samedi 11 janvier 2020

[Expérience-limite.] Crier « Macron démission » sur un quai de métro bondé pendant la grève de la RATP

Ayant atteint un âge (61 balais et quelques joncs) où beaucoup, le corps moulu, meurtri par des années de labeur à marche forcée, prennent une retraite bien méritée ; réalisant avec stupeur que je ne gagnerais plus jamais ma vie avec mes romans (dont le dernier n’a pas été diffusé en librairie), j’ai décidé, malgré mon âge grandissant, de trouver un travail, ni trop pénible, ni trop désespérant, tel cet emploi de scribe qui me fit rencontrer [lire De l’estime de soi] des gens aussi charitables et sympathiques que Jean-Denis Combrexelle, l’un des architectes décomplexés de la loi El Khomri, dont la contestation populaire marqua l’entrée dans l’ère de la répression policière instituée par François II le Poltron, atteignant la sinistre apothéose que l’on sait sous la présidence de Macron.
Ce riant négociateur qui négligea de serrer la main du scribe que j'étais
Les derniers boulots proposés par Pôle Emploi [on lira ici mon ultime expérience-limite avec l’institution], conducteur de locomotive, croupier – je n’invente rien – ne valant pas tripette, je me résignai donc à utiliser la technique préconisée par celui qui, fruit d’un hold-up aussi génial qu’ingénieux, s’empara des clefs de l’Élysée : j’ai traversé la rue, après avoir bien regardé à droite puis à gauche pour ne pas me faire écraser par un robocop énucléateur du consortium ®Castagner-Lallement-Strodza qui ont fait des rues de Paris, de Nantes et de Navarre une préfiguration de l’État policier qu’est devenu notre pays.
Et j’ai trouvé !
J’ai trouvé un travail, salarié, cotisations sociales, collègues de travail, contrat de travail (CDI, s’il vous plaît !), congés payés, tout le toutim. Ce qui ne m’était pas arrivé depuis… bien longtemps.
– Et que fais-tu, mon ami ?
– Je veille sur le repos des âmes en peine.
– Gardien de cimetière ?
– Mon allergie aux squelettes ne le supporterait pas.
– Catacombes ?
– Vous avez l’esprit d’escalier…
– Gardien de phare ?
– Nonobstant le grand réchauffement, la mer ne monte pas encore jusqu’à Paris, allons !
– Hôpital psychiatrique ?
– Sainte-Anne du Bon-Secours n’a pas besoin du mien.
– Centrale nucléaire ?
– La compagnie Alligator 327 refroidit les petits poissons de la Seine loin de Paris.
– Greffier de ministère ?
– J’ai déjà donné, merci bien !
– Psychologue en cellule de soutien de l’ÉducNat ?
– Je ne mange pas de ce Blanquer-là.
– Gardien de scène de crime pour la police scientifique ?
– Trop bigleux.
– Je donne ma langue au chat !
– La nuit, tous les chats sont gris, vous brûlez.
– Veilleur de nuit !
– Saperlipopette ! Vous avez mis le temps !
Ainsi donc, après de longues errances insomniaques, j’exerce depuis peu l’étrange profession de veilleur de nuit. L’endroit étant catalogué « sensible », je ne dévoilerai pas dans quelles antres de Paris j’exerce mon vigilat nocturne. Ce n’est d’ailleurs pas l’objet de ce billet. Enfin, pas tout à fait, car l’anecdote que je vais vous narrer ne se serait sans doute pas produite si j’avais pris le métro de bon matin pour aller au travail, piquant du nez dans une phase de sommeil résiduel.
9 décembre 2019, 8h et des poussières. Je quitte mon boulot, quelque part dans le sud de Paris. Les accordéonbus de la ligne 62 étant pris d’assaut par des grappes de zombis affamés, je m’élance sur le bitume sous une pluie battante. Vingt-cinq minutes plus tard, trempé comme un petit Lu nantais soumis aux tirs nourris des flics du préfet d’Harcourt, me voilà dans la ligne 4 du métro, épargnée par la grève, direction Porte de Clignancourt. Silencieuse et connectée, la foule s’épaissit, jusqu’à ce que la voix du conducteur vienne casser l’ambiance. 
« Suite à un incident technique, la circulation est interrompue entre Saint-Germain-des-Prés et Château d’Eau. »
Des rires fusent. Les doigts pianotent sur les écrans digitaux. Une idée saugrenue me traverse l’esprit. Je mets mes mains en porte-voix. « Mesdames et Messieurs… » Et puis non, je ne fais rien.  Pas encore. La nouvelle est confirmée trois stations plus tard. « Saint-Germain-des-Prés. Terminus, tout le monde descend. »
Se retrouvent sur le quai environ 373 voyageurs, qui progressent à pas de tortue vers la sortie à la vitesse de 0,0008 km/h, vite rejoints par 298 autres déboulés d’un second train arrivé deux minutes plus tard. De cette foule d’usagers fantomatiques émergent çà et là des bras levés, qui immortalisent le moment.
Ce que je me résous à faire ; la preuve :
Et c’est alors que je me décide à lâcher l’incantation qui me trottait dans la tête.
« Mesdames et messieurs, je vous propose de reprendre avec moi un petit slogan qui nous mettra un peu de cœur à l’ouvrage ! » Mains en porte-voix, je gueule : « MACRON-DÉMISSION ! MACRON-DÉMISSION ! » Deux ou trois personnes esquissent un sourire, mais personne ne reprend. C’est sur ma droite que tombe la première semonce. Un type, trente ans, baby-boomer de la start-up generation, écouteurs coûteux aux oreilles, dans la main le smartphone dernier cri qui doit lui tenir lieu d’oreiller. L’homme goûte peu mon humour déplacé, me fusille du regard.
– Vous vous trouvez drôle ?
– C’est quand même à cause de lui qu’on est tassés comme ça, non ?
– Pauvre type !
– Vous aimez Macron ? Je vous plains…
Le mec étant prêt à me casser la figure, je n’insiste pas. Sur ma gauche, un quadragénaire barbichu binoclard, triste comme un jour sans train, me toise, à peine plus aimable.
– Vous croyez que ce serait mieux avec Mélenchon ?
– J’ai parlé de Mélenchon ?
– Non, mais…
– Je suis anarchiste et je ne vote pas. Et moi non plus, ça ne m’amuse pas d’être là…
La suite de ce court dialogue se perd dans la marée humaine qui mettra de longues minutes à s’extraire de la station de métro.
Dehors, j’en rigole encore. La pluie a cessé. Deux copines, la vingtaine, m’alpaguent sous un abribus. « Eh ben, vous avez l’air joyeux ! » Je réponds que oui, je raconte l’anecdote, mains en porte-voix, devant dix passants médusés. « MACRON, DÉMISSION ! » Les jeunes rigolent, ça fait plaisir. Après avoir distribué quelques conseils de navigation à deux dames naufragées de la RATP, je m’engouffre dans un 96 qui file vers Bastille, en chantonnant le tube des Gilets jaunes : « On est là… On est là… Même si Macron ne veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs, et pour un monde meilleur, même si Macron ne veut pas, on est là… »

