plaisir de dégager ce client, j’ai pas envie d’avoir des emmerdes, moi. On n’a strictement rien contre lui… Qu’est-ce qui vous a pris de tabasser un cycliste !
Ramos. Le chef de poste. Haïtien. Toute sa famille ratiboisée là-bas. L’un des premiers immigrés à bénéficier de la loi sur l’immigration choisie. Reçu en grandes pompes à sa descente d’avion par les hommes en noir du président Sarkozy. Tandis que des dizaines d’autres nègres-niakoués repartaient dans l’autre sens à coup de pompes dans le cul…
Un bon petit gars. Il ne dira rien.
– Rien contre lui, rien contre lui… Quatre infractions, c’est ça que t’appelles rien ? Si t’ajoutes à ça délit de fuite, rébellion, outrage, incitation à l’émeute, ça commence à sentir la cour d’Assises ! Bordel, je sens qu’on va faire un joli mois !
– T’es complètement maboule, Rusty !
– Ta gueule, Ramos, fais pas chier ! Si t’es pas content, tu peux retourner sur ton île paradisiaque… Capisco ?
– Tu es vraiment une tête brûlée, Rusty. Ça finira mal, tout ça…
– Ça finira mal si des mecs comme toi se mettent à flipper leur race… J’espère que tu feras pas le con, Ramos… J’espère…
Tout à coup, j’ai eu un doute à propos du chef de poste. Faut faire attention à lui. Bon petit gars… Pas si sûr que ça. Pas mûr pour la Milice, en tout cas. Il m’avait foutu la trouille, ce con. J’ai pris le pouls de Laurent Fignon. Il vivait encore. Peut-être pas pour longtemps mais il vivait. Respect. Après ce qu’il a pris la tronche, double régime TASER, j’en connais qui auraient eu le mauvais goût d’avaler leur extrait de naissance…
– Allez, ma poule, laisse-toi aller…
Il a baragouiné dans sa barbe.  Je sais pas pourquoi, j’ai l’impression d’avoir déjà vu ce mec quelque part… J’ai baissé la tête. Collé mon oreille sur sa bouche. J’étais scié.
– Vous devinerez jamais ce qu’il a dit, les gars !
Ramos m’a fait signe d’accélérer la procédure, tandis que Cynthia s’avançait dans la cage, une serpillière à la main.
– Vous y êtes allé un peu fort, merde !
– Il veut parler à un avocat !… Eh, oh, mec, y a pas écrit Club Méd !!!
4
J’ai ouvert un œil. Après de longues minutes d’angoisse j’ai osé ça. Tout autour de moi ça sentait la pisse, la bibine, la sueur, le sang, la crasse. Le sang, c’est le mien, j’en ai plein le nez. Et dans la bouche aussi. Ils m’ont pété les dents. La pisse aussi. Trois heures sans aller aux chiottes, à un moment, tu te lâches… Mais c’est pas cette odeur qui me dérange le plus. C’est une autre, moins… tangible. Pas vraiment une odeur, d’ailleurs. Plutôt une sorte de tension… L’odeur de la haine. La plupart de ces mecs sont torchés à la bibine de la haine tellement ils s’emmerdent à faire ce boulot à la con… J’ai refermé l’œil aussitôt. Pas qu’ils voient que je suis conscient. Pas leur donner ce plaisir. Ils m’ont un peu oublié, suffit d’écouter leur blabla bac moins 12. Putain, elle fait chier, cette salope, ça fait deux semaines qu’elle veut plus me toucher… Tu devrais peut-être te laver plus souvent la queue, René, tu sens la hyène… T’as qu’à aller voir les putes, banane !… Je connais une petite Sri-Lankaise qui fait ça très bien… Et elle a intérêt à assurer si elle veut garder son permis de séjour… Tu l’as baisée, au moins ?