Avez-vous déjà rencontré des “célébrités”? Moi oui. De par mes activités d’écrivain, d’éditeur, mais aussi d’agitateur-outrageur. Ces rencontres m’ont amené à réfléchir. À la différence des gens “normaux”, dont le
caractère n’est pas forcément “tranché”, j’ai remarqué qu’il en allait
autrement pour les célébrités que j’ai rencontrées, qui
sont, soit des gens adorables, entiers, humains, bref, normaux ; soit de
sinistres enfoirés, veules, égocentriques, sûrs de leur génie, et qu’on aurait préféré ne jamais rencontrer. J’ai décidé, pour
m’amuser, de livrer ici le produit de ce
récollement, intitulé Petit éloge de la célébrité. Dans un souci d’équité, j’alternerai les méchants et les gentils.
Pour commencer, Richard Bohringer. Acteur français. Écrivain du dimanche. Ancien drogué ayant frôlé la cécité. Fils d'un soldat allemand et d'une mère qui prit aussitôt la poudre d'escampette. Charmeur de blues. Chaud bouillant. Ego surpuissant. Susceptibilité exacerbée. Donne à croire qu’il affectionne le genre humain alors qu’il n’aime que lui, sa fifille Romane et les aficionados qui lui cirent le cuir des pompes et le cuir chevelu.
En 1990, alors que
je m’initiais aux rudiments du plâtre dans un appartement où je venais
d’emménager à Charenton-le-Pont, le téléphone, tout juste installé, sonna. Descendant de mon escabeau, pensant qu’il s’agissait de ma
compagne qui était la seule à connaître le numéro, je décrochai. Au bout du
fil, une voix éraillée, en totale symbiose avec la friture élémentaire France Telecom.
“Allô, c’est Richard Bohringer! Je ne suis
pas du tout content de la lettre que vous m’avez envoyée!” Le coup de fil
dura cinq bonnes minutes, pendant lesquelles le cher homme, hors de lui, me
traita, sans me laisser le temps d’en placer une, de petit con, de branleur, de
type malhonnête, de frustré, ajoutant qu’il en avait bavé, lui, qu’il avait
failli perdre la vue étant môme (je n’invente rien).
L’objet de son courroux ? J’avais osé lui conseiller de demander à son éditeur de mentionner son nom dans les lettres-types de refus adressées aux (innombrables) écrivains ayant proposé un manuscrit à la collection Périphériques, dont il venait de prendre la direction chez Denoël après le succès de sa daube ténébreuse C’est beau une ville la nuit, et dont il venait d’annoncer dans Télérama, à grand renfort de gonflette narcissique, qu’elle accueillerait ses “fils spirituels”. Il n’y publiera en fait que deux livres fort épais, illisibles, encore plus prétentieux que son propre bouquin, que j’avais fourbement fait semblant d’adorer dans ma lettre d’impétrant proposant un recueil de poèmes en prose, sobrement intitulé Macadam quidam, dans lequel je racontais les pérégrinations urbaines du vendeur du BHV que j’avais été. Le PS de ma lettre "Si vous ne mentionnez pas votre nom, on pourrait penser qu'il ne s'agit que d'un vaste coup de pub." blessa le fauve Bohringer, au point qu'il avait jugé indispensable d’appeler l’illustre inconnu que j’étais, ce qui aurait été somme toute honorable s’il ne s'était contenté de m’abreuver d’injures. Quand il raccrocha, sans que j’aie eu le temps de prononcer un mot, après avoir lancé un "bonne route" magnanime qui avait dû lui écorcher la langue, mon plâtre avait complètement séché. Un drame peut en cacher un autre. Néanmoins, je n’en ai jamais voulu à Bohringer car grâce à lui je découvris trois choses qui changèrent quelque peu le cours de ma vie.