Là, j’y suis encore, au moment où j’écris ces lignes, un mois plus tard jour pour jour. Dans un autre métro, un autre bus, une autre rue, dans cet espèce de cocon froid où les visages fatigués restent disponibles pour une conversation aimable dont l’état de grève fait ressortir l’impérieuse nécessité, faisant mentir le dicton stupide : « Parisien, tête de chien ! »
, nous sommes toujours, peut-être pour longtemps encore. Dans la rue  où il est de plus en plus difficile de manifester sans se faire casser la gueule par les chiens de garde du consortium ®Castagner-Lallement-Strodza, gardant malgré tout l’espoir de faire battre en retraite Macron Ier, ses obligés et ses affidés, que j’appelle, dans un conte que vous pourrez lire ici, les soudards de la raie-publique !

4 commentaires:

milou a dit…

Salut Jean-Jacques !

Jean-Jacques Reboux a dit…

Salut Milou !

Ironie a dit…

Martine prend le métro aux heures de pointe pendant les grèves et vous en fait profiter.
Ca sent l écrivain démodé.

Jean-Jacques Reboux a dit…

Bien qu'étant l'arrière-arrière-petit-neveu de la célèbre modiste Caroline Reboux, j'assume complètement mon côté démodé.
Me permettrez-vous de vous faire remarquer, Mme Ironie, qu'on dit maintenant ”vintage” ? (On a quand même l'air un peu moins con dans les dîners en ville – que je ne fréquente plus guère, du fait de mon has-beenisme irrévocable.)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Caroline_Reboux