mardi 26 janvier 2016

De l’estime de soi. (Le scribe, la cinémathèque et Serge Toubiana)

Serge Toubiana
« On ne fait pas les choses pour les autres ; on les fait pour soi. Ce qu'on fait bien pour soi, on le fait bien pour les autres. C'est vrai pour un film, c'est vrai pour tout. On ne fait bien les choses que si on y prend du plaisir. On ne fait pas ça par devoir. Le devoir, ça n'existe pas. Ce qui compte, c'est le plaisir. L’estime qu'on a de soi-même et des projets qu'on fait parce qu'on a envie de les faire. »
Qui a dit cela ? Ne cherchez pas. À moins d’avoir assisté au conseil d'administration de la Cinémathèque du 25 novembre 2015, vous ne pouvez pas savoir. Cette citation est due à Serge Toubiana, directeur de cette noble et belle institution que le monde cinéphilique entier nous envie.
Je le sais parce que j’y étais. En tant que scribe. Et non pas, comme pourrait le laisser croire l’éthymologie [issu du latin classique scriba, « copiste », « greffier », « secrétaire », scribe a donné écrire, puis écrivain] en tant qu’écrivain venu raconter sa dernière adaptation au cinéma.
Eh oui, tout au long de cette abominable année 2015, que l’UNESCO eut l’idée peu prémonitoire de baptiser « année internationale de la lumière », pour faire bouillir la marmite, j’ai assuré les fonctions de scribe, qui consiste, à notre époque, à retranscrire des conseils d’administration, des comités d’établissement, des conseils généraux, des conseils municipaux, des séminaires, des colloques, des machins interministériels dont vous n’avez même pas idée qu’ils existassent, etc.
De tous les labeurs alimentaires que j’ai effectués durant ma vie d’écrivain-infoutu-de-vivre-de-sa-plume, ce fut, sinon le plus pénible physiquement, du moins le plus éprouvant psychologiquement. Transparent, invisible, les nerfs à vifs, guère considéré (à de notables exceptions près) par les intervenants des débats qu’il retranscrit, le scribe (appelé aussi « sténotypiste », « rédacteur », parfois même « aide technique ») tient du transhumain. Il n’est qu’une sorte de prothèse du micro-ordinateur sur lequel il s’échine à retranscrire un maximum des débats, afin d’en avoir le moins possible à faire pour finir le job chez lui, lessivé, éreinté, à la ramasse.
"Les bras m’en tombent", Urbs
Contrairement au travailleur salarié, son statut ultra-précaire d'auto-entrepreneur ne lui permet pas de bénéficier du garde-fou que constitue l’arrêt de maladie, encore moins ce machin de luxe appelé CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail)*, interdit aux non-salariés, aux travailleurs précaires et aux indépendants.  Le scribe est en quelque sorte un CHSCT endogène. Il doit assumer sa fatigue et son burn-out jusqu’au bout, travaillant jusqu’à épuisement de la masse musculeuse – parfois, la matière grise se glisse entre les aspérités musculaires, ce qui est fort désagréable, un peu comme un reste alimentaire qui se glisse entre vos dents et que vous n’arrivez pas à déloger – et vivre dans sa chair ce qui correspond peu ou prou à l’éthymologie du mot travail (du latin trepalium, « instrument de torture ») : une souffrance physique et morale. Formule que l’on pourrait évidemment appliquer à bien d’autres boulots, comme le rappelle ce récent article du Monde ; je n’ose imaginer ce que doit être la vie d’un découpeur des abattoirs, d’une gaveuse d’oie, d’un balayeur de fond ou d’un vigile « debout-payé », par exemple. Mais bon, je parle de ce que je connais…
Bref, le scribe des temps modernes est parfaitement adapté à l’air du temps : précaire, payé au lance-pierre, subissant parfois des conséquences fâcheuses. J’ai raconté dans La France descendante des sans-dents l‘invraisemblable humiliation que m’infligèrent en mai 2015 un dentiste dépourvu d’humanité et sa cheffe de centre sans foi ni loi, suite à une défaillance momentanée de CMU.
