dimanche 21 avril 2013

"Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale", de Caryl Férey


Avant de devenir une star adulée par des hordes de fans mapucho-hakaïens (bientôt la montée des marches à Cannes pour la projection du film de Jérôme Salle adapté de Zulu), l'ami Caryl Férey a pas mal galéré pour se faire éditer. Il raconte ça avec son humour de "renard" dans un livre pétillant, Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale (Points-Seuil), en librairie le 17 mai.
Le livre se compose de deux parties. Dans L’âge de pierre (paru chez Après la Lune en 2006, réédité dans le collector Fond de cale en 2010), il évoque son adolescence et ses rapports tumultueux avec son frère à Monfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine). L’âge de fer aborde l'apprentissage (hilarant) de l’écriture au lycée (le bougre assassinait tous ses copains dans des histoires hautement improbables)  puis, au travers de son parcours du combattant pour trouver un éditeur, les "drôles de manière" (pas drôles du tout, je suis bien placé pour en témoigner) du milieu de l’édition parisien, après la publication chez un graphiste rennais improvisé éditeur de ses deux premiers "avatars".
Plus pour se marrer que pour prévenir les aigreurs de certains éditeurs concernés, ceux-ci apparaissent sous des pseudos "à l’Indienne". Ainsi, Robert Pépin, qui présida à la destinée de la collection Policiers au Seuil, apparaît-il (sous un jour pas très glorieux) sous le nom de guerre Hibou Lugubre. Sous  Gros Papa perce Patrick Raynal (éditeur de Utu). Aurélien Masson (qui lui succéda à la Série noire) gambade dans la peau de Cheval Fougueux. Quant à moi, Jean-Jacques Reboux, alors modeste directeur de collection chez Baleine et premier éditeur de Haka, je suis affublé du sobriquet Coussinet Sensible. La raison en est simple. Le jour où j’ai lu le manuscrit de Haka (qui paraîtra en 1997), je venais de faire euthanasier ma minette adorée Molly, qui passait ses journées sur mon épaule et me dictait mes romans, et j’avais envoyé une carte postale à Caryl Férey (que je ne connaissais pas du tout à l’époque et dont je me demandais bien qui pouvait se cacher sous ce pseudo – qui n’en était pas un…) avec ces quelques mots : "J’ai lu Haka. J'ai adoré. Je vous téléphonerai plus tard car je viens de perdre ma chatte et je suis trop triste aujourd’hui." Ce qui, sous la plume de Caryl, donne : "J'étais édité par un gars qui ne pouvait pas me parler tellement son petit chat était mort. Cette fois-ci, j'avais rencontré un éditeur : un vrai."
Au-delà des anecdotes, souvent savoureuses, et des vacheries de bon aloi, le lecteur découvrira que si la valeur n’attend pas le nombre des années, le succès, lui, est parfois contrarié par des aléas regrettables, voire fâcheux. Ce qui ne le rend que plus précieux quand il arrive, comme c’est le cas pour ce diable de Caryl Férey.
Comment devenir écrivain quand on vient de la grande plouquerie internationale
Points, 168 pages, 10 €

dimanche 14 avril 2013

"L'Esprit Bénuchot" : de la littérature à la (méta)physique quantique

L'Esprit Bénuchot, mon 17e roman, sera en librairie en mai 2016.

