vendredi 1 mai 2020

L’Ange exterminateur. 58 ans avant le Covid-19, le film de confinement de Luis Buñuel (Journal d’un confiné #45)

58 ans avant le confinement Covid-19, Luis Buñuel avait (presque) tout prévu. Non seulement, le sujet du film est le confinement, mais il renvoie directement, avec des coïncidences si ahurissantes qu’on en reste scotché à son canapé, à l’actuelle pandémie (et l’une de ses conséquences possibles, qu’on verra, en filigrane, à la fin de L’Ange exterminateur, et dont on espère qu’elle ne se produira pas). L’article qui suit vient de paraître sur Double Marge, le magazine des arts et des littératures, créé par Kits Hilaire (confinée à Barcelone).

En ces temps de confinement, la critique, à part celle du gouvernement, n’est pas chose aisée. Les cinémas sont fermés. Les exclusivités, les rétrospectives, les festivals, c’est fini. Certains grands pessimistes vont même jusqu’à prédire… la mort du cinéma, ce qu’il n’est pas déraisonnable de craindre, comme l’a anticipé la mutation scorcesienne chez cet équarrisseur du cinoche qu’est Netflix ! Les cinémas sont fermés mais pendant la pandémie, Double Marge continue à émettre et si je ne ponds pas ma critique mensuelle, je vais me faire taper sur les doigts et mon contrat à durée déconfinée risque de ne pas être renouvelé. Ce qui serait ennuyeux.
Que faire ? Critiquer une série ? Je ne suis guère porté sur le genre, à qui je ne pardonne pas d’avoir enterré jusqu’au mot « feuilleton ». Ce côté prise d’otage labellisée syndrome de Stockholm, cette façon d’imprécation rédhibitoire « le cinéma, c’est fini, c’est par ici que ça se passe ! », les scénarios alambiqués usant des ficelles les plus éculées tout en faisant croire à une ébouriffante originalité, voire à un message révolutionnaire (la palpitante mais un peu lourdaude Casa de papel), les 24 chronos, la mort en direct, les voyages dans le passé décomposé, le futur netflixé à l’hélium, les virées dans la tête des flics (ou des tueurs en série) comme si vous y étiez. Mieux, comme s’ils n’existaient que pour vous. Bref, j’aurais tendance à penser que les séries, outre qu’elles participent à la mort du cinéma ci-dessus évoquée, ont quelque chose de résolument aliénant. [On a le droit de ne pas partager cet avis.] Ce qui n’est pas le cas de la bonne vieille séance de cinoche en salle, que vous pouvez quitter à tout moment. Bref.
  Il y aurait bien Black mirror et ses dystopies flippantes, rattrapées à la vitesse grand V par les actualités liées au Covid-19. Mais Black mirror n’est pas vraiment une série puisque les épisodes ne se suivent pas. Un vieux film, alors ? Bonne idée ! Mais lequel ? Il y en a des milliers. L’idéal, me souffle mon double confiné, serait de trouver un film en rapport avec la perturbante expérience que nous vivons actuellement. Et pourquoi pas un film de pandémie ? lui rétorqué-je. Tu veux faire fuir ma cinématèle ?
  Non, le mieux, ce serait de dégotter un film dont le confinement serait le sujetLe confinement, et rien d’autre. Un peu comme l’indigeste Parasite, adulé par des millions de gens, sauf moi qui vous dit pourquoi ici ? Oui, c’est ça, sauf que le confinement n’est qu’un versant du film. Cul-de-sac, de Polanski ? Ne rouvrons pas la boîte de Pandore. Life boat, de Hitchcock ? Je crains qu’il n’ait vieilli. Huis-clos, de Sartre ? Ce n’est pas un film. 2001, l’Odyssée de l’espace Solaris, de Tarkovky ? Il est difficile d’être un dieu, d’Alexeï Guerman ? [Le film le plus tapé de toute l’histoire du cinéma, dont je vous parlerai pendant le confinement du rebond.] Personne n’a envie qu’on lui parle de science-fiction par les temps qui courent !

Non, il faut trouver plus subtil. Par exemple, un film qui raconterait l’histoire de gens retenus dans un lieu non prévu pour la réclusion. La Maison du diable, de Robert Wise ? Non, pas ça, trop « film de genre ». Plutôt une maison où des gens seraient retenus contre leur gré, comme dans ce film génial de Luis Buñuel, comment s’appelle-t-il déjà ? Ah, j’ai le nom sur le bout de la langue ! L’Ange exterminateur, me souffle mon double, le dernier film tourné au Mexique par Buñuel, en 1962, dans la lignée de L’âge d’or (et ébauchant Le Charme discret de la bourgeoisie). Non seulement, le sujet du film est le confinement, mais il renvoie directement, avec des coïncidences si ahurissantes qu’on en reste scotché à son canapé, à l’actuelle pandémie et à l’une de ses conséquences possibles, qu'on verra, en filigrane, à la fin du film. Et si vous pensez que j’en fais un peu trop, regardez le film, il ne vous en coûtera que 1,99 € sur LaCinetek.
Suite + critique de L’Ange exterminateur sur Double Marge.


Quatre films formidables (France, Guatemala, Espagne, Argentine)
Deux films formidables (Japon, Etats-Unis), un film indigeste (Corée du Sud) et une daube absolue (Chine)
Si vous avez loupé les épisodes précédents :
Je venais de nourrir les renards du Père Lachaise quand les flics me sont tombés dessus, par Jules Bénuchot (#44)Les linceuls n’ont pas de poches, par Philippe Leleux, libraire (#43) / Faute de protections, des soignants souffrent, contaminent et succombent, par Mediapart (#42) Le corbeau au cerveau confiné et la couturière empêchée de fabriquer les masques (#41) / Mon cœur, mon cœur, calme-toi, ça va aller, on s’en sortira, par Anne Tardieu (#40) Plus terrible que le coronavirus : le macronavirus (Covid-22 à double souche outrage et rébellion (#39) / Grands prédateurs. Charles Ruggieri et Sophie Boissard, fondateur et PDG des Ehpad Korian (#38) / “T’as voulu voir le salon”, le tube de l’été confiné (#37) / Macron, tes « jours heureux », tu peux te les mettre quelque part ! (#36) / Voyage (anxiogène) dans le métro avec Le Parisien sous le bras et un autre à portée de postillon (#35) / La prophétie du canard madré (# 34) / Le 11 mai, ça ne passe pas, M. Blanquer, par Laurine Roux, enseignante (#33) / Si les hôpitaux ont tant souffert, ce n’est pas la faute d’un pangolin, mais celle du gouvernement, par Iven, infirmier aux urgences (#32) Exclusif. Le classement « ConfinFrance » des préfets préférés de Castaner (#31)

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