… Penses-tu, Pifouk, il est comme José Bové, il baise que les chèvres… Ça vole pas haut mais au moins pendant ce temps-là ils ne pensent pas à mal. Mal, c’est-à-dire : moi. Pour ces tarés je suis l’incarnation du mal absolu. Je suis le mal.Et je ne fais pas le malin. A un moment, il y en a un qui a lancé :« Bordel, j’ai déjà vu ce mec quelque part, moi ! » Une voix lente, qui prend son temps. Et cette voix me dit quelque chose. Toi, j’aime pas ta gueule, elle dit. J’aime pas ta gueule, je me souviens plus où je t’ai vu, mais quand je me souviendrai où et quand je t’ai vu, tu vas t’en prendre plein la gueule, tu comprendras ta douleur… C’est à ça que je l’ai reconnu. La voix. Tant qu’il ferme sa bouche, un flic reste une silhouette, un monolithe bleu marine un peu inquiétant. Dès qu’il ouvre, c’est autre chose. « Vos papiers, s’il vous plaît. » La voix sûre, posée, provocante par son calme olympien, qui ferait croire au plus innocent des bambins qu’il a volé trois tonnes de bonbons chez l’épicier du coin. Mais bon, tu les tends, tes papiers, pour avoir la paix, en espérant que ça ne s’éternisera pas trop. Que ça n’ira pas jusqu’au « Monsieur, avez-vous des antécédents psychiatriques ? » qu’ils te jettent à la gueule quand tu te fais embarquer en opposant une résistance à ce que tu estimes être un abus de pouvoir.Là, ça ne rigole plus. Fini la diplomatie. On range le tapis vert, on sort les menottes.
La première fois qu’un flic m’a posé cette question, j’ai été tenté de répondre : « Non, et vous ? » Mais je me suis abstenu. L’excès de courtoisie pouvant passer pour de la provocation. La première fois. Il y a un peu plus de deux ans. Ce foutu 24 juillet 2006. Dernier été avant l’accession au pouvoir du petit coq hongrois. Un contrôle routier, avenue de Clichy. Le flic me colle un PV bidon pour entrave à la circulation, que je conteste. Le keuf fait le malin, il a une courge en lieu et place du cerveau mais la courge est recouverte d’une casquette bleu marine, ça change tout. Je tiens tête au petit sadique en uniforme qui me voit arriver avec mes gros sabots. De guerre lasse, je finis par lui balancer un mot fleuri. Et hop, embarqué manu militari, menotté, chevilles, poignets. Je me débats, j’ai toujours eu de la répulsion pour les flics, et tout ce qui porte l’uniforme, mais là… Outrage, rébellion, incitation à l’émeute. Dans le fourgon, la question rituelle : « Monsieur, avez-vous des antécédents psychiatriques ? » Précédée de la petite phrase qui tue, balancée par le motard aux allures de milicien… T’as de la chance qu’Il soit pas…
La deuxième fois, c’est aujourd’hui. 
« Monsieur, avez-vous des antécédents psychiatriques ? »
« Non, et vous ? »
Aujourd’hui, j’ai répondu ça. Tandis que l’un des keufs qui me sont tombés dessus s’amuse à donner des coups de tatane dans mon vélo, après avoir éventré mon tube de colle et les trois malheureuses rustines qui se battent en duel dans la sacoche.
– Mais vous êtes mal…
– Ouh-la, on se calme !
– Avez-vous des antécédents psychiatriques, monsieur ?
« Chef, je crois qu’il s’est réveillé. »
Et merde ! C’est LUI ! C’est pas possible !!!…
– Chef ! Il a dit « merde » !
– Cette petite frappe est à moitié morte et il nous insulte !
– Tu sais combien ça va chercher, outrage, connard ?
– Mais vous voyez pas qu’il est à moitié mort, bordel !
– T’inquiète pas, Ramos, on n’aura pas besoin de l’inculper, le cycliste…
– Arrête de déconner, Rusty ! Je veux pas d’emmerdes, moi…
– T’auras pas d’emmerdes, Ramos, promis. Le cycliste non plus il aura plus jamais d’emmerdes, ah, ah, ah !