Jules Bénuchot en 1960
Jules Bénuchot, ancien chauffeur de taxi, né en 1932 à Pantin, vit à Paris, rue de la Grange-aux-Belles, près du canal Saint-Martin. C’est un vieux monsieur taciturne, qui n’a pas eu une vie facile. Sa mère s’est jetée sous un train quand il avait onze ans. Son père, disparu quelques semaines après son retour de stalag, en 1945, n’a plus jamais donné signe de vie. Son oncle, qui l’a recueilli pendant la guerre, le battait. Son épouse Adrienne est morte. Ils ne se sont pas aimés longtemps. Juste le temps d’élever leurs trois filles. La cadette, Adèle, qu’il chérissait, a été renversée par un chauffard. Lucette, la seule femme qu’il ait vraiment aimée, n’est plus là. Il vit seul avec son chat Schrödinger, avec qui il a de longues conversations, et dont il n’est pas certain qu’il soit toujours vivant, à l’image du fameux « chat de Schrödinger ».
Jules Bénuchot en 2012
Passionné par la physique quantique, cette science de l’infiniment petit, fascinante, exaspérante, incompréhensible au commun des mortels, il est persuadé que pour appréhender les convulsions de la capitale, qu’il connaît sur le bout des doigts, il n’existe pas de meilleurs alliés que le hasard et l’incertitude. S’inspirant des grandes lois quantiques – ubiquité, probabilités, statistique –, il a passé sa vie à observer les gens. Il voudrait tout savoir sur eux. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Quelle tête avaient-ils quand ils étaient jeunes ? Quelle tête auront-ils quand il seront vieux ? L’ont-ils remarqué comme il les a remarqués ? Il note tout cela dans des carnets. Il en a noirci des centaines.  
L'esprit bénuchot hante le canal
M. Bénuchot se rêve en homme omniscient, capable de modifier le destin de ses semblables. Il adore aborder les passants. Il les suit parfois, discrètement. Les femmes de préférence. Donnant parfois un coup de pouce à leur destin – à leur insu la plupart du temps –, tel un physicien quantique modifiant l’état d’une particule en prenant sa mesure. Mais il ne se mêle pas seulement de la vie des vivants ; les cimetières sont des lieux où il peut également donner libre cours à son empathie, en réconfortant les survivants.
À 80 ans révolus, M. Bénuchot est allé au bout de sa « mission ». Il a fait le tour du « grand tout ». Il ne lui reste plus qu’à partir. Quitter la vie. Quitter la ville. Mais pas question de disparaître sans laisser une petite trace de son passage ici-bas.
Pour écrire le roman de son existence – à moins que ce ne soit pour retrouver la trace de ce père dont la disparition l’obsède ? –, il a embauché une jeune artiste qui recouvre Paris de graffitis en utilisant « ce qui passe par la tête » des passants qu’elle interroge, tout comme lui. 
 Léa va décortiquer ses carnets, écouter les cassettes qu’il lui donne au compte-gouttes, et plonger dans le passé du vieil homme, dont la vie fut engloutie par ces excès foisonnants de vies. Fascinée par les obsessions du personnage, elle découvrira des pans secrets de son existence, des vérités cachées, parfois effrayantes, parfois douces, qui la conduiront loin de Paris, en compagnie d’Ismaël, un chauffeur de taxi sénégalais, dans un endroit tellement improbable que vous en aurez le souffle coupé…

mardi 9 avril 2013

"Petite éloge de la méchanceté" . Le 29 novembre 2013, ça va canarder !

