samedi 21 février 2015

Hafed Benotman, dernière cavale

Dans la préface au recueil de nouvelles d’Abdel-Hafed Benotman Les Forcenés, paru en 1992 aux éditions Clô, dirigées par l’excellent Claude Franqueville (réédité depuis chez Rivages, qui publient aussi ses romans), le grand Robin Cook écrivait : "Si je devais définir le travail de cet écrivain, je dirais que c’est son cœur qu’il arrache devant nous et pose, encore battant, sur la table."
Le cœur de notre ami Hafed a cessé de battre hier, dans la soirée du 20 février 2015, à l’âge de 54 ans, après deux semaines d’hospitalisation, et des années de lutte contre des problèmes cardiaques de plus en plus aigus, compliqués par l’inhumanité de l’administration pénitentiaire, qui fit tout pour reculer les soins ("hors-les-murs", on appelle ça "non-assistance à personne en danger").
Crédit photo Andrea Gandini
Cet état de fait est parfaitement résumé par Hubert Artus dans le très bel hommage qu’il lui rend sur le site de l’Express : "Certes, Benotman est un multirécidiviste. Certes, Benotman est une bonne partie du Code Pénal à lui tout seul. Mais à lui seul, comme son simple vécu en témoigne, et comme ses écrits le signent, il est l’illustration d’un acharnement administratif qui fabrique sciemment des récidivistes dans les classes sociales qu’un pouvoir veut annihiler. Un acharnement qui s’appelle vengeance."
Avis de recherche : où est Hafed ?
Abdel-Hafed Benotman n’aimait guère la vengeance. Il n’aimait guère non plus la première partie de son prénom (Abdel signifiant en arabe "serviteur", vocable peu prisé par cet homme épris de justice et d’insoumission). C’est pourquoi nous l’appelions tous Hafed. Dans sa courte mais incroyablement riche, dense et belle vie, Hafed aura tout fait : braqueur de banque, prisonnier (et non pas détenu, mot qu’il exécrait), évadé, créateur du journal L’Envolée (contre toutes les prisons), dramaturge, écrivain, scénariste, chanteur, acteur, animateur d’ateliers théâtre (j’en oublie sans doute). Personne n’a oublié non plus ses incomparables qualités d'amphitryon dans le restaurant qu’il tint pendant plusieurs années avec sa compagne Francine, rue de Chambéry, dans le XVe arrondissement de Paris (les habitués reconnaîtront l’avis de recherche ci-dessous, placardé dans les WC), et qui va très bientôt renaître dans le XIe arrondissement, 167 rue du Faubourg-Saint-Antoine, à l’enseigne Chez Francine
Quant à moi, je n’oublierai jamais – il aura fallu que tu ne sois plus là, Hafed, pour que je fasse mon outing – que je dois à ce fou de vie mon premier (et sans doute dernier) rôle en tant que comédien dans un court-métrage, Le petit train, réalisé par Inès Anane et Laurentino Da Silva, qui fait partie d’une série de très courts-métrages (3') sur  un thème qui lui était cher : "Y’a pas de justice!"
Hafed, tous les gens qui l’ont rencontré vous le diront, était un homme hors du commun, qu’il était difficile de ne pas aimer (seuls quelques juges, quelques flics et quelques banquiers incultes dérogeront à cette unanimité). Il est parti hier.
Il nous reste ses livres, aux éditions Rivages (le prochain, Erika, paraît aux éditions du Horsain), et le souvenir de cette belle gueule de bandit cultivé, de son rire, de son élégance, et de cette façon qui n’appartenait qu’à lui de vous poser la main sur l’épaule, lorsqu’il vous retrouvait, en disant avec son beau sourire : "ami".
Les éditions du Bout de la ville ont publié (2016) Ça ne valait pas la peine, mais ça valait le coup, écrits de prison, accompagnée d’un CD avec un florilège de ses participations à l'émission de radio L’Envolée.
Pour commander le livre, cliquer ici.

Dans cette vidéo réalisée lors du festival Offensive sur la littérature urbaine en mai 2011, l’ami Hafed résume tout cela en 5 minutes, avec son humour ravageur.
Hafed lit une nouvelle extraite du recueil Les poteaux de torture (Rivages).
Hafed a écrit plus de vingt pièces de théâtre. Voici la vidéo des Aimants, jouée (et mise en scène par Hafed) à l’Auditorium Saint-Germain en novembre 2013. [J'en parle ICI.] La précédente, La Politesse des foules, était encore plus forte, plus extravagante, et la mise en scène beaucoup plus pêchue, mais elle n’a pas été filmée.
Ami Hafed, le monde n’est déjà pas folichon, mais sans toi, il va falloir encore plus s’accrocher.

6 commentaires:

Unknown a dit…

Je ne m'attendais pas à ce qu'en si peu de temps Jean- Jacques Reboux fasse un article si bon et si complet. Merci à lui! Une amie d'Hafed.

Jean-Jacques Reboux a dit…

Merci. J'ai traîné pendant un mois un papier sur le décès de Tignous et les autres… Épuisant. Là, pour Hafed, fallait que ça sorte. Cet ami va trop nous manquer et l'injustice dont il a été victime par l'administration pénitentiaire me rend fou.
Amitiés.

Unknown a dit…

Entre les amis de Charlie Hebdo et maintenant Hafed, cette année 2015 restera la pire année qu'il y ait eu. J'ai passé disons 1 mois avec Cavanna qui est décédé du parkinson. Il m'avait fait rencontrer Cabu.
Mais c'est une autre histoire.
Maintenant c'est Hafed " Mon grand ami Hafed" comme l'écrivait Gide en mettant un autre prénom évidemment.
Je crois ne pas avoir encore ingéré qu'Hafed soit mort, il est peut être immortel!

Unknown a dit…

Merci pour cet émouvant hommage.
Hafed, de battre ton coeur s'est arrêté, mais le notre bat à l'unisson d'un seul et bel amour pour toi.

Unknown a dit…

J'ai pris en vidéo avec mon mobile des extraits de " La politesse des foules". Je peux éventuellement la mettre ici si Jean- Jacques Reboux m'y autorise et qu'il me dise comment faire?

Jean-Jacques Reboux a dit…

Tu ne peux pas mettre les extraits de vidéo, Laurence. Par contre, tu peux me les envoyer par @.