Ils se sont mis à rire, et la voix du maboule milicien s’est rapprochée de moi…
5
Le flic me regarde, impatient de connaître ma réaction. Je détourne le visage. Le barbare se penche sur moi, c’est un géant. Il m’attrape par le menton, me force à le regarder dans les yeux. Un regard froid, clinique.
– Maintenant je sais où on s’est vu…
Je hoche la tête. Pas la force de résister. Garder les yeux ouverts me fait trop mal. Pas besoin d’ouvrir les yeux. La voix suffit. Moi aussi, je sais. Je sais que c’est lui… le Milicien.
– Pourquoi… faites-vous ça… Vous n’avez… pas le droit…
Je ne sais pas comment j’ai trouvé la force de murmurer ces mots. 
– Ta gueule ! A ta place j’économiserais mes paroles, Toto…
Il pointe le doigt sur son flingue, une arme aux formes futuristes. Il me tient la tête, me force à garder les yeux ouverts.
– Tu vois ça ? Ça, c’est le droit, connard ! 50.000 volts… Je te présente mon ami, l’agent X26. TASER X26. Soumission des suspects par la douleur. Interfère le système nerveux central et les muscles. C’est sans danger, tu sais… Là, tu t’en est pris deux coup sur coup dans la tronche, gun ! gun ! Est-ce que t’es mort ?
– Vous êtes complètement…
– Ta gueule ! a-t-il grogné en simulant une beigne. Je répète ma question, Toto : EST-CE QUE TU ES MORT ?
– N… non…
– Bien. Donc si t’es pas mort, c’est que tu es vivant. Et si tu es vivant, tu te souviens où on s’est rencontrés, tous les deux, non ?…
– Je… je ne sais pas…
– Oh, que si, tu sais ! Je lis ça dans tes yeux d’clébard, on m’oublie pas, moi… Mais dis donc, t’avais meilleure mine… T’es pas malade, au moins ?
Le barbare s’est penché sur moi. J’ai essayé de le repousser, je ne voulais pas entendre cette phrase une seconde fois, mais il m’a saisi au cou, il a serré très fort pour me forcer à écouter. La foutue petite phrase qu’il m’avait glissée à l’oreille ce 24 juillet 2006, juste avant que la porte du panier à salade ne se referme sur moi, juste après que j’aie lancé : « C’est Sarkozy qui vous met dans cet état ? » La petite phrase qui fait froid dans le dos, agrémentée d’une pichenette de tonfa dans les côtes pour faire digérer le message.
« T’as de la chance qu’Il soit pas président ! »
– Eté 2006, avenue de Clichy. Je passais par-là avec mon équipier. Je sais pas ce que t’avais fait, mon salaud, mais t’étais drôlement excité…
– J’avais rien fait…
– Ça, c’est pas mon problème. Nous, on voit des collègues aux prises avec un fou furieux, on accourt. Tu vois, bonhomme, on s’est retrouvés… C’est chouette, ça… on va pouvoir finir le travail… Parce que maintenant il est président, Toto ! Jackpot ! L’ordre va régner, t’inquiète… On va pouvoir respirer. L’ORDRE, BORDEL ! Tu comprends ça ?
J’ai hoché la tête.
– T’as pas de chance d’être tombé sur moi, Toto ! Tu comprends ta douleur, là ? a ajouté ce salaud en me vrillant le menton d’une poigne de fer.
Oui, j’avais compris. Oui, on s’était retrouvés, oui, maintenant, Il était président… Et non seulement Il était président, mais Il m’avait envoyé un émissaire. Faciès au couteau, gorgé de haine, regard acéré de la folie des hommes, furieuse, sauvage, la loi du plus fort et du plus mort, dans la jungle des villes les mâles en uniforme ont tous les droits… J’avais mis du temps à saisir. Ma tête en ruine : arcades éclatées, chairs tuméfiées, dents cassées, langue marinant dans un bouillon de sang, mâchoire défoncée, il y avait déjà longtemps qu’elles avaient compris tout ça, elles. Ça avait juste mis un peu plus de temps à arriver jusqu’à mon cerveau. Le reste du corps, un désastre… L’ordre nouveau était en marche. Le petit coq hongrois a pris le pouvoir, les petits kops hongrois ne se sentent plus pisser de joie…
Nicolas de Sarközy de Nagy-Bocsa.
