dimanche 5 avril 2020

Crier « Buzyn, assassin ! » dans une rame de métro déserte (Journal d’un confiné #18)

Début décembre 2019, à l’heure où la grève contre la loi-retraite faisait descendre dans la rue des millions de gens, et s’épanouir les flics des psychopathes Castaner et Lallement, je m’étais amusé à crier “Macron démission !” La singularité de la chose tenant au fait que mon cri ne fut pas poussé dans une manifestation, mais sur un quai de métro bondé, dans une station Saint-Germain-des-Prés qui, à la suite d’un incident technique indépendant de la volonté des preneurs d’otage sanguinaires de la CGT-SUD-FO, venait de recevoir en deux minutes deux rames bondées, entouré de 374 voyageurs endormis, dépités (contrairement à moi, joyeux de rentrer chez moi après une nuit de valu un merveilleux fou rire, assez peu partagé par mes compagnons de galère, dont certains me tinrent des propos peu amènes, voire menaçants.

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LIRE :  Expérience-limite : crier “Macron démission !” sur un quai bondé pendant la grève de la RATP


Trois mois plus tard, les temps et les paradigmes ont bien changé. Les rames de métro et les rues sont désertes. Les foules sont mortes. Le virus est partout, véloce et venimeux. La pénurie de masques et de respirateurs tue, y compris des personnels soignants. Le gouvernement se bouche les yeux et les oreilles. Pas la bouche, hélas.
  22 mars, 19h22, station Saint-Denis Porte-de-Paris. Je prends place dans une rame de la  ligne 13 et, me remémorant cette scène de bravoure, je me fais cette réflexion : « Aujourd’hui, tu ne pourrais plus faire ça, car cela reviendrait à crier dans le désert. Et ce n’est plus “Macron démission !” que tu crierais, mais… “Buzyn assassin !”
Station Saint-Denis Porte de Paris, 22 mars 2020, 18h51
Mon cerveau se ramollissait. Prendre le métro après cinq jours de confinement sans sas de décompression n’est pas une bonne idée. Nous n’avions pas atteint la station Carrefour Pleyel qu’une étrange vision m’assaillit, que je vous raconte sans pudeur, ce qui aura pour effet, je le crains, de ne pas me laisser le temps de vous dire tout le mal que je pense d’Agnès Buzyn et des enfoirés qui la précédèrent à ces fonctions. Rassurez-vous : ce sera pour une autre fois…
  Tout à mon étourdissement, je ne m’étais pas rendu compte que j’avais réellement crié Buzyn assassin ! Ce que personne n’entendit, puisqu’il n’y avait personne dans le wagon. Sauf ce type en face de moi, situé à environ 3m50, record du monde du geste-barrière, qui se transforma peu à peu. Sa casquette à l’envers se devint une casquette de paysan, de noir il devint blanc, son smartphone disparut, remplacé par une blague à tabac, une ceinture de flanelle remplaça son blouson de cuir, ses chaussures Nike se firent godillots, il prit d’un coup d’un seul cinquante ans. Et je vis en face de moi… mon père ! Edouard Reboux, né le 13 avril 1920 et décédé le 23 janvier 1991, alors que des événements d’une tout autre nature que la pandémie actuelle (la guerre du Golfe) mobilisaient les foules devant leur poste de télé, dans un confinement “libre” et quelque peu dérisoire, par rapport à celui que nous subissons actuellement.

— Qu’est-ce que que c’est qu’cette histoire de bouzin ! me lança-t-il d’une voix que je reconnus aussitôt.
— C’est pas un bouzin, papa, répondis-je, la voix flétrie par l’émotion. Mais un buzin.
— Il est pas dans ton Petit Larousse, celui-là !
— Agnès Buzyn, c’est la ministre de la Santé, enfin, elle ne l’est plus depuis qu’elle a quitté le gouvernement…
— Le ministre de la Santé, c’est plus Claude Évin ? demanda mon père.
— Non, papa. Il s’est passé beaucoup de temps depuis que tu es parti. Mitterrand est mort. Chirac est mort…
— Chirac ! Nom de Dieu ! Il m’avait serré la main au salon de l’Agriculture !
— Il a été président deux fois.
— Chirac président ?
— Mais oui, papa !
Mon père, comme beaucoup de paysans, avait une certaine sympathie pour ce type aussi à l’aise au cul de vaches que dans les ors des ministères.
— Bref. Buzyn n’est plus ministre. Elle a dû remplacer au pied levé Benjamin Griveaux qui ne pouvait plus être candidat à la mairie de Paris parce qu’il s’était…
— Qui c’est encore, celui-là ? s’énerva mon père.
— Ce serait trop long à t’expliquer, papa. Le nouveau président, Macron, s’est entouré de branquignols, c’est plus comme avant, tu sais…
— On est passé à la 6e République ?
La chienne Dickie, mon frère Joël, mon père et des triplés
— Pas du tout. C’était le porte-parole de Macron.
— Macron ?  Qui c’est celui-là ?
— Un ancien banquier de la banque Rotschild aux dents qui rayent le parquet…
— Encore un coup de Pompidou ! s’exclama mon père.
— Euh, pas tout à fait, papa. Macron est arrivé au pouvoir à la suite… d’un hold-up !
— Tu veux dire… un coup d’État, comme De Gaulle ?
— Non, papa. Un hold-up.
— Nom de Diou ! Ça devient captivant, ton histoire ! Ils ont pris l’Élysée d’assaut ?
— Laisse-moi parler, papa. Je vais tout t’expliquer…
  Je fis à mon père un résumé de ce qui s’était passé depuis qu’il nous avait quitté. La tâche m’était facilitée par le fait qu’étant seuls dans la voiture, je n’avais pas besoin de hausser la voix. Mon madré paternel, tout paysan qu’il était, était branché en permanence sur l’actualité (en l’occurrence Ouest-France et le journal d’André Arnaud sur Europe 1) et les subtilités de la vie politique n’avaient, de son vivant, aucun secret pour lui, même s’il lui arrivait parfois de se livrer à des raccourcis quelque peu… audacieux.
Je fis néanmoins l’impasse sur les raisons qui avaient conduit le misérable Griveau à annuler sa candidature à la mairie de Paris.
Nous étions arrivés à la station Liège (la station où personne ne descend jamais : “d’où viennent les passagers qui y montent ?” restera l’une de mes grandes interrogations métaphysiques de ma vie de Parisien) lorsque j’abordai enfin la chose qui m’amène à tenir ce journal : le coronavirus. Je me levai, bien décidé à braver les règles de protection préconisées par le nouveau ministre de la Santé et à m’asseoir près de lui.
C'est alors que retentit, presque en même temps, la sonnerie annonçant la fermeture imminente des portes du métro et la voix rauque du passager qui me faisait face, dont je suis incapable, à l’heure où j’écris ces lignes, de me souvenir ce qu'il m’avait dit.
L’homme, vous l’aurez compris, n’avait plus grand-chose à voir avec mon père. Il me fixa pendant quelques secondes, un éclair d’inquiétude au fond des yeux. Je repris place sur mon siège, replaçant mon masque (totalement inutile puisque nous n’étions que deux dans le wagon) constitué d’un morceau de Sopalin plié en accordéon, de deux élastiques et de deux agrafes. Et je continuai ma route jusqu’à la station Plaisance. Sans quasiment rencontrer âme qui vive. Mon père, lui, était retourné dans les limbes de la confinitude.
À demain, si vous le voulez bien  !

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