Mais ce travail fut aussi, paradoxalement, le plus « instructif », d’un point de vue de la « pédagogie politique ». Je raconterai un de ces jours (ou pas) comment certaines de ces réunions, à l’instar de l’excellent film de Pierre Schœller L’exercice de l’État, m’ont permis d’apprendre des choses essentielles, qu’on ne lira jamais dans le journal, sur la façon dont nos gouvernants, pour préparer les lois, en défaire d’autres, affaiblir certains corps administratifs (l’inspection du travail, par exemple), envoient au charbon leurs fantassins issus des grandes écoles… Ah, il faut les voir, sanglés dans leurs petits costards gris tristounets, le doigt sur la couture du pantalon, dégainant à tour de bras du « M. le président ! » (Vous n’avez pas idée de ce que ce pays compte de « présidents » !) Je crois que, finalement, le plus déprimant, c'est cela ; ce monde figé, codifié, irrésistiblement absurde, admirablement décrit par Francis Mizio dans son hilarant D’un point de vue administratif.
Il m’est aussi parfois arrivé – trop rarement – de rencontrer des gens qui vous témoignent une certaine reconnaissance – au sens minima de « reconnaître en vous un être humain, et pas une ombre rivée à sa machine ». Ce fut notamment le cas à l’EPRUS, (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires), institution d’une criante utilité publique, on l’a vu lors des attentats du 13 novembre, où les apartés avec le très pointu et très humain médecin anesthésiste militaire Alain Puidepin et quelques autres grands chirurgiens, grands médecins, me manqueront.
Et ce 25 novembre, lors de mon avant-dernière « mission », au CA de la Cinémathèque, au cours duquel j'ai pu dédicacer mon roman Fondu au noir au grand Costa-Gavras, échanger quelques mots avec Laurent Heynemann (le réalisateur de La Question) et le documentariste Nicolas Philibert, croisé 40 ans plus tôt alors qu’il était l’assistant d’un film de René Allio dans lequel j’étais figurant (Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…). [Tout comme celle où Michel Foucault figura, la scène où je figurais fut hélas coupée au montage.] Et entendre, de la bouche de Serge Toubiana [coscénariste du film, il n’y a pas de hasard], qui s'apprêtait à quitter la direction de cette belle institution, où il vient d’être remplacé par Frédéric Bonnaud, ces mots à la fois simples, rares et évidents [tempérés par une information qui m’est parvenue après l’écriture de ce papier**]« On ne fait pas les choses pour les autres ; on les fait pour soi. Ce qu'on fait bien pour soi, on le fait bien pour les autres. C'est vrai pour un film, c'est vrai pour tout. On ne fait bien les choses que si on y prend du plaisir. On ne fait pas ça par devoir. Le devoir, ça n'existe pas. Ce qui compte, c'est le plaisir. L’estime qu'on a de soi-même et des projets qu'on fait parce qu'on a envie de les faire. »
Costa-Gavras
Ces mots m’ont tellement fichu le bourdon qu’en rentrant chez moi, non sans avoir savouré le fait d’avoir rencontré pendant quelques heures des gens pour qui j’ai la plus grande estime, ma décision a été prise. Plus jamais écrire les mots des autres parce que tes mots à toi ne te permettent pas de casser la croûte… Plus jamais courber l’échine. Plus jamais larbin. Plus jamais passer des heures à essayer de capter des bribes de phrase entre un toux, un froissement de feuille de papier et une sonnerie de téléphone portable. Plus jamais serrer d’un Directeur général du Travail (putain de travail !) qui ne te répond même pas et te tourne le dos comme si tu n’existais pas… Plus jamais rien faire par devoir, par contrainte, pour gagner quelques malheureuses clopinettes qui te bousillent le dos et ne nourrissent que tes mauvaises humeurs.
