François Braud, qui présida aux destinées du légendaire festival Polar de La Roche-sur-Yon (où je fis la connaissance, en 1990, des sieurs Pouy, Raynal, Lebrun, Chevron et Robin Cook), de la revue Caïn (où je sévissais sous le pseudo Johnny Boxeur), et des éditions de La Loupiote, m’a demandé quelles étaient mes ZAD (zones à défendre). Mes réponses (fournies avant le grand enfermement du Covid-19) sur son blog BRO BLOG BLACK.
Dans ce même papier, voici ce qu’il écrit à propos de L’Esprit Bénuchot (roman fusillé par son éditeur en 2006, ressuscité lors du Printemps bénuchot en 2019, puis re-disparu [on peut l’acheter ici], dont le foisonnant site est provisoirement HS, suite à un problème technique).
Il est des affirmations troublantes. Celles qui sèment plus qu’elles ne récoltent parce qu’elles assènent une vérité déguisée en mensonge mais, au fur et à mesure, qu’elles vous hantent, vous squattent, vous taraudent, elles se révèlent être, en fait, des mensonges grimés en vérité. Sûr de vous, vous finirez par douter. Avec le sentiment de vous mordre la queue alors que vous n’y arrivez pas, vous le savez, vous avez essayé, jeune.
« Le jour se lève et c’est déjà la nuit. », page 180, en est une. Je ne vois pas le temps passer, disait le poète. Le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle l’avait précédé l’autre. On a beau la retourner dans tous les sens, cette sentence assénée par le père Bénuchot avant que de s’évaporer reste un mystère. Pour nous et surtout pour Jules Bénuchot, qui a définitivement basculé dans la dernière partie de sa vie, sans en oublier toutes les autres : celle où il fut chauffeur de taxi, celle où il collectait dans de petits carnets noirs la grande aventure humaine grâce à des témoins qu’il choisissait, celle où la physique quantique a bouleversé son existence, celle où il changeait le destin d’une vie… Changeait ? À 82 ans, il n’a rien renié, rien oublié, et il vit encore afin de bousculer la vie de Léa jeune artiste en herbe à qui il demande d’écrire sa biographie.
Car à la question : « Y a-t-il une vie avant la mort ? » (page 175), Bénuchot a déjà répondu. Mais toutes les unes, tous les autres, cette marée humaine qu’il a croisée, qu’il croise, qu’il croisera, y a-t-elle répondu ? Y a-t-elle elle-même pensé ? Et vous ?
Avec L’esprit Bénuchot, Jean-Jacques Reboux a pondu [S]a vie mode d’emploi, affirmait Jean-Bernard Pouy. C’est en réalité moins que ça et plus que ça. Plus, car Bénuchot est un arpenteur de Paris qui court d’artères en boulevard et de rue en ruelle et ne vit que loin de son immeuble. Moins, car Bénuchot ne s’intéresse pas aux détails mais aux courbes, trajectoires, cassures de la vie et leurs interférences, leurs parallélismes, leurs paraboles.
Perec avait écrit une tentative d’épuisement exhaustive, Reboux un essai d’embrassement (embrasement ?) intuitif.
Bénuchot c’est l’homme qui se souvient pour mieux oublier ou qui oublie pour mieux se souvenir. C’est surtout celui qui profite du hasard et qui l’attire.
C’est foisonnant, drôle, profond, dérision dérisoire de la vie, hymne à la liberté, coup de pied au cul aux aigris. Bénuchot est un passeur. Reboux un conteur.
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