Quand j'étais môme, à Madré (Mayenne), j'avais un canard (prénommé Guillain à cause de sa ressemblance frappante avec un paysan du coin qui fumait la pipe et mettait le feu à ses meules de paille).
Sous la gouttière du gars Fernand, où il prenait d’interminables douches après avoir pataugé dans la mare car il était d’une propreté maladive, tandis que je le soulageais en lui grattant le jabot (nous étions assez intimes), il me tint un jour ce langage, assez étonnant chez un canard, vous en conviendrez :
« Tu veux que je te dise une chose, Double J ? Un jour, on ira se promener dans leurs villes, et y aura personne pour nous marcher sur les pieds ! »
ll m'appelait Double J, je n'ai jamais su pourquoi. Vivant à la campagne, je n'avais évidemment jamais mis les pieds en ville, même pas à Mayenne, la sous-préfecture, dont le nom évoquait le terrifiant asile psychiatrique dont on menaçait les méchants lardons du canton, ce qui n'était évidemment pas mon cas, comme le montre la photo ci-dessus.
« Ah, ils auront l'air bien cons, tous ces flandrins ! » ajouta-t-il en battant des ailes.
Flandrin était le nom de l’autre canard de la ferme, ainsi prénommé car il ressemblait au maçon du village, avec qui mon Guillain était fâché, pour d’obscures raisons remontant à plusieurs générations. Mes deux canards emportèrent leur secret dans la tombe. Ma grand-mère évoqua bien un jour une histoire de fesses, mais réalisant soudain qu’elle s’aventurait sur un terrain marécageux contraire aux enseignements de la religion, elle changea de sujet et me demanda si j’avais bien donné à manger aux poules.
Je le crus bien évidemment, et lorsque j’allai raconter ça à ma mère, qui était, je m'en souviens comme si c'était hier, en train de plumer un pauvre lapin qui n'avait rien demandé à personne, et encore moins à naître pour finir noyé dans la sauce moutarde, elle me retourna une taloche à décorner un escargot. Depuis, ma mère, qui était une femme d'une infinie tendresse, n'a plus jamais levé la main sur moi, pas plus que mon père, d’ailleurs, qui se bornait, pour morigéner sa marmaille, à envoyer valser sa casquette à l'autre bout de la cuisine, en criant : « Va la chercher ! »
Edouard Reboux enfant |
Cinquante-sept ans plus tard, par le biais d’un méchant virus de la famille des covidés, les animaux ont pris leur revanche (mon petit doigt me dit qu’ils ont intérêt à en profiter car ça ne va pas durer longtemps !), et la prophétie du canard madré s'est réalisée. Je n'ai, hélas, aucune photo de Guillain pour apporter quelque foi à cette histoire, qui vous fera peut-être penser, et je ne vous en blâmerai pas, que le confinement a transformé mon cerveau en confit… de canard, ah, ah !
Étonnant, n'est-ce pas ?
À demain, si vous le voulez bien !
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