Comme l’écrivait mon pote Caryl Férey, dont je m’honore d’avoir édité le premier roman et qui a connu depuis une certaine fortune éditoriale : PLUTÔT CREVER.


* Mon plus détestable souvenir étant l’un de ces CHSCT, dans une ville de la banlieue nord de Paris dont je tairai le nom par égard pour le fusilier-mitrailleur Pinot interprété par Georges Géret dans Week-end à Zuydcoote

Additif du 2 février.
** Quelques jours après la publication de ce papier, je découvre la Lettre ouverte à la cinémathèque française diffusée sur YouTube par Anna Bosc-Molinaro, ex-employée de la cinémathèque, qui dénonce les conditions de précarité des "petites gens" de le cinémathèque. Et abonde dans mon sens… L’info est reprise par Libération.

vendredi 8 janvier 2016

"Et vous arrivez à dormir la nuit, Églantine Laval ?" Une histoire ordinaire de calomnie, cautionnée par une juge de Montreuil

[Article mis à jour le 18 janvier 2018.]
Le 13 juin 2016, je comparus devant le tribunal d'instance de Montreuil pour violences volontaires (coups et blessures), après avoir été accusée par une certaine Eglantine Laval de l’avoir frappée à coups de poing. Tissu d'affabulations, inventées de A à Z, avec une art de la manipulation qui laisse pantois, par une personne d'une perversité redoutable. Cette dénonciation calomnieuse (délit puni par l'article 226-10 du Code pénal) – qui fera l'objet d’un procès ultérieur –, intervient dans le cadre d’une autre affaire judiciaire en cours, dont je n’étais que le témoin. Mon seul tort : avoir dit à cette personne, sur un bout de trottoir : "Et vous arrivez à dormir la nuit ?
Le délibéré de l’affaire judiciaire en question, rendu le 18 décembre 2015 et communiqué le 26 janvier 2016, a été ajouté en jaune. Accrochez-vous à votre fauteuil car cette histoire tient à la fois d’Ubu, de Kafka et du roman de machination !

         Tout commence le 3 septembre 2015.
J'accompagne au tribunal de Montreuil mon amie Isabelle D., vivant au Burkina Faso, rentrée spécialement en France pour soigner une maladie dégénérative et récupérer le studio qu'elle loue à une locataire qui a refusé de quitter les lieux à la fin du bail (janvier 2015) et ne paie plus le loyer depuis 10 mois, au motif que “le studio est insalubre“ [sic]. Après avoir mis en scène un simulacre de vétusté (dégât des eaux imaginaire, photos bidouillées, dénudage de fils électriques) et exigé des travaux électriques n’ayant aucune raison d‘être, sinon à cause des déprédations malhonnêtement commises, Églantine Laval est allée jusqu’à dénoncer sa proprio aux services d'hygiène de la ville de Montreuil [qui ont attesté de la chose, après une visite vraisemblablement effectuée par une personne atteinte de cécité, tant la mise en scène était criante, puis se sont rétractés, à l’issue d’une seconde visite, en constatant un taux d’humidité normal ne permettant pas de déclarer le logement insalubre].
Faisons là un bond dans le temps, pour délivrer un extrait du délibéré, rendu par Mme la juge Vanessa Lepeu "au nom du Peuple français" (qui sera ravi d’apprendre qu’en son nom les mauvais payeurs peuvent arrondir leurs fins de mois sur le dos de leurs salauds de propriétaires) : "Cette carence dans ses obligations a causé un trouble de jouissance à Mme Laval, qui sera justement indemnisée par l’octroi de la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts.
Pour récupérer son studio, mon amie lui a donc intenté un procès, reporté à début novembre pour permettre à la pauvre squatteuse de bénéficier de l'aide juridictionnelle. Et de dix autres mois minimum de loyer gratuit, la loi française interdisant les expulsions des locataires durant la période hivernale, tandis que sa propriétaire, à la rue, retournera vivre et se soigner au Burkina Faso, loin des hôpitaux parisiens.