Jadis, dans la sublime revue Caïn éditée en Vendée par François Braud et Jacques Jamet (qui fut longtemps mon gourou, je le confesse), je tenais une chronique d’une extrême méchanceté, dans laquelle je tirais à vue sur tous les fâcheux qui m’indisposaient. (Je m’étais même attaqué au très célébré et très réac James Ellroy, c’est dire si je n’avais peur de rien!) Ma signature annonçait la couleur : intrépide, incorruptible, teigneux, glacial, Johnny Boxeur était sans pitié et foutait la trouille à tout ce qui avait vaguement quelque chose à se reprocher dans le landernau du polar.
Il y a quelques années, après quelques déboires avec des flics  légèrement abîmés de la cafetière, je m’étais fait une réputation d’outrageur de poulet, n’hésitant pas à faire convoquer un flic dans les bureaux de l’IGS (pour une histoire d’obstruction à la circulation) Avec quelques "outrageurs", nous créâmes le CODEDO, qui fit ce qu’il put pour dépénaliser le délit d’outrage. (Nous sommes au moins parvenu, grâce à Hervé Éon, à provoquer la déchéance du délit d’offense au chef de l’État, ce qui n’est pas rien…)
Sur la lancée, dans la peau de Fernand Buron, je m’étais même lancé à l’assaut de l’Élysée (sans armes, avec juste une pancarte Casse-toi pov'con!). Ce qui me valut une croustillante garde à vue, le jour de l’anniversaire du détrousseur de vieilles dames Sarkozy, et un classement sans suite de l’affaire par le procureur de la République de Paris (les procs ne sont plus ce qu’ils étaient, je vous le dis).
Plus récemment (2011), traîné dans la boue et devant les tribunaux par Mme Catherine Fradier (aux côtés de qui j’avais fait plier le Goliath Opus Dei dans un procès qu’elle semble avoir oublié), jugulant ma colère (les préceptes enseignés par mon gourou vendéen avaient porté leurs fruits!), je me tins coi et, plutôt que de faire appel à une officine de spadassins pour laver cet affront, je laissai à mon avocat le soin de défendre mon honneur et mes intérêts.
Il y a peu, un individu fort connu sur la planète "littérature", et dont je ne citerai pas le nom ici (pour le moment) parce que je ne tiens pas à écorcher ma plume, me lança quelques détestables anathèmes, qui, à défaut de me couper la tête, me coupèrent le sifflet, et d’autres choses encore. Là encore, je fis profil bas. Ne donnons pas du grain à moudre aux grands paranoïaques…
Dans le milieu polardesque, où tout se sait, les langues se délièrent : l’animal Reboux aurait-il rentré ses griffes? Aurait-il perdu sa verve lunatique? Lui aurait-on trépané les ailes du cerveau? C’est ce que pourrait également laisser croire l’appréciation portée par mon ami Caryl Férey (pas plus suspect de complaisance que de méchanceté à mon égard) qui, dans son dernier livre, va jusqu’à m’affubler du délicieux sobriquet Coussinet Sensible. (Vous imaginez la honte? Quinze ans après, Johnny Boxeur revient, il a remplacé son punching-ball par un air-bag et il se fait appeler Coussinet Sensible!)
Ces rumeurs sont, bien entendu, totalement fausses. Je vous assure, amies lectrices, amis lecteurs, que je n’ai été ni lobotomisé, ni remis au pas.
Et je vous en donnerai la preuve ici-même, le 29 novembre 2013, à la rubrique CANARDAGES.

"De Dakar à Paris, un voyage à petites foulées" de Pierre Cherruau (Calmann-Levy)



Pierre Cherruau est journaliste. Il a longtemps été responsable du service Afrique à Courrier International, avant d’être rédacteur en chef du site Slate Afrique, dont il vient d’être viré dans des conditions très étranges.
Pierre Cherruau est aussi écrivain. Tous ses romans parlent de l’Afrique, continent dont il a visité quarante pays. J’ai publié de lui le magnifique Nena Rastaquouère (1997) avec une préface hilarante de Didier Daeninckx, Lagos 666 (2000) aux éditions Baleine, puis Chien fantôme chez Après la Lune (2008), qui racontait un voyage haut en couleurs dans le "train bleu" reliant Dakar à Bamako, la capitale du Mali.
Pierre Cherruau est également marathonien. En 2010, il décide de se lancer dans un défi un peu fou : parcourir Dakar-Paris en courant. De ce voyage, chroniqué à l’époque sur son blog Dakar-Paris, il vient de tirer un livre qui se lit comme on regarderait passer une course (de fond) à pied, en prenant son temps pour détailler les coureurs, voire en faisant un bout de chemin avec eux.
 De Dakar à Paris, un voyage à petites foulées (Calmann-Levy) est le condensé de ses trois professions (de foi) : écrivain, journaliste, marathonien. Pour ceux qui, comme moi, n’ont jamais mis les pieds au Sénégal (ni même en Afrique noire), De Dakar à Paris est une façon épatante de découvrir ce pays pauvre, attachant, où la démocratie est venue à bout des démons du népotisme, d’où partirent les esclaves en route vers le Nouveau Monde et d’où fut prononcé le tristement célèbre "discours de Dakar" du caporal Sarkozy et de son affidé le raciste paranoïaque Henri Guaino. On y apprend comment y vivent les gens, comment ils s’accomodent du capitalisme le plus échevelé tout en respectant les traditions, comment ils accueillent le voyageur, qu’il soit noir ou toubab (la fameuse hospitalité sénégalaise, la teranga), comment des décennies de laisser-aller ont fait de ses rivages parmi les plus pollués de l’Atlantique (sidérant!) et de ses routes parmi les plus meurtrières d’Afrique (la trouille de l’auteur de se faire écraser en courant sur le bas-côté est récurrente). En ce sens, il peut se lire également comme un ouvrage d’anthropologue, l’auteur, de par son mode de déplacement "lent", ouvrant des portes que seul un coureur de fond peut encore prendre le temps de pousser, ce qui donne à ce voyage parfois enchanteur, souvent désenchanté, un côté humaniste. Du journalisme à hauteur d'homme, en quelque sorte, loin de certaines pratiques évoquées plus haut…
C’est aussi un bel hommage à un père homonyme, Pierre Cherruau, ex-journaliste au Monde à Bordeaux, mort d’un cancer, qui légua à son fils, en plus de la passion journalistique, celle de la course à pied. Si l’on peut regretter que tout le passage espagnol soit passé sous silence (mais peut-être Pierre Cherruau a-t-il pris l'avion, ah, ah!), le retour en Anjou (d’où est originaire l’auteur, né à Dunkerque) et les retrouvailles avec l’ami de déportation de son grand-père, sont bouleversants.