Te voilà donc.
Je ferme les yeux. Façon de parler, ça m’est devenu presque impossible de les ouvrir tellement ça brûle. Je presse mes paupières, fort. Pour ne plus voir l’enfer autour de moi, l’enfer putride du commissariat, les égouts de la haine. Et ça marche ! Peu à peu le milicien s’efface. Les barbares ont disparu. Les couleurs prennent le dessus sur les douleurs. Et je me baigne, enfin. Je me retire, lentement, dans un sirop de jouvence, et je pense à toi, petit Nicolas…
Nicolas de Sarközy de Nagy-Bocsa
Tu as pourtant dû être un petit bonhomme en culottes courtes, toi aussi, qui roulait ses crottes de nez entre ses doigts jusqu’à en faire des boulettes élastiques, qui reniflait avec un mélange de délice et de terreur son index glissé dans le fondement, qui courait après les chats, qui pissait sur les toiles d’araignée dans la rosée du matin, pissait plus loin que le bout de son nez, qui mourait d’envie d’aller voir ce qui se tramait sous les jupes des filles. Et toi aussi, le Barbare sans nom, malgré tes grands airs d’inspecteur Harry insensible à la douleur des hommes, tu as dû être un môme avant que d’être le bourreau, le violeur de conscience, le matador, la brutamatraque… Tu as dû jouer aux billes, toi aussi, au cerceau, à la chandelle, aux gendarmes et aux voleurs, gun, gun, gun, on n’était pas du même côté, déjà… Et quelque chose a dû se passer à ce moment-là, Nicolas, qui t’as rendu la vie si dure, si brutale, une pénible équation irréductible qui a fait de toi un enfant vachard, acharné à broyer la moindre brindille qui se mettrait en travers de ta route comme si une horde de Huns féroces menaçait de te trancher le scalp, la langue, le kiki…
Nicolas de Sarközy de Nagy-Bocsa.
Et tout à coup j’ai compris.
Tu perds le Nord, ta vie ne tient plus qu’à un souffle, mais tu as tout compris !
Compris les coïts de haine. La rage des déchus de la conscience, des bafoués orgueilleux qui ont tant de mal à porter la besace sans fond de leurs rancœurs. La quintessence de ce « t’as de la chance qu’il soit pas président » était là, claquante comme une noix de coco qui éclate entre les mains d’un singe, roulant dans mes yeux pochés de sang.
Et j’ai revu cette femme.
J’ai revu cette femme incroyable que j’avais rencontrée au Sénat lors d’une journée contre les violences policières – ma première rencontre avec l’arbitraire policier m’avait fourni l’occasion d’écrire un pamphlet contre le tout-puissant ministre des « libertés policières », dont tout le monde s’était battu l’œil, à part quelques milliers de fous avides de liberté, et qui m’avait rendu fier comme un pou le temps d’un automne. Cette femme d’origine hongroise, dont toute la famille avait péri dans les camps nazis, qui écrivait des poèmes sur la Déportation et militait au Parti communiste m’avait avoué, l’œil pétillant, avoir torché le cul du petit Nicolas, à Neuilly-sur-Seine, quelques années après que son père eût décidé de fuir son pays de Hongrie, à l’époque où ceux qui choisissaient les immigrés étaient ceux-là même qui prenaient la route ou la mer par une nuit sans lune, et pas les petits couteaux zélés de la statistique, nostalgiques des longs hivers verdâtres de la Paponie renaissante. Elle m’avait expliqué qu’en hongrois sarközy signifiait littéralement « d’entre les boues », avec son accent délicieux, que d’un point de vue psychanalytique cela éclairait merveilleusement le caractère farouche du petit homme, cette volonté impétueuse de montrer les crocs, ce désir vertigineux de s’arracher à tout prix