   Après l’audience, je me retrouve sur le trottoir face à la femme Laval, que j’avais croisée 18 mois plus tôt, lors de la signature de l’état des lieux, en tant que mandataire de sa propriétaire, et dont j’avais pu constater sa propension compulsive à compter et recompter les petites cuillères. Trente ans, fluette, mutique, mais… dotée d’un redoutable sens de l’improvisation et de la mise en scène. Je m’approche d’elle. Je la fixe droit dans les yeux. Je lui demande : "Et à part ça, vous arrivez à dormir la nuit ?" "Ah, je vois !" marmonne-t-elle en baissant les yeux. Tout comme elle l’avait fait cinq minutes plus tôt, pour éluder la question de sa proprio : "On peut peut-être se parler, non?"  Je reviens à la charge. "Je vous demande juste si vous arrivez à dormir la nuit, avec toutes vos saloperies ?"
   Coup de théâtre. Églantine Laval se rue sur une passante venant à sa rencontre et se met à crier. "Madame ! Ce monsieur m'agresse ! J'ai besoin d'un témoin !" La passante passe son chemin. Seconde tentative auprès d’une autre passante, en plus hystérique. "Madame ! Ce monsieur m'agresse ! Ce monsieur m'agresse ! Aidez-moi ! J'ai besoin d'un témoin !" Sans même se donner la peine de me demander ce qu'il en est – moi, le supposé agresseur –, la passante n°2 attrape la femme Laval par le bras : "Venez avec moi !" Le duo disparaît dans un immeuble voisin du tribunal où [je l'apprendrai plus tard], elle travaille. Abasourdi, je reste comme deux ronds de flan et retrouve mon amie dix minutes plus tard. Nous allons boire un verre dans un café de la rue Molière, en bas de "son" appartement, occupé illégalement. Estomaqués par le culot de la squatteuse, nous prenons malgré tout le parti d’en rire car nous sommes toujours vivants, et tant qu’il y a de la vie, il y a de l”espoir !  Et je rentre chez moi, persuadé que l'affaire est close…
Trois jours plus tard, coup de fil du commissariat de Montreuil. Je fais l'objet d'une plainte pour violences volontaires de la part de la squatteuse, à qui le toubib de l'Unité médico-judiciaire de Bondy a généreusement octroyé, deux jours après les faits – ce qui donne une idée de l’urgence à soigner le trauma – 4 jours d’ITT (interruption temporaire de travail), malgré un rapport médical établissant "une absence de lésions traumatiques récentes visibles" !
    Le gardien de la paix Anthony L., me reçoit, assisté par une collègue. La première question donne le ton : "M. Reboux, êtes-vous un homme violent ?" Tel un Desproges en flagrant délire, je glousse. Négatif, monsieur l’agent !
   Le gardien de la paix L. lit alors la déposition hallucinante d’Eglantine Laval. La loi interdisant aux suspects de détenir la copie de leur PV d'audition, citons de mémoire les passages les plus croquignolets. "Le matin, avant d'aller au tribunal, j'ai vu M. Reboux rôder devant mon immeuble." De nouveau, je pouffe. Plus loin. "Il m'a donné un coup sur l'épaule, puis m'a frappée à coups de poing au visage." [Notons que la femme Laval prétendra auprès du médecin que je lui aurais dit : "Je vais te cogner sans témoin.")
Églantine Laval dort très bien la nuit
   Je suis tellement médusé que je ne pense même pas à faire remarquer que si j'avais donné des coups de poing à la pauvresse, celle-ci aurait crié, ce qui n'aurait pas manqué d'alerter le vigile posté dans le hall du tribunal, à trois mètres de là. Mais le meilleur reste à venir. La femme Laval a réussi à embobiner la peu regardante passante (que le gardien de la paix L. cherchera à joindre durant mon audition, en vain, ce qui fait que nous n’avons pu être confrontés), qui prétendra notamment : "Un homme poussait une jeune femme et avait une attitude menaçante à son égard."