"La maison" de Nicolas Jaillet, le roman de l’évasion conjugale, 122 pages de pure littérature, réédité chez Milady Thriller



Je ne suis pas très objectif avec Nicolas Jaillet. D’une part, c’est un auteur dont j’ai publié deux romans aux éditions Après la Lune, Sansalina (magnifique western métaphysique, épuisé,  réédité en Folio Policier) et Nous les maîtres du monde (sublime histoire de super-héros). D’autre part, c’est un ami…
N’empêche, en toute objectivité, son 4e roman, La maison, paru chez Rue du Départ  en 2013 et réédité en septembre 2016 dans la collection Milady Thriller est, je pèse mes mots, un petit bijou! Qui figurerait dans les sélections du Livre Inter ou du prix des Lectrices de Elle s’il était publié chez Minuit, POL ou Verticales. Passons.
Le sujet du livre est (hélas) banal. Martine, maltraitée par son mari, prépare son "évasion" du foyer conjugal. Le traitement, en revanche, l’est beaucoup moins (banal).
Nicolas Jaillet, qui fait partie des rares romanciers changeant résolument de genre et de style à chaque nouvel opus, réussit le tour de force de raconter une histoire terrible sans rien dire des choses terribles, grâce à une subtile distanciation narrative (le roman est raconté du point de vue du fils de la femme battue, qui n’a évidemment, comme souvent dans ce genre de situation, "rien vu"). Tout est suggéré, sous-entendu. La peur est présente à chaque ligne. Et ça fout la trouille. C’est un livre qu’on ne lâche pas. Et c’est écrit dans une langue – je ne vous dis que ça – concise, lissée jusqu’à l’épure.

Mais je laisse la parole à Marcus Malte, qui en a écrit la préface : "Une angoisse, une oppression superbement rendue par la subtilité de l’écriture. Car écrire, c’est faire des choix : il y a ce que l’on montre, il y a ce que l’on suggère simplement. Autant d’ingrédients que Nicolas Jaillet, en fin architecte, en solide maçon, en parfait magicien, dose. Certaines maisons, paraît-il, sont hantées. Cette maison-là est de celles qui vous hantent."

Coup de cœur Emmanuel Delhomme (librairie Livre Sterling) sur France Inter
Extrait. "Il y a des souvenirs imaginaires. Nous en avons tous : parfois sans le savoir. Des images que nous gardons gravées dans notre esprit. Par leur précision, elles dépassent souvent nos vrais souvenirs. Et pourtant, ces souvenirs sont faux."