de la fange originelle et sur son passage tout renverser, tout écraser, détruire, ravager, expulser, et ce jaillissement infantile se concrétisait quarante ans plus tard par une féroce soif de revanche, un appétit de pouvoir carnassier – lui qui ne mange pas de viande et ne boit que de l’eau… déjà, petit, il se ruait sur les pâtisseries… –, et maintenant que le pouvoir était entre ses mains d’airain, il n’allait pas faire comme ce pauvre Chirac : se laisser engluer dans les marécages de la petite besogne politique… Le petit homme ne voulait à aucun prix regarder derrière lui, vers cette ville de Nagy-Bocsa qui signifiait en hongrois « terre informe », et c’est pourquoi, disait-elle, il était obsédé par les aurores atlantiques, les grands-messes solennelles, les banquets de la victoire, les roulements de tambour, les capitaines d’industrie cousus d’or, les anges radieux de l’Ordre qui le délivreraient enfin de tout le mal secret qu’on lui avait osé lui faire, enfant. Et voilà pourquoi il déployait toute cette débauche d’énergie afin d’écrabouiller les grains de sable rongeant les piliers de sa cathédrale, ces dissidents au mauvais esprit qui voyaient le mal partout… Et la dame avait ajouté, les yeux soudain secs de son passé meurtri, qu’il y avait là un petit air de déjà-vuqui ne lui rappelait pas que des bons souvenirs, un arrière-goût de guerre civile, de pogroms, de terre brûlée, et les présages prégnants d’un fascisme qui ne disait pas son nom, auquel la France sarkopéniste était insidieusement en train de se donner. Avant de me quitter, l’exquise dame, qui s’appelait Liliane, avait ajouté que le petit Nicolas, tout môme, était déjà caractériel, une tête à claque impossible. Et évidemment, nous avions ri, et dans ma bulle catafalque je ris encore, je repense à cela, qui me fait oublier que je suis en train de me dissoudre dans une nuit de glace, et avant de plonger dans la tranchée froide de mon oubli j’ai songé qu’ils allaient se poser mille questions, peut-être qu’il s’est mis à flipper, qu’il n’a plus envie de souffler ses cinquantes bougies, peut-être qu’il s’est égaré dans le jeu de piste, peut-être qu’il a perdu le fil d’Ariane, peut-être qu’il s’est fait bouffer tout cru par le Minotaure, si au moins je savais où la fiesta a lieu j’aurais pu demander à un de ces braves fonctionnaires d’envoyer quelqu’un pour dire que je serais en retard… mais non…
6
Vous avez entendu ?… Il a ri.
Ri ? Avec tout ce qu’on lui a mis, c’est un solide…
Tu dirais pas comme ça, à la voir…
Il fait quoi, là ?
Je crois qu’il dort…
Tu crois pas plutôt qu’il est…
S’il était… il aurait pas ri, arrête de déconner…
Qu’est-ce qu’on fait de lui, capitaine ?
Ramos !! Ramos !
Vous faites suer, les gars ! Ce con de Rusty est responsable de toute cette merde, qu’il assume !
On est tous dans le même bain, Ramos, n’oublie pas ça ! Et n’oublie pas que le chef de poste, c’est toi et pas ta grand-mère qui fait du pédalo !
Bon, moi, je vais chercher l’OPJ…
Tu veux pas non plus appeler les bœufs-carottes ! Non, mais il est débile, ce mec !
Eh… Rusty…
Rusty, qu’est-ce que tu fais ?!… Mais t’es malade !
Quand le vin est tiré, il faut le boire, Toto…
Mais tu vas quand même pas…
C’est rien, bonhomme, rien qu’un mauvais moment à passer…
Rengaine ton gun, Rusty !
Ta gueule, Ramos !
Rusty, je ne te le dirai pas deux fois ! Capitaine…
Ta gueule, sale nègre !
Pop-pop.
Oh, le coup est parti tout seul… Trop sensible, X26…
T’aurais fait un piètre milicien, Ramos. C’est dommage, parce que je t’aimais bien…
Pop-pop.