  Devant ce tissu d’incohérences et de mensonges, je fais part de ma consternation aux policiers.
   – Quel culot ! À ce point-là, cela relève de la psychiatrie !
   Le gardien de la paix s'engouffre dans la brèche.
   – Pensez-vous que Mme Laval ait des problèmes psychiatriques ?
   – Je ne peux pas répondre à cette question. Mais je le suppute fortement.
   Puis vient la confrontation avec mon accusatrice. Pas très à l'aise – on la comprend –, incapable de faire des phrases cohérentes de plus de dix mots, Églantine Laval perd de son aplomb. Quand le policier lui demande d'évaluer sur une échelle allant de 1 à 10 la douleur qu'elle a ressentie, elle est incapable de répondre. Quant à m'avoir vu rôder devant son immeuble le matin du procès, la voilà qui bafouille : "Il est possible que j'aie fait une projection a posteriori."
   Le gardien de la paix L., qui a compris que la fille était une affabulatrice mais s'était tenu jusqu’ici à une rigoureuse objectivité, sort de ses gonds.
   – Madame, je ne vous demande pas si vous avez vu M. Reboux "rôder a posteriori". Je vous demande si vous l'avez vraiment vu !
Prise au piège de ses mensonges, la femme Laval répond qu’elle ne sait pas. Le policier relit alors le passage de ma déposition où je suppute qu'elle pourrait souffrir de troubles psychiatriques.
   – Madame Laval, voyez-vous un psychiatre ?
   – Non, je…
   – En avez-vous déjà vu un ?
   – Oui, mais plus maintenant.
   Anthony L. se tourne alors vers moi.
   – M. Reboux, pouvez-vous admettre que Mme Laval ait été perturbée par les propos que vous avez tenus à la sortie du tribunal ?
   – Non. Je n'y crois pas une seconde. Dans la mesure où elle a patiemment mûri son histoire depuis 10 mois, avec tout un travail de mise en scène. C'est de la pure simulation. Tout ce qui l'intéresse, c'est de rester dans cet appartement le plus longtemps possible sans payer le loyer. Alors qu'elle sait très bien que sa propriétaire est venue en France pour se faire soigner. C'est dégueulasse.
   Il convient, à ce moment du récit, de noter que sur son site, Églantine Laval (qui fait profession d’artiste), se présente ainsi : "Performeuse trans-média, Églantine Laval désordonne sa propre identité et prône une pratique artistique investie dans la redéfinition de l'art : son espace, sa relation au savoir et au public. Mise en abîme, scenarii comportemental, jeu, farce ou parabole, appel à se mesurer à la réalité, son travail installe l'incertitude et cultive le fantasmagorique." J’avoue que j’attends avec impatience les résultats de l’expertise psychiatrique de la pseudo-victime, qui se fait également appeler sur Facebook Jeanne de l’Arche. Syndrome de la Pucelle d’Orléans ? Désir inconscient de purification par le bûcher ? Schizophrénie ? Crise de (mauvaise) foi artistique ? Les hommes de l’art trancheront…
Fin de la confrontation. Croisant le regard de la pécheresse (volontairement évité jusqu’alors), je tente de lui lancer une bouée.
   – Pourquoi avez-vous raconté que je vous ai frappée ?
Jeanne de l’Arche sur le bûcher


 On me rappelle à l'ordre. Ah oui, c’est vrai, les personnes "confrontées" n’ont pas le droit de s’adresser la parole. C'est d'autant plus regrettable qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour faire cracher le morceau à la mythomane. Le policier m’indique que la décision de maintenir les poursuites ou de classer l'affaire est entre les mains du procureur de la République de Montreuil. Les semaines passent. Sans nouvelles du commissariat, je suppose que le parquet n'a pas donné suite à la plainte farfelue de la femme Laval. Grave erreur.
