vendredi 24 avril 2020

Grands prédateurs. Charles Ruggieri, Sophie Boissard, fondateur et PDG des Ehpad Korian (Journal d’un confiné #38)

On meurt beaucoup dans les maisons de retraite (rebaptisées en 2002 de l’affreuse appellation EHPADÉtablissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) au temps du coronavirus. Et les morts ne sont pas tous des pensionnaires. (Pensée émue pour la mère d’une amie, infirmière en Ehpad, décédée du Covid-19 à l’âge de 49 ans, vous arrivez à dormir la nuit, Mme Buzyn ?)
On meurt encore plus dans les EHPAD du groupe Korian, où les salariés, nous rapporte Libération, doivent crier pour avoir une bouteille de gel hydroalcoolique (entre autres choses).


Depuis un mois, nous dit Libération [Dans les Ehpad Korian « engloutis par la vague » de Covid-19], les funestes décomptes font les titres de la presse : à la Villa Victoria de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), 25 décès ; aux Aurélias de Pollionnay (Rhône), 28 décès ; à la Vill’Alizé de Thise (Doubs), 26 décès… Et le plus lourd bilan connu à ce jour, à la Riviera de Mougins et ses 36 résidents morts. Leur point commun ? Tous appartiennent au groupe Korian, spécialisé dans les maisons de retraite. En France, depuis le 1er mars, 511 décès sont attribués au Covid-19 dans les établissements de l’entreprise. Le leader du marché des maisons de retraite, coté en Bourse, poursuit Libérationa-t-il failli dans sa gestion de la crise ? Les premières données montrent une forte surmortalité dans ses établissements, les témoignages pointent des négligences. Des familles veulent aller en justice.  

Vous, je ne sais pas, mais moi, si ma grand-mère était morte dans un Ehpad Koran des suites du Covid-19 ou de tout autre saloperie, avec des suspicions de négligence, c’est pas en justice que j’aurais envie d’aller, mais au baston. Histoire, a minima, de casser la gueule aux salopards qui se font du fric sur la vie des gens, au point de se faire coter en Bourse ! Bon, cela ne risque pas d'arriver, étant donné que Pauline Berson (mère de Jacqueline, ma mère) est décédée en 1985 à la maison de retraite de Javron (Mayenne), gérée à la bonne franquette et pas par des capitalistes obsédés par le pognon, quelques années après la mort de Marie-Louise Reboux, ma grand-mère paternelle, décédée à la maison, chez mes parents.
  Les médias parlent beaucoup du scandale des maisons de retraite, mais curieusement, on ne dit pas grand-chose, ou si peu, sur leurs dirigeants. Qui sont-ils, ces gens pleins aux as, mais qui valent un milliard de fois moins que le plus démuni des gens de peu ?


Pour commencer, pour vous instruire – je vous préviens : vous risquez de vous faire du mal –  je vous invite à regarder cette vidéo, où l’on voit Mme Sophie Boissard, PDG de Korian-Medica (revenus annuels, aux alentours de 900.000 €), dire tout son espoir éperdu à l’idée de voir arriver l’IA (Intelligence artificielle) dans le domaine de la Santé, et, par conséquent, dans les EHPAD où, rappelons-le, viennent de mourir 10.000 personnes âgées, dans des conditions souvent atroces, qu’il n’est pas besoin de rappeler.
Éloge de l’intelligence artificielle, par Sophie Boissard

Tant que j’y suis, je ne résiste pas à l'envie de vous montrer l’interview de Rémi Boyer, DRH du groupe Korian. Les personnes à qui la religion RH donnerait de l’urticaire hallucinatoire sont priées de s’abstenir, les hôpitaux sont submergés, inutile de les encombrer davantage !
Rémi Boyer, DRH du groupe Korian

Passons maintenant à l'homme qui fonda le groupe Korian, en rachetant sept maisons de retraite à Besançon, Charles Ruggieri90e fortune française avec 1,1 milliard d'euros, et qui n’est plus à la tête du groupe depuis 2014, contrairement à ce qu’en disent les médias, ce qui ne change pas grand-chose au problème.
  L’itinéraire de ce monsieur, que Le Républicain Lorrain, dans un article totalement dénué de flagornerie, présente comme un homme qui a « la santé en tête » [sic], est resté simple, accessible, marqué par ses racines de fils d’immigré italien, me semble particulièrement intéressant, dans la mesure où il n’a rien (en apparence, en tout cas) des “prédateurs” à la Bernard Arnault ou à la Vincent Bolloré, dont on se dit, les voyant, qu’ils seraient capables de vendre père et mère si ça pouvait faire grimper leurs (mauvaises) actions. Et pourtant, in fine, c’est bien ce qui s’est passé : Korian, sa créature, est devenue une machine à faire du fric, beaucoup de fric (bénéfices 2019 : 136 millions d’euros) sur le dos – et la mort – de ses pensionnaires. Et je doute fort que ce monsieur en fût empêché de dormir.