Pfff, pfff… Le président va être content, j’ai fait du bon travail…
PUTAIN ! RUSTY ! QU’EST-CE QUE T’AS FAIT ! T’ES COMPLETEMENT DÉCHIRÉ !!!!!

7
C’est fini, ils sont morts. Ils sont tous morts. J’ai réussi à me débarrasser de ces douze salopards. C’est ça qui compte. Je suis plus fort que Lucky Luke. Les enfants pourront être fiers de moi. Je suis trop fort. Je me relève. J’ai mal aux cheveux. J’ai dû m’ouvrir le crâne en tombant de vélo. J’aimerais bien ouvrir les yeux mais je ne peux pas. Essayons les narines. Un parfum. Son parfum. Et puis des fleurs aussi. Ça sent les fleurs et le parfum. Je l’entends qui trottine sur le trottoir, je reconnais son pas. Bon anniversaire, mon chéri… Je sens sa main qui se pose sur ma joue, en douce. Elle est… si douce… Et je ne comprends vraiment pas… pourquoi elle pleure… alors que c’est… mon anniversaire et que nous sommes… tous… réunis…

mercredi 9 octobre 2019

Je fais mon cinéma sur ”Double Marge”, le magazine de Littératures et d’Arts

Mon premier film s’appelait Moby Dick. Nous étions en 1964, j’avais six ans, je venais d’entrer au CP à l’école primaire de Madré (Mayenne) et comme mes parents n’avaient pas la télévision, le chef d’œuvre de John Huston restera longtemps perché au sommet de mon panthéon. À défaut de “faire mon cinéma” avec de la pellicule et des créatures de chair, je le fis avec des cocottes à plume, comme je l’ai raconté dans C’est à cause des poules, roman d’apprentissage récompensé par le Grand prix de la Mayenne 2000, hélas pilonné par son éditeur félon, Flammarion. On se console comme on peu…

Puis vint le cinéma, le vrai. Nous étions en 1969, dont j’ignorais évidemment qu’elle serait une année érotique. Et pourtant… Mes deux premiers films “en ville” étaient on ne peut plus imprégnés de cet érotisme torride chanté par Gainsbourg. Et de violence, aussi. Baptême du feu au Vox à Pré-en-Pail, avec mes sœurs Gisèle et Éliane. Shalako, western d’Edward Dmytryk, jamais revu depuis. Brigitte Bardot donne à voir ses formes, véritable appel à l’incandescence pré-pubère, et la réplique à un Sean Connery pétaradant dont je réaliserai longtemps après que nous avions exactement le même nez, ce qui ne sera pas sans conséquence sur mes illusions de jeune homme longtemps effarouché par la gente féminine. Merveilleux souvenir d’une époque où chaque bourg français de deux mille habitants possédait son cinéma !

Deuxième essai (grandiose) au Familial de Couterne (Orne) : Il était une fois dans l’ouest, de Sergio Leone, avec qui vous savez, interdit aux moins de 12 ans. J’en ai onze et ma sœur Éliane qui m’accompagne a du mal à me convaincre que je n’ai rien à craindre : nul censeur infiltré dans ce cinéma catholique ne viendra me déloger, personne ne m’empêchera de voir la sublime Claudia Cardinale évoluer dans un bain de mousse érogène. Et la horde des méchants longs manteaux emmenés par un Henry Fonda dont je mets un certain temps à comprendre que c’est un acteur et non pas un vrai sadique recruté à sa sortie de prison, tellement il fiche la trouille.
Longtemps, je crus que cet homme était réellement un méchant.
