vendredi 27 mars 2020

Ce matin, en me réveillant, je pleure, par Elise Cordier, infirmière à Besançon (Journal d’un confiné #11)


Je partage ce matin le texte d’Elise Cordier, infirmière à Besançon, publié sur sa page Facebook.

Ce matin, en me réveillant, je pleure. En déjeunant, je pleure. En me préparant, je pleure. En conduisant jusqu'à mon travail, je pleure. Là, dans les vestiaires de l'hôpital, je sèche mes larmes. 
J'inspire. J'expire. 
Les gens dans les lits pleurent aussi, et c'est à moi qu'il incombe de sécher leurs larmes. De leur faire une petite blague, de leur dire un petit mot, histoire de les faire sourire un peu. Oublier une seconde qu'ils sont là, coupés du monde, une épée de Damoclès au dessus de la tête. Tout ceux qu'ils voient sont habillés intégralement, masqués, protégés, c'est anxiogène. Ils se sentent seuls, abandonnés. 
Alors j'inspire, j'expire. 
Je reviens dans la chambre pour la troisième fois, et tant pis si on me dispute pour le gâchis de blouse, parce que leur code wifi ne marche pas et que c'est leur seul moyen d'être en contact avec leurs proches : les visites sont interdites, le réseau téléphonique ne passe que très mal dans la chambre. Ils pleurent, parce que tout le monde s'inquiète et que du coup, ils s'inquiètent aussi, mais veulent avant tout rassurer. 
Alors j'inspire, j'expire.
Et je rassure aussi, même si juste avant le médecin m'a dit que ça puait et qu'il allait probablement finir la soirée en réa, un tuyau au fond de la gorge. Je parle du temps qu'il fait, comme un pied de nez de l'univers en période de confinement, mais je ne parle pas de tous ces gens dehors qui ne respectent pas ces nouvelles règles. 
A quoi bon dire à ce patient, médecin généraliste, qu'on croise des gens dans la rue, masque FFP2 inutile et incorrectement mis sur le nez, alors qu'un tel dispositif lui aurait évité à lui de se retrouver dans un lit d'hôpital. 
A quoi bon dire à ce patient que, pendant qu'il est là à attendre de savoir ce que le destin lui réserve, tout le monde dehors lui crache à la gueule. 
Pendant qu'il est là à progressivement mais rapidemment passer des lunettes à oxygène au masque à haute concentration à la machine de VNI jusqu'à devoir aller en réa se faire intuber, à condition qu'il y reste de la place, les gens débattent de la distance autorisée pour faire leur jogging et de si ils peuvent promener leur chien à deux.
Alors j'inspire, j'expire. 
Je gère les sorties, de bonnes ou de mauvaises augures, les entrées. Le flux interminable de patients, en plus ou moins bon état. Je marche, je cours, je vole, ma charlotte me fait mal au front, mon masque me fait mal au nez et me donne la tête qui tourne, l'élastique de mon masque, couplé à mes deux paires de lunettes, me fait mal aux oreilles, mes mains me font mal à force de les laver. 
Mais je prends des tensions, je scope, je prends des températures, des saturations, je perfuse, je fais des prises de sang, des dépistages, je réfléchis, surtout. 
Je réfléchis à comment regrouper mes soins pour éviter le gâchis de matériel d'habillage, je réfléchis à comment donner des nouvelles aux familles qui appellent sans trop inquiéter mais sans non plus minimiser, on ne sait jamais, je réfléchis à combien de temps je vais pouvoir tenir à ce rythme. 
Je réfléchis au fait qu'on n'est pas encore arrivés au pic de l'épidémie, par ici. 
Je réfléchis à ce moment inévitable où il n'y aura plus rien pour s'habiller et se protéger correctement, je réfléchis à ce moment inévitable où il n'y aura plus de place en réa et où il faudra dire à ce patient, à sa famille, qu'on ne peut plus rien faire pour lui si ce n'est espérer, et le soulager. 
Alors j'inspire, j'expire. 
Ma journée de travail se termine et je passe le relais à un collègue. Je me change. Je prends ma voiture. Je rentre chez moi. 
Je n'allume pas la télé, qui ressasse en boucle le nombre de nouveaux décès. J'essaie de rester loin des réseaux sociaux, qui ressassent en boucle les débats futiles des gens face à leur confinement. Je lis les messages de mes proches, qui me donnent du courage, et je rassure, encore.
Je lis les initiatives telles que les applaudissements collectifs à 20h et je pense "au lieu de m'applaudir, j'espère que vous êtes plutôt resté chez vous aujourd'hui, comme il vous l'a été demandé". Au lieu de nous applaudir, j'espère que vous n'oublierez pas et que vous arrêterez de nous cracher à la gueule. 
Alors j'inspire, j'expire, et j'espère. 

Je ne suis pas une super-héroïne, je ne fais que mon travail, et j'ai besoin de tout le monde pour qu'il soit facilité : restez chez vous au maximum, arrêtez de chercher (et donc trouver) des excuses à la con pour sortir de chez vous 12 fois par jour, même si "oui mais je fais attention".
Profitez de votre canapé, de vos jeux vidéos, de votre foyer, faites du ménage et de la cuisine avec toutes vos pâtes, pensez à tous ces lundis où il a été si difficile de sortir de chez vous. 
Inspirez, expirez, et ce sera plus facile pour tout le monde. 
Inspirez, expirez, puisque vous avez la chance de pouvoir le faire.
À demain, si vous le voulez bien  !

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