Invité par Nyota
Mollin à animer un débat au festival Tribus Polar de Fouras les 6/7 septembre,
j’ai sélectionné quatre thèmes qui n’ont, à ma connaissance, jamais été évoqués dans les festivals, en tout cas dans ceux que je fréquente depuis 1992. Plutôt que de choisir arbitrairement l’un des
quatre sujets, j’ai décidé, pour pimenter l'affaire, de procéder au choix du sujet par tirage au sort, en créant un nouveau
concept : la causerie à thème aléatoire. Ni les invités
(Sylvie Cohen, Michel Chevron, Nicolas Jaillet), ni le "causeur" ne sauront de
quoi ils parleront avant le début de la causerie. Voici les 4 thèmes choisis.
1. L’ART ET LE GÉNIE DU CRIME.
Cet intitulé pourra
paraître déplacé en ces temps de barbarie (Syrie, Djihadistan, Gaza, Nigéria),
mais il s’agit de second degré et nous sommes bien dans la fiction. Ce thème
m’a été inspiré par mon maître, le génial Pierre Siniac, décédé en 2002, qui
écuma avec brio la thématique, notamment dans une de ses plus brillantes
nouvelles, Situation : critique (dans
Folies d’infâmes), dans laquelle des
assassins imaginatifs convient des critiques patentés à assister à leurs crimes,
avant d’être notés comme au patinage artistique. Pas question donc, de faire
l’apologie des docteurs Petiot, Landru, Garreta et autres Cahuzac, mais tout
simplement de poser certaines questions élémentaires, curieusement ignorées des
festivals. « Le criminel, artiste ou artisan ? La fascination pour
les tueurs en série est-elle le fruit d’une frustration artistique
morbide ? Génie criminel, gêne criminel, comment s’y retrouver ? Les
auteurs de polar tuent-ils dans la fiction pour éviter le passage à l’acte dans
la vraie vie ? "Je tue, donc je crée" : un cogito au-delà des tabous ? »
Il ne s’agit pas de
brûler le roman policier mais de s’interroger sur la juxtaposition
malheureuse de deux mots aussi antinomiques que le substantif littérature
et l’adjectif policière. Dans la réalité comme dans la fiction, pour faire un
bon fait divers, et donc une bonne intrigue, il faut 1°) une victime ; 2°)
un coupable ; 3°) un enquêteur. Parce que l’appellation « roman
policier » colle bien à l’idée de procédure policière, le vocable policier l’a emporté sur les
autres, par commodité. Ce qui paraît vraiment aberrant, d’un point de vue
éthique, et j’ose le dire, esthétique,
c’est de laisser entendre que la littérature puisse être policière, alors qu’elle représente par essence
la liberté. Aucune littérature, à part peut-être un procès-verbal
d’interrogatoire ou une lettre de délation, ne peut être considérée comme
policière. Ce n’est tout simplement pas
possible car cela voudrait dire que les auteurs de polar se trouvent forcément du côté de l’ordre, c’est-à-dire du pouvoir, car
dans nos sociétés, la police ne sert pas seulement, hélas, à confondre les
assassins et à défendre la veuve et l’orphelin, comme on nous le fait croire
aimablement à longueur de séries télévisées. Elle sert aussi, accessoirement, à
crever les yeux de manifestants pacifiques, comme on l’a vu récemment à Nantes
lors de la dernière manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes…
À ceux qui penseraient
que ce thème est une vieille rengaine anarchiste, je rappelle que chez nos
voisins, le polar s’appelle giallo
(jaune) en Italie, negra (noir) en
Espagne, detective novel en
Angleterre, krimi (crime) en
Allemagne, kriminalov (littérature
criminelle) dans les pays de l’Est, roman
de gendarmerie chez nos amis belges, qui, eux, n’ont pas oublié que les
gendarmes sont de tout aussi bons enquêteurs que les policiers.
3. POLAR ET PHYSIQUE QUANTIQUE.
Qu’a donc à voir la physique quantique avec le polar ? direz-vous. Deux réponses possibles : TOUT. RIEN. (Ne faisons pas les choses
à moitié.) Et deux réponses valables. Car s’il est vrai que la physique
quantique, qui s’intéresse à l’infiniment petit, n’a rien à voir avec l'univers macroscopique romanesque, il est tout aussi vrai que c’est grâce à un principe
quantique, appelé « brisure de symétrie », que l’Univers a pu se
développer au moment du Big Bang, grâce à l’interaction du fameux boson de
Higgs, et s’il n’y avait pas eu cette fichue brisure de symétrie qui a permis à
la matière de prendre l’ascendant sur l’antimatière, l’Univers n’aura pas connu
la fantastique expansion qui fut la sienne, et cette causerie autour du polar,
comme tout le reste, n’aurait pas lieu. Plus sérieusement… Il
y a une seconde raison à répondre OUI. Certains principes quantiques sont utilisés dans les polars, et dans
toute littérature qui procède d’une dynamique du récit, à commencer par les fameux états
superposés, qui veulent qu’une particule peut très bien se trouver à deux endroits en même temps, ou cet
autre principe qui veut qu’une particule peut très bien, pour aller d’un point
à un autre, utiliser tous les chemins
possibles, ou encore le fameux principe d’incertitude (Heisenberg), qui
énonce qu’il est impossible de connaître à la fois la position et la vitesse
d’une particule. Beaucoup de ces principes sont utilisés par les auteurs dans
la construction de leur intrigue. Dans les polars, l’ubiquité est reine, le
soupçon est partout, la statistique et la paranoïa prospèrent, et il y a
toujours un particulier qui se la joue particule essayant d’échapper à la
vigilance des gardiens de l’ordre moral et aux lois de l’entropie. Et qu’est-ce
qu’un roman, sinon une grande équation, avec des inconnues, des intégrales, et,
parfois même, des conjectures ! Donc, pour conclure, le polar et la
physique quantique, c’est exactement la même chose : un sacré
foutoir !!!
4. LES
ATTRIBUTS DU POLAR.
Ce thème, très équivoque,
se décline en trois parties. Un. « Pour vous, quels sont les attributs du polar ? » (Le
polar, c’est quoi ? Quel est sa fonction morale
(s’il en a une) ? Qu’est-ce qu’il le différencie de « l’autre
littérature » ?)
Deux. « Quel tribut (au sens de contribution) avez-vous personnellement apporté
au polar ? Est-ce que, pour vous, écrire un polar était une évidence, une
nécessité, ou êtes-vous arrivé un peu par hasard dans le « mauvais
genre » ? »
Trois. « De quelle tribu polar vous sentez-vous proche ? Quelles sont vos
influences ? Vos connivences ? »
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