   Le 7 octobre, je suis de nouveau convoqué au commissariat pour convenir avec le parquet de Montreuil d’une date de procès. Le gardien de la paix L., à qui je fais part de ma stupéfaction, m'explique la procédure en usage. La procureure de la République, qu’il a eue au téléphone pendant trois petites minutes, lui a demandé son "ressenti" sur l’affaire. (Trois minutes ! Sans que j’aie été confronté avec la pseudo-témoin qui n’a rien vu !)
   Le verdict du policier est tranché : affabulatrice. Malgré cela, je comparais pour violences volontaires. L’affaire n’étant pas jugée, je m’abstiendrai de faire des commentaires qui me brûlent les lèvres. Tout comme je m’abstiendrai de commenter certains propos ahurissants du policier lors de ce second entretien, qui m’avouera, excédé : "À la place de votre amie, elle [la dingue] ne sera pas restée deux jours dans l’appartement !" [sous-entendu : je l'aurais mise dehors manu militari] Avant d’ajouter un "Et on ne l’aurait jamais retrouvée !" [sic] laissant supposer que la chaux vive siérait au teint, déjà blafard, d’Églantine Laval.
 Le 6 novembre avait lieu le procès d’Églantine Laval (assistée par une avocate commise d’office) contre mon amie Isabelle D., qui se défendait elle-même, avec beaucoup de courage, contre une locataire dont la mauvaise foi et la violence des propos auraient pu laisser croire qu’elle était la plaignante. ("On m’a loué un appartement insalubre, c’est une honte !" Appartement tellement insalubre qu’elle y restera, rappelons-le, au minimum 30 mois, dont 18 sans bourse délier, tandis que sa propriétaire sera contrainte de rentrer dans son pays d’adoption, le Burkina Faso, sans être certaine de pouvoir continuer à bénéficier de la CMU pour soigner sa maladie.)
   À l’issue de l'audience, la présidente du tribunal nous demande, à Isabelle D. et moi, d’attendre dix minutes avant de quitter la salle (afin, je suppose, d’éviter tout contact entre le dangereux prédateur que je suis et la pauvre demoiselle Laval, tremblante comme une feuille à la barre, la voix frêle, répétant qu’elle "ne se sent pas tranquille et a peur en rentrant chez elle". Bref. Jouant à merveille la comédie.). Ce que nous ferons bien volontiers.
E. Laval, une fille qui ne manque pas d’air
   À la sortie, un homme vient alors nous demander si nous sommes venus en métro ou en voiture. Surpris par l’incongruité de la question, je lui demande qui il est. Il sort alors de sa poche un brassard POLICE et explique que la présidente du tribunal a téléphoné au commissariat pour demander une présence policière pendant la durée de l’audience ! Il ajoute : "En cas de problème, composez le 17." Je lui réponds qu'il n'y aura pas de problème, car de toute façon Eglantine Laval est folle à lier, et je tiens à éviter tout contact. Il me répond qu'il ne souhaite pas parler de cela. J'ajoute que s'il y avait le moindre problème, je n'aurai pas à composer le 17, étant en possession du numéro de portable de son collègue qui m’a auditionné.
   Et nous retournons, mon amie Isabelle D. et moi, boire un verre dans le petit café en bas de l’immeuble du 44 rue Molière où niche, pour de longs mois encore, Églantine la voleuse de nids qui, contrairement au coucou dont elle s’inspire, n’a pas beaucoup de talent pour enchanter nos oreilles – à part celles de Mme la juge Lepeu, qui déboutera mon amie Isabelle D. de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice subi, en ces termes : "Dès lors, et même si la consignation de loyers ne peut être permise que par décision de justice, il ne peut être considéré que la mauvaise foi de la locataire est établie. Dès lors, la demande de condamnation de Mme Laval en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée."