Infos extraites de Ehpad.com
Un article du site Alumni datant de 2018 nous apprend que Charles Ruggierifils d'immigré italien ouvrier dans la sidérurgie lorrainese qualifiant de « pur produit de l’ascenseur social », a fait fortune avec sa passion : créer et développer des sociétés. Tout en suivant un DESS et un doctorat de droit à Nancy, ce boursier commence une carrière de cadre dans l'immobilier pour un groupement des entreprises sidérurgiques de Lorraine, où il est chargé de la restructuration des 25.000 logements du bassin en crise. Pendant dix ans, il dirige les trois sociétés issues de la restructuration : l'Immobilière Thionvilloise, puis Batibail (volet financier), Bail industrie (friches industrielles), Batigère (logements sociaux).
  « J’ai compris qu’il fallait participer au capital pour avoir voix au chapitre. Alors, en 1987, j’ai proposé au personnel de créer une société et 300 collaborateurs (90% du personnel) m’ont fait confiance pour entrer dans le capital. »
  Son moteur et sa passion : « Développer des entreprises, imaginer une stratégie, animer des équipes, promouvoir des jeunes talents, et maintenir le développement dans un mouvement structuré et pérenne. Je ne suis pas un homme de court terme, j’aime construire brique à brique. » Les mauvais esprits qui traduiraient brique à brique par faire du fric devraient consulter.
  Ce grand philanthrope, dont Challenges nous apprend qu’il est l’homme le plus riche de Lorainne, crée ainsi la société d’investissement Batipart, qu’il préside encore aujourd’hui, et dont le siège se trouve, tiens donc, dans ce merveilleux paradis fiscal européen qu’est le Luxembourg. Le but de Batipart : investir dans des sociétés, les développer pour qu’elles deviennent leader sur leur marché. Ce qu’il réussit avec la Foncière des Régions, Korian (leader européen pour la gestion de maisons de retraite) et Eurosic. Une fois le but atteint, douze ans après en moyenne, Batipart revend ses parts à de nouveaux investisseurs. Le schéma est classique.
Charles Ruggieri et ses fils Nicolas, DG d’Eurosic et le cadet, Julien, PDG du groupe hôtelier Onomo, ici au Mali
Aujourd’hui, Charles Ruggieri, dont la holding familiale Batipart s’est retirée de Korian en 2014 pour investir dans l'’immobilier de bureaux, a passé le flambeau à ses enfants, tous trois impliqués dans la direction de l’entreprise : Nicolas gère l’activité immobilière en Europe, Julien l’activité hôtelière en Afrique et Claire s’occupe de la gouvernance de l’ensemble.
Son conseil aux jeunes générations : « Fais-le mais fais-le bien » comme le répétait mon voisin de chambre en cité universitaire. Il est important d’avoir une exigence de qualité envers soi-même d’abord, et envers les autres. Enfin, il faut oser s’engager, oser entreprendre. C’est un mot noble et une source de richesse personnelle extraordinaire. »
  La source de richesse personnelle, on l’aura compris, est bien peu de choses, par rapport à la noblesse d’entreprendre. N’est-ce pas, au fond, ce qui compte le plus ?

  NB. Ne partez pas sans avoir consulté le cours de la Bourse.
Pendant la pandémie, l’action Korian grimpe. Étonnant, n’est-ce pas ?
Peu après la publication de ce papier (29 avril), on apprend via L’Obs la nouvelle suivante.
Avant de revenir sur sa décision, suite au scandale provoqué par l’annonce de cette décision.



Si vous avez loupé les épisodes précédents (ou suivants) :
L’Ange exterminateur. 58 ans avant le Covid-19, le film de confinement de Luis Buñuel (#45) / Je venais de nourrir les renards du Père Lachaise quand les flics me sont tombés dessus, par Jules Bénuchot (#44) / Les linceuls n’ont pas de poches, par Philippe Leleux, libraire (#43) / Faute de protections, des soignants souffrent, contaminent et succombent, par Mediapart (#42) Le corbeau au cerveau confiné et la couturière empêchée de fabriquer les masques (#41) / Mon cœur, mon cœur, calme-toi, ça va aller, on s’en sortira, par Anne Tardieu (#40) Plus terrible que le coronavirus : le macronavirus (Covid-22 à double souche outrage et rébellion (#39) / Grands prédateurs. Charles Ruggieri et Sophie Boissard, fondateur et PDG des Ehpad Korian (#38) / “T’as voulu voir le salon”, le tube de l’été confiné (#37) / Macron, tes « jours heureux », tu peux te les mettre quelque part ! (#36) / Voyage (anxiogène) dans le métro avec Le Parisien sous le bras et un autre à portée de postillon (#35) / La prophétie du canard madré (# 34) / Le 11 mai, ça ne passe pas, M. Blanquer, par Laurine Roux, enseignante (#33) / Si les hôpitaux ont tant souffert, ce n’est pas la faute d’un pangolin, mais celle du gouvernement, par Iven, infirmier aux urgences (#32) Exclusif. Le classement « ConfinFrance » des préfets préférés de Castaner (#31)

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