Richard Bohringer pétant un plomb |
L’objet de son courroux ? J’avais osé lui conseiller de demander à son éditeur de mentionner son nom dans les lettres-types de refus adressées aux (innombrables) écrivains ayant proposé un manuscrit à la collection Périphériques, dont il venait de prendre la direction chez Denoël après le succès de sa daube ténébreuse C’est beau une ville la nuit, et dont il venait d’annoncer dans Télérama, à grand renfort de gonflette narcissique, qu’elle accueillerait ses “fils spirituels”. Il n’y publiera en fait que deux livres fort épais, illisibles, encore plus prétentieux que son propre bouquin, que j’avais fourbement fait semblant d’adorer dans ma lettre d’impétrant proposant un recueil de poèmes en prose, sobrement intitulé Macadam quidam, dans lequel je racontais les pérégrinations urbaines du vendeur du BHV que j’avais été. Le PS de ma lettre "Si vous ne mentionnez pas votre nom, on pourrait penser qu'il ne s'agit que d'un vaste coup de pub." blessa le fauve Bohringer, au point qu'il avait jugé indispensable d’appeler l’illustre inconnu que j’étais, ce qui aurait été somme toute honorable s’il ne s'était contenté de m’abreuver d’injures. Quand il raccrocha, sans que j’aie eu le temps de prononcer un mot, après avoir lancé un "bonne route" magnanime qui avait dû lui écorcher la langue, mon plâtre avait complètement séché. Un drame peut en cacher un autre. Néanmoins, je n’en ai jamais voulu à Bohringer car grâce à lui je découvris trois choses qui changèrent quelque peu le cours de ma vie.
1°) Le MAP est un
substitut au plâtre très pertinent, sans doute moins noble mais bien plus
facile à travailler lorsque l’on est comme moi profane, avec un temps de
séchage beaucoup plus long, une préparation moins ingrate et, au final, une prestation aussi efficace.
2°) Les gens
qui ont l’air “si gentils à la télé” peuvent s’avérer être des types très mal élevés quand les caméras ne sont plus en train de filmer
le petit bout de leur lorgnette. S’en suivit un échange de correspondance
stupéfiant, dans lequel Bohringer l’excité, qui alignait négligemment ses mots
sur un papier à entête de l’hôtel des Armures de Genève, tel un duelliste
jetant le gant, prouvait qu’on peut être un bon comédien tout en étant un être
humain tout petit petit.
3°) Il était
inutile que je m’acharne dans ma carrière de piéton de Paris. Quelque temps
plus tard, un courrier fort désagréable du Dilettante (l’un des éditeurs les
plus prétentieux et méprisants de la place parisienne à l’égard des apprentis écrivains) me conforta dans l’idée
que Léon-Paul Fargue ne pouvait décidément avoir de descendance que bâtarde.
Dix ans plus tard,
je retrouvai Bohringer au festival de
Saint-Quentin-en-Yvelines. Nous dédicacions côte à côte. L'homme était de fort mauvaise humeur. Je mis tout d'abord cela sur le fait qu'il n'y avait pas foule et qu'il n'allait pas pouvoir briller de tous ses feux. Mais ce n'était pas cela. Il était en
train d’agonir une pauvre libraire coupable de n’avoir pris que ses livres de
poche, oubliant les grands formats qui rapportent quand même plus de pognon que
la mitraille du pauvre, il la traitait comme un larbin. Je revois encore son
air fielleux, sa colère froide de BHL entarté. J’avais honte pour lui (et aussi de ne pas
intervenir). Il quitta aussitôt sa table, vert de rage, laissant une libraire aux bords des larmes.
J’avais longuement hésité à le rattraper pour lui dire : “Eh, Richard, pourquoi tu passes ta vie à insulter les gens ? T’es pas heureux de faire un métier qui te plaît, te rapporte beaucoup d’argent et te permet de sublimer ton magnifique ego néo-rimbaldien ?” Je m’étais abstenu parce qu’on se serait probablement battu et casser ses lunettes dans une bagarre c’est complètement con.
J’avais longuement hésité à le rattraper pour lui dire : “Eh, Richard, pourquoi tu passes ta vie à insulter les gens ? T’es pas heureux de faire un métier qui te plaît, te rapporte beaucoup d’argent et te permet de sublimer ton magnifique ego néo-rimbaldien ?” Je m’étais abstenu parce qu’on se serait probablement battu et casser ses lunettes dans une bagarre c’est complètement con.
Depuis, j’évite
les films de Bohringer ; ça tombe bien, il ne joue quasiment que dans des
nanards affligeants.
Le mois prochain : Christian Bourgois (un homme charmant)
Mise à jour du 8 juillet 2017 : cette rubrique n'a pas eu de suite.
Il est possible néanmoins de lire sur ce blog certains de mes coups de gueule contre des fâcheux. À commencer par celui où je règle le compte de l'immense écrivain Yasmina Khadra, dont je fus le premier éditeur en France et qui devint ensuite mon associé à la rubrique Comment je me suis fait entuber par Yasmina Khadra.
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