 En terminant la rédaction de ce papier, je tombe sur cet article dans Le Monde, à propos des condamnations pour violences qui auraient explosé depuis quelques années, et cette désintox de Arte.tvEt je me fais cette réflexion.
   Il serait intéressant de savoir combien de personnes en France, sont comme moi victimes de plaintes farfelues, de dénonciations calomnieuses, de petites vengeances intestines, de crapuleries domestiques, telle cette escroqueuse à la lâcheté sidérante qui met en branle toute une construction psychique hallucinante afin de pouvoir passer 18 mois au chaud et de fuir ses responsabilités ?
   Dans la première version de ce papier, j’écrivais ceci : "Je me bornerai donc à attendre sereinement mon procès, le 16 juin 2016, en espérant enfin avoir la réponse à ma question : "Églantine Laval, arrivez-vous à dormir la nuit?" Fort heureusement, les services de mon avocat seront généreusement pris en charge par la République – qui est bonne mère avec ses pauvres, on ne le dira jamais assez – au titre de l’aide juridictionnelle, étant donné que je touche le RSA. Ce qui ne sera pas longtemps le cas, hélas, de mon amie Isabelle D., devenue SDF à cause d’une nuisible sans foi ni loi, et qui a dû rentrer au Burkina Faso, puisqu’elle n’a pas pu récupérer son appartement. Et accéder au droit de se faire soigner dans la dignité dans son pays, qui contrairement au Burkina Faso, n'est plus, et depuis trop longtemps – "le pays des hommes intègres".
     Cette sérénité en a pris un sérieux coup dans l’aile à la lecture du délibéré. Si je m’étais jusqu’ici refusé de commenter la décision de la procureure de la République de Montreuil de me poursuivre, alors que, de toute évidence – c’est aussi l’avis des policiers –, je suis victime d’une simulatrice, il m’apparaît difficile de faire confiance à une juridiction qui condamne sans vergogne une personne victime d’une escroquerie manifeste – qui plus est, malade et à la rue –, à verser 3.000 de dommages-intérêts à une mythomane manipulatrice… Je suis d’autant plus méfiant que, dans le délibéré, Mme la juge Lepeu ne prend même pas la précaution élémentaire d’évoquer ma culpabilité au conditionnel les prétendues violences que j’aurais exercée contre la femme Laval !
N’y a-t-il pas là motif à requête en suspicion légitime ?

Extraits du délibéré : par ces motifs, le tribunal :

Constate que Mme Laval est déchue de plein droit de tout titre d’occupation, depuis le 1er février 2015
Ordonne l’expulsion de Mme Laval, au besoin de l’assistance de la force publique dans les deux mois (auxquels il faut ajouter les mois d’hiver…)
Condamne Mme Laval à payer la somme de 6.950 € (la pauvresse demandait à rembourser… 100 € par mois)
Déboute Mme Isabelle D. de ses demandes de dommages-intérêts
Condamne Mme Isabelle D. [la victime] à payer à Mme Laval [l’escroc]
2.000 € en réparation de son trouble de jouissance (pour les raisons évoquées plus haut)
1.000 € en réparation de son préjudice moral (Mme Isabelle D. ayant eu le tort, à bout de nerfs, de se pointer dans son appartement avec deux policiers de Montreuil pour tenter de chasser la squatteuse, en omettant de leur signaler qu’une action judiciaire était en cours)



Ces craintes vis-à-vis de cette magistrate se sont concrétisées, puisque le tribunal de Montreuil, dirigé par la juge Vanessa Lepeu, m'a condamné le 13 juin 2016 [en mon absence ; je n'ai pu assister à mon procès] à une amende de 800 €. J'ai bien entendu interjeté appel de cette décision.
Procès le 2 février 2018 devant la Cour d'appel de Paris. Verdict le 9 mars 2018