Années 80. Je monte à Caen pour effectuer mes humanités. École normale d’instituteurs, quatre premières années de fac, autant à éditer une revue de poésie, et surtout à fréquenter le Lux, ex-cinéma paroissial où je deviens ouvreur bénévole, ce qui me permet d’ingurgiter une ribambelle de films, sous les auspices de l’austère prince du cinéma M. Benoist, et m’inspirera le roman Fondu au noir. Titre emprunté à l’unique film de Vernon Zimmermann, Fade to black, où un employé aux bobines dans une major d’Hollywood tue ses ennemis en parodiant des meurtres vus au cinéma. Le pitch ? Richard Drexter, ouvreur de cinéma à Little Rock, Kansas, devenu aveugle à force de s’être usé les paupières sur l’écran, tombe dans les rets d’une créature aussi sublime que vénéneuse. La question me vient à l’esprit alors que les lasers miraculeux des ophtalmologues des Quinze-Vingts viennent de réparer un mien décollement de rétine potentiellement porteur de cécité : cette créature ne serait-elle pas tout simplement… le cinéma, qui vous happe et vous hante jusqu’à l’ultime fondu au noir ?

Quelques années plus tard, j’achève ma carrière d’ouvreur au Paris, avenue du 6 juin, racheté par M. Brébant, propriétaire du Napoléon, sur les Champs-Élysées, qui venait de débaucher Thérèse, ouvreuse à l’ABC, le cinéma porno de l’avenue de Vaucelles, récemment clos – et où je n’ai jamais mis les pieds – et son époux projectionniste. Max Pécas côtoyait Purple rain et Evil dead, nous riions beaucoup, les spectatrices étaient belles, je portais pour la première et dernière fois de ma vie une cravate, et je n’oublierai jamais ce singulier spectateur obèse un peu attardé qui craignait deux choses : qu’on lui vole son vélo cadenassé devant le hall et que La Belle et le Clochard ne soit un film qui “parle du bas” [sous-titré], alors qu’il venait le revoir chaque après-midi…
1985. Un concours des PTT m’arrache à la douce province normande. Glorieuse montée à Paris, après une étape aux Chèques Postaux de Rouen, place des Emmurées – toujours, cette chambre noire qui rôde ! Le cinéma n’adaptant aucun de mes romans (même pas Fondu au noir, misère !), je me contenterai d’être un spectateur assidu, de plus en plus exigeant – il ne faudrait voir que des chefs d’œuvre ! –, abandonnant en rase campagne un cinéaste dès qu’il commet un film médiocre. Ce sera le cas de ce pauvre Woody Allen et son insupportable Trouble with Harry (1997).
1998. Quelques maîtres ès-quolibets du Masque et la Plume, emmenés par l’exécrable Serge Kaganski des Inrockuptibles, taxent ce pauvre Philippe Collin, critique à Elle, de dandy, qui eut le mauvais goût de ne pas s’incliner avec dévotion devant The Big Lebowski. Je prends la plume pour défendre le malheureux et tirer à boulets rouges sur ce film pachydermique (pardon pour John Goodman !) qui m’avait insupporté et faillit me fâcher avec quelques bons amis, où les frères Coen, non sans s’être livrés à quelques misérables exercices de recyclage de leur propre matériau cinématophère, telle la séquence de la chute du génial Grand saut (The Hudsucker proxy). Jérôme Garcin lit à l’antenne ma lettre énervée où j’avouais avoir eu, pour la deuxième fois de ma vie (après L’Unique, phénoménal navet de 1985 avec la cantatrice Julia Miegenes), envie de casser la gueule… à un écran ! (Je n’exagère aucunement.) Je n’étais pas peu fier de ce qui fut ma première critique de cinéma, et, pensai-je, la dernière. J’avais tort…

2019. Kits Hilaire monte avec quelques complices Double Marge, magazine de Littératures et d’Arts, et me propose de me confier une rubrique cinéma. Je relève le gant. À défaut d’écrire de la fiction, écrivons sur la fiction et amusons-nous. Ainsi va la vie.
Mes premières critiques, intraitables, aussi bien dans la bonne que la mauvaise foi, sont à lire à la rubrique cinéma de Double Marge
Au programme : Roubaix, une lumière, d’Arnaud Despléchins ; Perdrix, d’Erwan Le Duc ; Give me liberty, de Kirill Mikhanovsky  ; Viendra le feu, d’Oliver Laxe.