J’ai toujours été un grand hésitant. Sans doute est-ce dû au fait de porter deux prénoms. Un jour Jacques, le lendemain Jean. Le jour Gros-Jean comme devant, la nuit à faire le Jacques. À moins que cela ne soit dû à ma grand-mère Marie-Louise, qui hésitait toujours, quand elle sarclait le bourrier, entre les planches de salade et les rames de haricots. Peu importe la cause, nous ne sommes pas au divan. Mais cette obsession maladive de la “valse-hésitation” n’est pas sans charme. Cela permet à l’esprit de faire le vide, d’apporter un peu d’air à des problématiques a priori irréductibles alors qu’elles coulent le plus souvent de source. Le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Au fond du puits (ou du seau, si on n’a pas les moyens), pourvu qu’on les laisse respirer, les vérités les plus intransigeantes (parfois si trompeuses qu’on en arrive à se demander si l’on n’a pas été victime d’un faussaire prodigieux) se libèrent de leurs scories. Et c’est le grand moment de la dé-brouille ! La route défile, l’horizon s’étale jusqu’à l’infini, on n’est pas loin de penser qu’on a franchi le mur de la lumière. Et tout à coup, c’est l’horizon des événements, comme disait ma grand-mère Pauline quand ses mains cuivrées ouvraient la porte du four sur un plat de pommes cuites croustillantes (qu’il nous arrivait d’accompagner d’un vin chaud). À moins que ces mots aient été prononcés par quelqu’un d’autre ? Un affreux doute m’assaille. Le trou noir. Comme dirait Roger Penrose, brillant prix Nobel de physique 2020.
Devant moi, une figure géométaphysique à cinq branches. Ni pentagone, ni pentacle. Cinq voies s’offrent à moi. Leurs voix, hélas, ne sont pas parvenues jusqu’à nous ; nous restent les mains, rapportées par les peintres. Cinq noms prestigieux. De gauche à droite : William Caslon (1692-1766). John Baskerville (1706-1775). Claude Garamont (1499-1561). Firmin Didot (1764-1836), Giambattista Bodoni (1740-1813). À eux cinq, ces créateurs de génie ont donné au plomb ses lettres de noblesse, et à l’imprimerie sa quintessence, en inventant, de mon point de vue, les cinq plus belles polices typographiques de la galaxie Gutenberg.
Oui, mais voilà : entre les cinq, il me faut choisir. De ces cinq bijoux typographiques – dont je possède quelques casses, acquises dans les années 1980, à l’époque où j’éditais une revue de poésie, ainsi qu’une presse à épreuves, achetée à l’imprimerie Kiéné, rue Adélaïde Delahaye à Bagnolet –, lequel sera l’élu ?
L’élégance noble du caslon me ravit. La rondeur tout en retenue du baskerville me séduit. La fluidité farouche du garamond (avec un “d”, la maison n’admet pas les coquilles) m’émeut. Le mélange de finesse et de dureté du didot me donne le frisson. Le classicisme limpide du bodoni me fait fondre (comme un plomb).
Rien de tout cela. La vérité n’est jamais là où on l’attend. Une petite maison d’édition, Tendance Négative, vient de me passer une commande étonnante, qui risque de bouleverser ma vie d’écrivain, bien décidé, depuis le désastre Bénuchot, que plus jamais, au grand jamais, je n’écrirais de fiction – ce truc qui vous fait vibrer quand vous l’écrivez, et qui vous rend fou de rage quand votre éditeur fait tout ce qu’il faut pour qu’on ne trouve pas votre bouquin en librairie. Ce qui fut mon cas avec des éditeurs aussi méconnus que Flammarion, Le Masque.
Le rapport avec la typographie ? Tendance Négative, maison d’édition atypique, qui a publié en quatre ans cinq livres (des livres époustouflants !), vient de lancer une collection de polar qui s’intitulera, attention les yeux ça pique, “Que fait la police?” La police typographique, bien entendu. Principe de la collection : l’auteur choisit une police, dans laquelle le livre sera imprimé, et qui sera le nœud de l’intrigue.
Après mûre réflexion, j’ai jeté mon dévolu sur celle de Giambattista Bodoni, le Mozart de l’imprimerie de Parme, qui imprimera des ouvrages en 155 langues, auteur d’un Manuel de typographie qui fit autorité, et dont je possède une casse de caractères (corps 12), avec lesquels je me souviens avoir fabriqué en 1981 le premier recueil de poésie imprimé sur papier hygiénique (authentique). On comprend pourquoi je n’ai pas pu refuser l’alléchante proposition de Clément Buée, graphiste très inspiré de Tendance Négative. (Et je ne dis pas ça parce que le quatuor présidant aux destinées de la maison m’a fait un pont d’or pour entrer dans son catalogue…)
Pourquoi ce choix ? Pour répondre, il faudra lire le roman “Qui veut la peau du préfet de police ? qui racontera la chute du préfet de police de Paris (dont j’ai déjà parlé dans mon journal déconfiné, ignorant que m’incomberait la tâche de raconter sa biographie non autorisée), avec des révélations palpitantes sur sa jeunesse, qui feront jaser dans les chaumières de la maison Poulaga. Vous n’imaginez pas tout ce que ce pauvre homme a enduré pour être devenu aussi méchant !
Qui veut la peau du préfet de police ?
Sortie en librairie : mai 2021.
1 commentaire:
Wahhh ! Vivement Mai alors ! De toutes façons, Mai... c'est un mois toujours bon à prendre, hein ? ;)
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